
La police de Hong Kong a interpellé cinq directeurs du journal pro-démocratie Apple Daily, tôt jeudi matin, soupçonnés de collusion avec un pays étranger ou avec des éléments extérieurs pour mettre en danger la sécurité nationale. Elle a également gelé 2 millions d’euros d’actifs détenus par le média.
La répression motivée par la "loi sur la sécurité nationale" se poursuit à Hong Kong. Cinq responsables au sein de Next Digital, maison mère du journal pro-démocratie Apple Daily, ont été arrêtés jeudi 17 juin, ont annoncé la police et le média.
Les personnes concernées sont le rédacteur en chef Ryan Law, le directeur général Cheung Kim-hung, le directeur de l’exploitation Chow Tat-kuen, le rédacteur en chef adjoint Chan Puiman et le rédacteur en chef exécutif Cheung Chi-wai. Elles ont été interpellés au cours d’une descente matinale dans les locaux d’Apple Daily, accusées de "collusion avec un pays étranger ou avec des éléments externes visant à mettre en danger la sécurité nationale", a précisé la police de Hong Kong dans un communiqué.
"La liberté de la presse à Hong Kong ne tient qu'à un fil"
Le journal a diffusé en direct sur Facebook des vidéos montrant le raid policier. Venus en nombre, les policiers "sont arrivés vers 7 h (1 h jeudi à Paris) ce matin, notre immeuble est assiégé", a témoigné un journaliste non identifié, entendu sur l’une des vidéos. "Nous pouvons désormais les voir transporter des boîtes avec du matériel dans leur véhicule."
"Les policiers nous empêchent d’utiliser une grande quantité de nos équipements. Mais nous pouvons encore conserver cette caméra qui diffuse en direct et notre site Internet sera mis à jour", poursuit ce journaliste.
Dans un message écrit sur son application, le journal a indiqué que le "Apple Daily subit une répression ciblée de la part du régime. [...] La protection de la liberté de la presse à Hong Kong ne tient qu'à un fil. Tous les membres d'Apple Daily resteront debout et déterminés."
La police a poursuivi son action en s'attaquant aux actifs détenus par le journal. "Les actifs de trois sociétés : Apple Daily Limited, Apple Daily Printing Limited et Apple Daily Intellect Limited ont été gelés" et ils "s’élèvent au total à 18 millions de dollars de Hong Kong" – soit deux millions d'euros – a déclaré à la presse le commissaire principal Steve Li. Il s’agit de la première saisie d’actifs réalisée à Hong Kong contre une entreprise de presse.
"Nos actions ne visent pas la liberté de la presse ou le travail journalistique", a réagi le ministre de la Sécurité de Hong Kong, John Lee. "Nous ciblons les complots qui menacent la sécurité nationale. Nous ciblons les auteurs qui utiliseraient le travail journalistique comme un outil pour se livrer à des actes qui mettent en danger la sécurité nationale."
Second raid visant l'Apple Daily
Ces actions constituent la dernière opération policière en date visant le tabloïd, qui a apporté un soutien constant au mouvement pro-démocratie.
Pékin n’a jamais caché son désir de faire entrer ce journal dans le rang, ou au moins d’étouffer sa voix. Il s’agit du second raid visant Apple Daily en moins d’un an.
Le milliardaire Jimmy Lai, propriétaire du journal qu’il a créé en 1995, a été accusé de collusion après le raid mené en août. L’homme de 73 ans est actuellement emprisonné en vertu de plusieurs condamnations pour avoir participé à certaines manifestations pro-démocratie. Le mois dernier, les autorités ont ordonné le gel des parts du magnat dans Next Digital, éditeur du journal.
Le rédacteur en chef de l’Apple Daily avait reconnu en mai à l’AFP que le titre était "en crise" depuis l’emprisonnement de son patron. Il assurait toutefois que les journalistes étaient déterminés à continuer la publication. Au cours d’une récente discussion publique, des employés lui ont demandé ce qu'il fallait faire s’il était arrêté. "Diffusez-le en direct", avait-il répondu.
Une reprise en main de Hong Kong
En un an, le climat politique s’est considérablement dégradé dans l’ancienne colonie britannique avec la répression implacable du mouvement pro-démocratie, qui a mobilisé massivement dans les rues en 2019 la population contre les ingérences de Pékin.
L’instrument de cette reprise en main est une loi draconienne sur la sécurité nationale imposée par Pékin ainsi qu’une réforme visant à s’assurer que seuls "des patriotes gouvernent Hong Kong".
Cette loi, qui prévoit des peines de prison à vie, s’attaque aux infractions relevant de la sécession, de la subversion, du terrorisme et de la collusion avec des forces étrangères. Dans les faits, sa formulation nébuleuse permet de réprimer toute voix dissidente.
De nombreux pays occidentaux estiment que la reprise en main de Hong Kong par Pékin a mis fin au principe "Un pays, deux systèmes" qui avait présidé à la rétrocession de l’ex-colonie britannique par Londres en 1997. Il devait garantir au territoire une très large autonomie jusqu’en 2047.
Après ces arrestations, Londres a accusé la Chine de s'en prendre aux "voix dissidentes" à Hong Kong et appelé au respect de la liberté de la presse. "Les raids et arrestations au Apple Daily à Hong Kong montrent que Pékin utilise la loi sur la sécurité nationale pour cibler les voix dissidentes, et non pour s'occuper de la sécurité publique", a dénoncé sur Twitter le chef de la diplomatie britannique, Dominic Raab. Il a rappelé que la protection de la liberté de la presse constituait l'un des engagements pris au moment de la rétrocession de l'ex-colonie britannique.
Avec AFP