Déclarée en "état de mort cérébrale" en 2019 par Emmanuel Macron, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) fait de nouveau front commun en Europe depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février. Est-ce le signe d’un renouveau durable pour l’Alliance atlantique ?
Pour défendre les frontières orientales de l'Otan, son secrétaire général, Jens Stoltenberg, a déployé pour la première fois la force d’intervention rapide. Opérationnel depuis 2004, ce contingent interarmées qui rassemble 40 000 militaires n’avait jusque-là été utilisé qu’en cas de catastrophe naturelle ou pour coordonner le départ d’Afghanistan en août 2021.
Cinq cents soldats français sont attendus en Roumanie, où se trouve la principale base de l’Otan, tandis que des bataillons de 1 000 soldats sont envoyés par différents pays pour grossir les rangs de la force dissuasive en Pologne et dans les États Baltes. Des avions de chasse sont également déployés pour assurer la sécurité aérienne des pays voisins de l’Ukraine et de la Russie.
Face à cette réponse ferme et massive, la Finlande et la Suède, deux pays historiquement non affiliés à l’Otan, ont revu pour la première fois leur refus de rejoindre l’organisation. Inédite, cette annonce souligne le rôle central joué par l’Otan dans la crise russo-ukrainienne et la solidité de sa réaction.
"L’Otan a retrouvé sa mission d’origine"
Divisée, décrétée en "état de mort cérébrale" par Emmanuel Macron en 2019, conspuée par Donald Trump et décrédibilisée encore par le chaos du retrait américain d’Afghanistan, l’Alliance semblait pourtant plus faible que jamais.
"Vladimir Poutine a permis à l’Otan de ressouder les liens et de se relancer", analyse ainsi Jenny Raflik, chercheuse à l’université de Nantes spécialiste de l’histoire de l’Otan, interrogée par France 24. "Avec l’invasion russe, l’Otan retrouve sa mission d’origine, celle qui faisait le moins conflit entre les pays membres."
Fondée en 1949 en pleine Guerre froide pour défendre les pays d’Europe de l’Ouest face au bloc soviétique, l’Otan semble ainsi revenue à sa première vocation avec une ferveur "inédite", remarque Samantha de Bendern, chercheuse au think tank Chatham House. "L’Otan est une organisation défensive, qui vise à placer les pays occidentaux sous le 'parapluie nucléaire' des États-Unis, rappelle la chercheuse, contactée par France 24. Alors qu’elle était divisée depuis des années, la menace russe balaie ses principaux points de discorde."
Fin des dissensions
Exit donc les dissensions entre pays de l’Est et de l’Ouest. Après la chute de l'URSS, des pays de l'ancien bloc de l'Est, comme la Hongrie ou la Pologne, ont rejoint l'Otan pour se défendre face à leur grand voisin russe. Les récents événements leur ont donné raison face à la France, l’Espagne ou les États-Unis qui souhaitaient voir l'Alliance se focaliser sur le risque terroriste, la Méditerranée ou la Chine.
Exit également les reproches des États-Unis envers le manque d’investissement militaire des Européens, et en particulier de l’Allemagne. Le chancelier Olaf Scholz a annoncé le 27 février un revirement historique de la politique militaire allemande. En plus d’une enveloppe de 100 milliards d’euros pour la défense, Berlin consacrera d’ici à 2024 plus de 2 % de son PIB à son armée, une demande formulée par les États-Unis depuis des années.
Exit enfin les doutes quant à la loyauté de certains de ses membres. La France, éternelle rebelle de l'organisation, qu'elle avait quitté en 1966 à la demande du général de Gaulle avant de la réintégrer sous Nicolas Sarkozy en 2007, a ainsi mis ses scrupules de côté.
Surtout, le président américain Joe Biden a déclaré le 24 février qu'il défendrait "le moindre pouce de territoire de l’Otan" face à la Russie. "L’Europe redoute depuis plusieurs années que les États-Unis ne la 'lâchent' au sein de l’Otan, explique Samantha de Bendern. La prise de position de Joe Biden atténue cette peur, même si les Européens ne seront totalement rassurés que lorsque les États-Unis auront vraiment prouvé leur loyauté en les défendant en cas de conflit armé."
La Turquie, elle aussi, a fait bloc, alors que sa réaction était attendue avec inquiétude. "Recep Tayyip Erdogan entretenait des relations assez proches avec Vladimir Poutine, rappelle Samantha de Bendern. La décision du président turc de livrer des armes à l’Ukraine et de fermer le Bosphore et le détroit des Dardanelles (entre la Méditerranée et la Mer Noire, NDLR) aux navires de guerre a dissipé les doutes."
Menace nucléaire
Mais derrière cette réponse unanime, rien n’assure que la cohésion retrouvée aboutira à un consensus de long terme pour contrer la Russie. L’adhésion de la Finlande et de la Suède, menacées par le Kremlin en cas d’intégration à l’Alliance, reste ainsi peu probable face au risque que représente la réaction russe. L'exemple de l'Ukraine, dont l'invasion a été justifiée par la Russie en raison de son rapprochement avec l'Otan, et alors qu'elle n'en est même pas membre, est édifiant.
"La neutralisation de la Finlande était un des enjeux majeurs de la Guerre froide, rappelle Jenny Raflik. Il n’est pas certain que les pays membres de l’Otan acceptent d’encourir le risque de provoquer la colère de la Russie en l’intégrant."
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Helsinki a en effet adopté une forme de neutralité, ni à l’Est ni à l’Ouest, vis-à-vis de Moscou. Mais à l’instar de Stockholm, qui n’exporte pas d’armes dans les pays en conflit, la Finlande a franchi le pas et a annoncé qu'elle donnerait des armes à l'Ukraine.
Surtout que Vladimir Poutine a brandi le 27 février la menace nucléaire en annonçant la mise en alerte de la force de dissuasion de l’armée russe. Pour éviter une escalade, les États-Unis ont publiquement exclu toute riposte militaire directe en Ukraine. L’appel à l’aide lancé par le président ukrainien Volodymyr Zelensky à l’Otan pour obtenir une défense aérienne est donc resté lettre morte.
Si l’Union européenne a annoncé envoyer des avions de combats en Ukraine et que la défense aérienne représente la "meilleure chance pour l’Ukraine de remporter le conflit militairement" selon Samantha de Bendern, Joe Biden a été clair : il n’y aura pas d’intervention aérienne de l’Otan dans le pays afin d’éviter tout risque d’altercation avec des appareils russes.
L’extension du rôle de l’Otan reste donc incertain, tout comme son développement futur : il n’est pas sûr que ce retour de flamme résiste à la fin de la crise ukrainienne. "Il est compliqué de présumer de l’évolution d’une situation dans l’émotion immédiate de la guerre, souligne Jenny Raflik. Pour le moment, les opinions publiques européennes sont très en faveur des dépenses de défense et soutiennent le développement des opérations de l’Otan. Mais lorsque la situation se calmera, resteront-elles sur la même ligne ?"