Les observateurs craignent que la Coupe du monde de football, débutée dimanche, ne montre les limites de Twitter sous l'ère d'Elon Musk : avec un effectif réduit et une liberté d’expression totale, lls s’attendent à un déferlement de haine et des pannes à répétition.
D’un côté, il y a l’optimisme gazouillant d’Elon Musk, et de l’autre l’armée des oiseaux de mauvaise augure de Twitter. Le PDG de Tesla et nouveau patron du site de microblogging a assuré, dimanche 20 novembre, qu’il fallait “suivre la Coupe du monde sur Twitter pour la meilleure couverture possible [de l’événement]". Des observateurs et d'anciens employés du site craignent, quant à eux, que cette compétition ne mette Twitter à genou et qu’il y ait un déferlement inédit de messages racistes et haineux.
Pour Elon Musk, l’enjeu de cette Coupe du monde de football, qui se déroule du 20 novembre au 18 décembre au Qatar, est de taille. La compétition figure parmi les événements les plus suivis sur les réseaux sociaux et sera un test pour le nouveau Twitter, à l’heure des réductions drastiques d’effectifs. Le football a été, en 2021, le sport le plus commenté sur Twitter, loin devant le basketball, le football américain et le baseball combinés, rappelait Twitter dans un communiqué fin octobre… quelques jours avant que la quasi-totalité de l’équipe de communication ne soit remerciée par Elon Musk.
Twitter et le lucratif business du ballon rond
Il en va ainsi de la crédibilité de sa nouvelle acquisition, surtout aux yeux des annonceurs. La Coupe du monde de 2018 avait, à elle seule, permis une hausse des revenus publicitaires de 5 % pour tout un trimestre, souligne le Wall Street Journal.
Pas question donc de connaître des couacs. “Les équipes sont à l’œuvre depuis plusieurs semaines pour tout préparer pour la Coupe du monde”, a affirmé Ella Irwin, vice-présidente de Twitter en charge de la sûreté du site, peu avant le coup d’envoi du premier match du mondial entre le Qatar et l’Équateur.
Elle cherchait ainsi à rassurer des fans de foot qui s’étonnaient de la décision d’Elon Musk de fermer les locaux de Twitter pour le week-end du 20 novembre à la suite de démissions en série d’employés du groupe. “Vous êtes au courant que la Coupe du monde commence le 20 ???”, s’était notamment interrogé une internaute, visiblement dubitative quant à la capacité du réseau social d’assurer “la meilleure couverture possible” si les locaux étaient fermés.
Cet échange avec Ella Irwin illustre à quel point les observateurs craignent que le (remue-) ménage entrepris par Elon Musk au sein de Twitter fragilise la plateforme à l’heure où la Coupe du Monde de toutes les controverses débute.
Entre les licenciements massifs et les démissions en série, les effectifs de Twitter - plus de 7 500 employés avant l’arrivée d’Elon Musk - ont “diminué de moitié en quelques semaines”, souligne le quotidien britannique The Guardian. Des équipes entières ont parfois disparu : “Un ingénieur nous a ainsi affirmé que son service était passé de 75 personnes… à trois”, précise le Wall Street Journal, dans une enquête consacrée au Twitter d’Elon Musk face au défi de la Coupe du monde.
Dans ces conditions, “il y a une chance sur deux pour qu’une panne majeure affecte Twitter durant ces deux semaines de compétition”, a assuré un ancien employé du réseau social sous couvert d’anonymat, interrogé par le site The Guardian. Un tiers des équipes censées s’assurer que le site puisse tenir le choc en cas de fortes hausses de la fréquentation - comme durant un mondial de football - ont été remerciées par le nouveau PDG.
Près de 100 % des tweets racistes maintenus
La cérémonie d’ouverture et la défaite du Qatar face à l’Équateur, lors du premier match de la compétition, n’ont pas mis Twitter à terre. Mais ce n’était pas le match le plus attendu. L’entrée en lice de poids lourds, comme le Brésil, l’Allemagne ou même la France, devrait davantage permettre de tester la résilience de Twitter.
En revanche, le coup d’envoi de cette “grande fête du ballon rond” a d’ores et déjà suscité son lot de commentaires racistes et haineux envers les joueurs de couleur sans aucune répercussion ou presque pour leurs auteurs, a noté le Center for Countering Digital Hate (CCDH) - le Centre pour contrer la haine numérique, dans une première analyse dont les résultats ont pu être consultés par The Guardian. Les stars britanniques Graham Sterling et Bukayo Saka ont, notamment, été visés par ce déferlement de haine en ligne, précise le CCDH.
Sur une sélection de cent tweets signalés en 24 heures qualifiant des joueurs noirs de “nègres” ou étant accompagnés d’émojis à la connotation clairement raciste, 99 ont été maintenus sur la plateforme, rapporte The Guardian.
Pourtant, les règles de modération prévoient la censure des messages à caractère explicitement raciste. Sauf que les équipes de modération ont, là encore, été réduites à peau de chagrin depuis la reprise en main par Elon Musk. “Nous sommes bien conscients que Twitter fonctionne en effectif très réduit et cela se voit à travers la multiplication des messages haineux qui ne sont pas modérés”, résume Pica Johansson, spécialiste de la haine en ligne à l’Institut Alan Turing de Londres, interrogée par The Guardian.
Certes, le racisme envers les athlètes de couleur n’est pas né depuis la reprise du site par Elon Musk : plus de 55 % des footballeurs noirs ont fait l’objet de tweets racistes durant l’Euro-2020 et la Coupe d'Afrique des nations de football de 2020, a constaté la Fifa, dans un communiqué publié en avril 2022 pour dénoncer la haine en ligne sur les réseaux sociaux.
Mais la promotion par Elon Musk d’une conception “absolutiste” de la liberté d’expression semble avoir envenimé davantage la situation. Elle a été interprétée comme “un signal par tous les racistes du monde que Twitter était prêt à les accueillir”, regrette Imran Ahmed, directeur du CCDH, interrogé par le Washington Post.
Conscient qu’un tel environnement toxique de haine pouvait faire fuir les publicitaires, Elon Musk a d’ailleurs tenu à mettre un peu d’eau dans son vin. Il a ainsi assuré, vendredi 19 novembre, que les tweets haineux ne seraient pas mis en avant par les algorithmes et “qu’il faudra spécifiquement les chercher pour les trouver”.
Une garantie qui n’a pas rassuré les observateurs craignant la déferlante de haine durant le mondial. “Tous les tweets identifiés [comme racistes] par le CCDH utilisaient sur Twitter les pseudonymes des joueurs insultés dans leurs messages”, note The Guardian. Autrement dit, il va être difficile pour les joueurs de ne pas les voir.
En 2010, la Coupe du monde de football avait été l’un des premiers événements à prouver l'utilité d’un service comme Twitter pour suivre en direct des grands rendez-vous sportifs ou autres. Le site avait à cette occasion remis à jour toute son architecture pour mieux résister à des pics de fréquentation. L’édition 2022 prouvera-t-elle à Elon Musk que sa vision d’un Twitter à effectif réduit dans un monde numérique toujours plus haineux a ses limites ? Nul ne le sait.