Engagés militairement en Afghanistan, les États-Unis souhaitent également renforcer l’aide civile et le développement. Or, depuis 2001, les dizaines de milliards de dollars investis ont été en partie gâchés. Reportage à Kaboul.
L'invité de ce Focus est François Géré, président de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas).
"Vous sentez l’odeur de moisissure ? interroge Norya en grimaçant. Dans la cuisine mais aussi dans les toilettes, les fuites d’eau ont causé de gros dégâts." Norya est la directrice du lycée Maryam installé au cœur du quartier de Khay Khona, dans la banlieue de Kaboul. Debout dans la cuisine de la garderie réservée aux enfants des enseignantes, la chef de l’établissement dresse un état des lieux : "Le toit a été mal conçu et l’eau ne s’écoule pas correctement".
Le bâtiment n’est pourtant pas vieux. Construit en 2003 avec l’argent de trois organisations étrangères, dont l’Usaid qui dépend du gouvernement américain, le lycée Maryam témoigne d’un manque criant de coordination. "La plupart des donateurs ont, à l’époque, directement mis en place des projets et ont choisi eux-mêmes les entrepreneurs, se souvient Zia Ridyar, directeur du département d’infrastructure du ministère de l’Education. Malheureusement, certaines écoles construites ne sont pas vraiment aux normes."
Business juteux
Construction de routes, d’hôpitaux, d’écoles, formation des fonctionnaires… Depuis 2001, la communauté internationale a déboursé quelque 30 milliards de dollars pour le développement du pays. Les fonds sont alloués au gouvernement et à des organisations humanitaires à but non lucratif. Mais aussi - et surtout - à des entreprises privées qui se sont spécialisées dans le juteux business du développement. En Afghanistan, la marge de profit des projets de construction peut aller de 20 % à 60 %.
"Ces compagnies reçoivent des millions et des millions de dollars en contrats, explique Abdul Hai Rauf, chercheur pour Integrity Watch Afghanistan. Mais comme elles ne sont pas familières du contexte afghan, elles sous-traitent. Et à chaque fois qu’elles le font, un pourcentage revient à l’entrepreneur. Du coup, cela réduit l’efficacité de l’aide."
L’organisation estime que plus de la moitié des fonds apportés dans le pays repart, en fin de chaîne, vers les pays donateurs. Mais les bailleurs de fonds restent peu enclins à donner directement l’argent aux autorités de Kaboul : l’Afghanistan compte parmi les dix premiers pays les plus corrompus au monde.