Depuis près d’un mois, le visage de Mahsa Amini, morte en détention, est devenu le symbole de la révolte de milliers d'Iraniens contre le port obligatoire du voile en Iran. Après les vagues de contestation de 2017 et de 2019, les manifestations se succèdent aux quatre coins du pays et tentent de remettre en cause le pouvoir des religieux sur la société iranienne. Retour sur quatre semaines de colère.
En visite à Téhéran, Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne âgée de 22 ans, meurt en garde à vue, trois jours après son arrestation par la police des mœurs iranienne pour avoir porté une "tenue inappropriée".
Selon la police, la jeune femme a été "prise subitement d'un problème cardiaque". L'ONG Amnesty International exhorte à traduire en justice les responsables de son décès jugé "suspect". Des militants assurent qu'elle a reçu un coup mortel à la tête.
La police assure, elle, qu'il n'y a "pas eu de contact physique" avec la jeune femme. La télévision d'État diffuse des extraits d'une vidéo filmée au commissariat pour appuyer cette version.
Mais peu à peu, les manifestations se multiplient dans tout le pays. D’abord à Saqqez, au Kurdistan iranien, d’où est originaire Mahsa Amini, puis à Téhéran et dans une trentaine de villes. Des femmes brûlent leur voile en public, des affrontements ont lieu avec les forces de l’ordre, faisant plusieurs morts et entraînant de nombreuses arrestations.
De nombreuses personnalités en Iran et à l’étranger commencent à exprimer leur colère sur les réseaux sociaux. En réaction, les autorités bloquent l'accès à Instagram et à WhatsApp, applications très utilisées en Iran, et accusent les États-Unis et les ennemis de l’Iran de fomenter des troubles dans le pays. Mais les manifestants iraniens font preuve d’une audace nouvelle, comme en témoignent de nombreuses vidéos analysées par l'équipe des Observateurs de France 24.
Washington annonce des sanctions économiques visant la police des mœurs et plusieurs responsables de la sécurité. Les manifestations se poursuivent à un rythme quotidien. Pour Bahar Makooi, journaliste à France 24, "la répression de la police des mœurs s’est accrue avec l’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi. Acculée par la crise économique, la population iranienne, prise en étau, exprime sa colère dans la rue."
À l'appel des autorités, des milliers de personnes défilent le 23 septembre pour défendre le port du voile. À la télévision, le président Ebrahim Raïssi appelle les forces de l'ordre à agir "fermement" contre les manifestants et le chef du pouvoir judiciaire menace de ne faire preuve d'"aucune indulgence". "Comme en 2009, face au 'mouvement vert' contre la fraude électorale, ou lors des gigantesques manifestations antigouvernementales de 2017 et de 2019 (...), le pouvoir iranien semble déterminé à tuer dans l’œuf toute contestation qui le remet en question", écrit Marc Daou, journaliste à France 24.
Le 26, les autorités indiquent avoir interpellé plus de 1 200 personnes qualifiées d'"émeutières", dont des militants, des avocats et des journalistes, d'après des ONG. Les autorités annoncent l'arrestation de plusieurs étrangers en lien selon elles avec la contestation.
Le 27, ce sont les joueurs de l'équipe nationale de football qui manifestent leur solidarité avec les victimes des manifestations.
Le 28, la famille de Mahsa Amini porte plainte contre les "auteurs de son arrestation". La province du Kurdistan, dont la famille est originaire, se retrouve plus que jamais sous pression.
À Téhéran, à l'université de technologie Sharif – l’équivalent de Polytechnique en France –, quelque 200 étudiants scandent des slogans hostiles au système religieux de la République islamique, ainsi que "Femme, vie, liberté" ou "Les étudiants préfèrent la mort à l'humiliation". La police antiémeute intervient violemment et ferme l’université.
Malgré la répression, des rassemblements de protestation se poursuivent dans plusieurs universités iraniennes, notamment à Ispahan, à Mashhad et à Babol, rapporte Ershad Alijani, journaliste des Observateurs de France 24.
Despite yesterday's brutal crackdown on students at Sharif University by Basij forces, protests at universities in Iran continue in several cities.⬇️ Isfahan University
video:@mamlekate #MahsaAmini pic.twitter.com/gibHl2it1A
D’Istanbul à Paris, un peu partout dans le monde, des manifestations se multiplient en soutien aux femmes iraniennes et contre la répression des manifestants.
En France, les féministes expriment leur soutien et critiquent la prudence du gouvernement français.
À Téhéran, les autorités maintiennent leur version en publiant le 7 octobre un rapport médical officiel affirmant que la mort de Mahsa Amini est liée à une tumeur cérébrale et n'a pas été causée par des coups.
Après un mois de manifestations et de répression, la contestation du régime des mollahs se poursuit. Si l’obligation de porter le voile est au cœur du mouvement, celui-ci rallie désormais des travailleurs du secteur industriel. Des vidéos partagées par des médias en persan basés à l'extérieur d'Iran montrent des ouvriers brûlant des pneus devant l'usine pétrochimique d'Asalouyeh, dans le sud-est du pays. D'autres grèves sont observées dans des usines à Abadan (ouest) et à Kengan (sud), selon l'organisation Iran Human Rights (IHR).
Au moins 108 personnes ont été tuées en Iran dans la répression des manifestations déclenchées il y a près d'un mois par la mort de Mahsa Amini, a indiqué mercredi 12 octobre cette ONG. Le guide suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, a réaffirmé de son côté que des "ennemis" étaient impliqués dans les émeutes, pointant à nouveau du doigt des "agents de l’étranger".