Six jours après la prise de pouvoir par les Taliban, des dizaines de milliers de personnes tentent toujours, samedi, de quitter l'Afghanistan par l'intermédiaire du pont aérien mis en place à l'aéroport de Kaboul.
Routes paralysées par la foule, avions cargos pris d'assaut, enfants lancés par leurs parents par-dessus des barbelés... Les scènes de chaos se poursuivaient, samedi 21 août, à l'aéroport de Kaboul, six jours après la prise de pouvoir des Taliban, alors que des dizaines de milliers d'Afghans cherchent toujours désespérément à fuir leur pays.
Dans un entretien accordé samedi à l'AFP, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a jugé "impossible" d'évacuer tous les collaborateurs afghans pour le 31 août et a déploré que les mesures de sécurité prises par les États-Unis à l'aéroport de Kaboul entravent cette évacuation. "Le problème est l'accès à l'aéroport. Les mesures de contrôle et de sécurité des Américains sont très fortes. Nous nous sommes plaints. Nous leur avons demandé de montrer plus de flexibilité. Nous n'arrivons pas à faire passer nos collaborateurs", a-t-il confié par téléphone.
Dans ce contexte de chaos, les ressortissants américains doivent éviter de se déplacer vers l'aéroport de Kaboul, a exhorté samedi l'ambassade des États-Unis en Afghanistan. "En raison de potentielles menaces de sécurité à l'extérieur des portes de l'aéroport de Kaboul, nous conseillons aux citoyens américains d'éviter de se déplacer vers l'aéroport et d'éviter les portes de l'aéroport pour le moment, à moins que vous ne receviez des instructions individuelles d'un représentant du gouvernement américain", a détaillé un bulletin publié sur le site Internet de l'ambassade.
Le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a peu après refusé de donner des précisions sur la nature de ces menaces : "Je ne vais pas détailler notre évaluation des menaces, ni ce que disent les services de renseignement", a-t-il déclaré durant une conférence de presse, précisant que la situation dans la ville était très "fluctuante" et que la menace pouvait évoluer "d'une heure à l'autre".
"Nous continuons d'avoir des communications régulières avec les dirigeants talibans à Kaboul, notamment ceux en charge des points de passage à l'aéroport", a-t-il ajouté.
Washington veut évacuer plus de 30 000 personnes
Le pont aérien mis en place à l'aéroport de Kaboul est "l'un des plus importants et difficiles de l'Histoire", avait reconnu vendredi Joe Biden, dans sa deuxième allocution télévisée en quelques jours.
"Je ne peux pas promettre ce qu'en sera l'issue finale" ni qu'il n'y aura pas "de risques de pertes" en vies humaines, avait déclaré le président, assurant que les alliés de Washington ne remettaient pas en cause la "crédibilité" américaine de mener à bien cette opération.
Environ 17 000 personnes ont été évacuées par les États-Unis depuis le 14 août, dont 2 500 Américains, a déclaré samedi le général Hank Taylor, de l'état-major américain. Des milliers d'autres ont embarqué à bord d'avions venus notamment des pays de l'UE et du Royaume-Uni.
Les États-Unis, à eux seuls, prévoient de faire partir plus de 30 000 personnes. Les évacués sont en majorité des citoyens américains, que les Taliban laissent passer. Malgré l'avertissement de l'ambassade, si des citoyens Américains se présentent à l'aéroport, ils seront pris en charge, a assuré le général Hank Taylor.
Mais de nombreux Afghans, notamment ceux ayant travaillé pour les États-Unis et détenteurs d'un visa d'immigration spéciale (SIV) pour eux et leurs proches, ne peuvent pas accéder à l'enceinte sécurisée par plus de 5 000 militaires américains.
"Compassion" des soldats américains
Face aux critiques et polémiques qui agitent les États-Unis depuis la victoire éclair des Taliban, l'armée américaine a pris en mains sa communication vendredi en publiant un florilège de photographies montrant ses militaires prenant soin de bébés et de jeunes enfants afghans à l'aéroport. Et le porte-parole du Pentagone, John Kirby, de mettre en avant la "compassion" des soldats.
A U.S. Marine holds a baby during an evacuation at Hamid Karzai International Airport, as thousands of desperate Afghans continue to throng the airport. More scenes from Kabul: https://t.co/b4IP3UBUHN ???? Sgt. Isaiah Campbell/U.S. Marine Corps pic.twitter.com/w9amCTeJ0H
— Reuters Pictures (@reuterspictures) August 20, 2021Les évacuations de civils ont été suspendues plusieurs heures vendredi à cause de la saturation des bases américaines dans le Golfe, notamment au Qatar, où se trouvent des milliers de réfugiés.
Les États-Unis ont obtenu le feu vert de Berlin pour que certains évacués soient dirigés vers l'Allemagne, où les États-Unis disposent de nombreuses bases militaires, notamment la grande de Ramstein avec son important hôpital militaire.
Une opération complexe pour les militaires
À Kaboul, l'évacuation des civils représente aussi un défi pour les pilotes. Cette opération se fait "avec des engins de transport tactique uniquement car [les civils] ont besoin d'un certain niveau de protection", a expliqué à la presse le colonel de l'Armée de l'air et de l'espace française Yannick Desbois, qui commande la base aérienne 104 aux Émirats où transitent les évacués.
"Les Taliban sont présents en ville, sur la partie civile de l'aéroport, donc à proximité des pistes. Ils n'ont pas démontré pour l'instant d'hostilité avérée, néanmoins (...) ils possèdent un certain nombre d'armements qui pourraient constituer des menaces pour nos avions", a-t-il expliqué.
La France, à l'instar d'autres pays, a organisé un pont aérien entre Paris et Kaboul via la base des Émirats pour évacuer ses ressortissants et des Afghans. Depuis la mise en place du pont, quatre appareils sont arrivés à Paris, avec plus de 500 personnes en tout.
"Au-delà de l'aspect sécuritaire, de la volatilité de la situation à Kaboul, il y a un aspect technique pour poser des avions de transport tactique à Kaboul, qui est quand même un aéroport très particulier, en altitude, très encaissé, avec beaucoup de chaleur", a précisé Yannick Desbois.
"À l'heure actuelle, on ne peut stationner plus de quelques avions sur place" et "il n'y a pas la possibilité de remettre du carburant", ce qui ajoute encore à la complexité de l'opération, a-t-il ajouté.
Vers la formation d'un gouvernement
En parallèle, la direction des Taliban se rassemblait samedi à Kaboul pour définir les contours d'un gouvernement "inclusif".
Le cofondateur et numéro deux des Taliban, Abdul Ghani Baradar, est ainsi arrivé samedi dans la capitale après avoir passé deux jours à Kandahar, berceau du mouvement. Ce mollah, qui dirigeait jusque là le bureau politique des Taliban au Qatar, va "rencontrer des responsables jihadistes et des responsables politiques pour l'établissement d'un gouvernement inclusif", a déclaré à l'AFP un haut responsable taliban.
D'autres leaders du mouvement ont été aperçus dans la capitale afghane ces derniers jours, dont Khalil Haqqani, l'un des terroristes les plus recherchés au monde par les États-Unis, qui ont promis une récompense de 5 millions de dollars contre des informations permettant sa capture.
Des réseaux sociaux pro-Taliban ont montré Haqqani rencontrant Gulbuddin Hekmatyar, considéré comme l'un des chefs de guerre les plus cruels du pays pour avoir notamment bombardé Kaboul durant la guerre civile (1992-96). Hekmatyar, surnommé "le boucher de Kaboul", était un rival des Taliban avant que ceux-ci ne prennent le pouvoir entre 1996 et 2001.
Depuis l'arrivée de Baradar sur le sol afghan, les Taliban ont assuré que leur règne serait "différent" du précédent, marqué par son extrême cruauté, notamment à l'égard des femmes. Ils ont répété vouloir former un gouvernement "inclusif", sans toutefois entrer dans les détails.
Mais selon un rapport d'un groupe d'experts travaillant pour l'ONU, les nouveaux maîtres de l'Afghanistan possèdent des "listes prioritaires" d'Afghans recherchés, les plus menacés étant les gradés de l'armée, de la police et du renseignement.
Le rapport indique que les Taliban effectuent des "visites ciblées" chez les personnes recherchées et leurs familles. Leurs points de contrôle filtrent aussi les Afghans dans les grandes villes et ceux souhaitant accéder à l'aéroport de Kaboul.
Avec AFP