Accusé d'avoir été garde dans le camp nazi de Sobibor et d'avoir pris part au meurtre de près de 28 000 juifs en 1943, John Demjanjuk comparaît devant la cour d'assises de Munich, à partir de ce lundi. Il encourt une peine de prison à perpétuité.
C’est un vieil homme en chaise roulante qui comparaît pour la première fois devant la cour d’assises de Munich, ce lundi, en Allemagne. Le procès de John Demjanjuk, 89 ans, pourrait bien être le dernier du genre, celui d'un criminel nazi encore en vie, ce qui explique l’afflux de journalistes et d’associations de rescapés de l’Holocauste qui font le pied de grue devant le tribunal, dont la salle d’audience ne peut accueillir que 150 personnes.
itCet apatride d'origine ukrainienne est accusé d'avoir été garde dans le camp d’extermination nazi de Sobibor - aujourd’hui en Pologne - en 1943, et d'avoir participé au meurtre de plus de 27 000 juifs.
Déchu de sa citoyenneté américaine en 2002 - il l'avait obtenue en émigrant aux États-Unis en 1952 -, Demjanjuk a été expulsé vers l'Allemagne en mai dernier, à l'issue d'une longue bataille judiciaire.
"C'est la première fois qu'un auxiliaire des nazis, qu'un gardien de camp d'extermination d'origine étrangère, doit répondre de ses actes devant un tribunal allemand", précise Anne Mailliet, correspondante de FRANCE 24 à Berlin.
Président de l’association Fils et filles des déportés juifs de France, Serge Klarsfeld estime, d’ailleurs, qu’il y a une certaine contradiction à juger un étranger alors que, selon lui, de nombreux criminels allemands ont été condamnés à des peines insignifiantes.
it"Certains n'ont même pas été jugés, parce que la justice allemande est très indulgente envers les grands criminels nazis, explique-t-il. En France, nous avons porté plainte contre Demjanjuk en 1993. Mais la procédure n'a abouti ni à une inculpation, ni à un renvoi devant la cour d'assises, ni à une demande d'extradition des États-Unis, car la justice n'a trouvé aucune preuve de son implication dans les crimes qui ont été commis à Sobibor."
En raison de doutes sur son identité, l’accusé a déjà échappé à une première condamnation en Israël pour son implication dans l’extermination de juifs au camp de Treblinka.
Mais cette fois, le procureur de Munich affirme disposer de preuves suffisantes pour pouvoir faire condamner John Demjanjuk. L’accusation dit posséder, notamment, une carte d'identité du prévenu établie par les SS attestant qu'il a été formé comme garde de camp et envoyé à Sobibor, et de déclarations écrites de personnes - aujourd'hui décédées - témoignant de la présence de Demjanjuk dans le camp d'extermination.
Trente ans de procédures judiciaires internationales
Né en Ukraine, John Demjanjuk a émigré aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, où il a obtenu la nationalité américaine. Le gouvernement américain ne s’est intéressé pour la première fois au cas de cet ouvrier retraité de l’Ohio que dans les années 1980. Une enquête conclut alors que Demjanjuk serait "Ivan le Terrible", l'un des gardiens du camp d’extermination nazi de Treblinka, aujourd’hui en Pologne.
À la suite de ces révélations, la justice américaine décide de retirer sa nationalité à John Demjanjuk en 1981, et autorise son extradition vers Israël, où il sera jugé et condamné à mort en 1988. En appel toutefois, celui-ci est acquitté, son identité d’"Ivan le Terrible" ne pouvant formellement être établie.
Demjanjuk est alors renvoyé aux États-Unis, qui lui restituent sa nationalité en 1998, avant de revenir à nouveau sur leur décision en 2002, estimant qu'il avait menti sur son passé nazi.
De son côté, l’accusé assure qu'il était dans l'Armée rouge et qu'il a été fait prisonnier par les Allemands en 1942, puis forcé de travailler pour eux.
La justice allemande, qui le soupçonne d’avoir été gardien au camp de Sobibor, a lancé un mandat d’arrêt à son encontre le 11 mars 2009. Une longue bataille judiciaire aux États-Unis contre son extradition vers l’Allemagne a suivi, la famille et les avocats de Demjanjuk invoquant sa fragilité, liée à sa mauvaise santé.
En vain : deux mois plus tard, l'accusé est expulsé vers Munich, où il atterrit à bord d'un avion médicalisé le 12 mai. Son procès devrait durer six mois, mais en raison de sa santé, sa présence au tribunal a été limitée à deux sessions de 90 minutes par journée d’audience.