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Rapport 2021 sur les ventes d’armes françaises : un dossier plus sensible que jamais

Le ministère des Armées remet le 1er juin au Parlement son rapport annuel sur les exportations d’armements de la France. Un document très attendu par les ONG, qui dénoncent un commerce trop souvent mené dans l'ombre. 

Le terrain est-il toujours autant miné dans le domaine des ventes d’armes françaises à l’étranger ? Mardi 1er juin, le gouvernement français doit rendre public son rapport annuel sur les exportations d’armements de la France et déjà, Amnesty International a publié à cette occasion une étude révélant que près de trois Français sur quatre souhaitent plus de transparence et de contrôle de la part des autorités françaises.

Dans ce même sondage réalisé en ligne par Harris Interactive du 13 au 17 mai 2021, on apprend que 72 % des quelque 2 000 personnes interrogées estiment que le commerce des armes de la France est contradictoire avec les valeurs portées par le pays (comme les droits de l'Homme ou les valeurs démocratiques) et qu’il devrait faire l'objet d'un débat public. L'étude va encore plus loin : elle dévoile que plus de trois Français sur quatre pensent que la France devrait suspendre ses exportations d’armes vers les pays impliqués dans des guerres civiles, comme dans le cas du Yémen.

Un fleuron industriel dont nous ne connaissons que peu de choses.

Ah, si : nous savons que la France, exerce ce commerce trop souvent dans l'ombre. ????

Deux mots d'ordre s'imposent : transparence et contrôle ! #SilenceOnArmehttps://t.co/gvPQ70K8sZ

— Amnesty France (@amnestyfrance) May 31, 2021

Des questions "urgentes et cruciales"

"Ces résultats n’ont rien d’étonnant. On sent bien que la question des ventes d’armes de la France à l’étranger suscite de plus en plus d’intérêt des Français, estime Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer à Amnesty International, contacté par France 24. Pour lui, ces récentes prises de conscience ont déjà permis ont une "légère amélioration" en ce qui concerne la transparence. En 2020, le rapport sur les ventes de 2019 a livré davantage d’éléments financiers et de données sur les quantités d’armes vendues. "Néanmoins, il reste encore trop de zones d’ombre, déplore l’humanitaire. Si l’on veut évaluer les risques des ventes d’armes de la France, on doit avoir une vision exhaustive de ces exports. Or, à ce jour, il nous manque encore beaucoup d’éléments."

Certes, les pays importateurs sont bien désignés dans les derniers documents officiels mais les destinataires réels, ceux qui vont utiliser les armes, n’y figurent pas. Le rapport de 2020 révèle par exemple que la France a vendu des armes à l’Arabie saoudite. Mais on ne sait pas à quel corps d’armes elles étaient destinées. "Or ce n’est pas la même chose de vendre des armes à la garde nationale saoudienne qu’à son armée de l’air. Surtout quand on sait que la coalition engagée dans la guerre au Yémen effectue principalement des bombardements aériens, poursuit Aymeric Elluin. Emmanuel Macron assure avoir des garanties sur le fait que les armes françaises ne sont pas utilisées dans le conflit, mais de quelles garanties s’agit-il ? On ne demande qu’à le croire, mais nous souhaitons des preuves documentées. Ces questions sont urgentes et cruciales : on doit s’assurer que les transferts d’armes sont conformes aux engagements internationaux de la France et que les armes françaises ne serviront pas à commettre des atrocités."

Un manque d’intérêt des élus et de volonté politique

Le sondage réalisé pointe le fait que 80 % des Français se déclarent mal informés pour comprendre les enjeux ou les conséquences d’un tel sujet. "Plus les autorités restent opaques et moins on est à même de remettre les choses en cause, poursuit le responsable d’Amnesty International. Il appartient donc au gouvernement et au Parlement de porter au débat public cette question hautement sensible."

L’article 24 de la Constitution de la Ve République stipule d’ailleurs que le Parlement a pour mission de contrôler l’action du gouvernement. Pourtant, à ce jour, il n’y a aucun contrôle des décisions du pouvoir exécutif en matière de ventes d’armes. Est-ce à dire que la question n’intéresse pas les parlementaires français ? En partie, estiment certains observateurs. "Au sein même de la commission de la Défense, certains députés ne lisaient pas les rapports qu’on leur adressait", regrette Sébastien Nadot, ex-député LREM, membre du nouveau groupe Libertés et territoires. "Mais il n’y a surtout aucune volonté politique de rendre ces informations transparentes", assure le député de Haute-Garonne. "En France, il existe une pratique tacite qui veut que ces questions restent aux mains de l’exécutif."

Le 18 novembre 2020, les députés Jacques Maire (LREM) et Michèle Tabarot (LR) avaient rendu public un rapport sur les exportations d’armes françaises. Ils y proposaient notamment de créer un pouvoir de contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif dans ce domaine. Mais ces propositions restent à l'heure actuelle à l’état d’aimables requêtes.

La France à la traîne

Ce n’est pas le cas chez nos voisins européens. Les parlementaires britanniques, allemands ou néerlandais disposent d’un contrôle sur les ventes d’armes. Certains pays, comme les États-Unis, possèdent en outre une vraie traçabilité sur les ventes. "La France préfère entretenir le flou de différentes manières. Parfois, elle ne donne pas toutes les informations, explique l’élu. Parfois, elle utilise des intermédiaires en exportant des pièces détachées à un autre pays qui se chargera de les assembler et les vendre à qui bon lui semblera." Faute de clarté satisfaisante de la France, Amnesty International a saisi la Cour pénale internationale (CPI) pour qu’une enquête soit diligentée. La réponse sur l’ouverture ou non de cette enquête est attendue dans le courant du mois de juin.

Sensible à la question de l’utilisation des armes au Yémen, Sébastien Nadot, alors député de la majorité à l'Assemblée, avait réclamé en 2017 la création d’une commission d’enquête parlementaire à ce sujet. "J’avais recueilli 70 signatures de députés qui soutenaient ma démarche, se souvient l’élu. Mais à la demande pressante de l’exécutif, certains ont retiré leur signature. À la place d’une enquête, on m’a suggéré de créer une simple mission d’information parlementaire, qui ne permet pas de contrôler. J’ai compris fin 2018 que ma demande n’aboutirait pas. Il n’y a aucune volonté politique pour une meilleure transparence dans ce domaine."

Pour le député, c’est surtout le secrétariat de la Défense et de la Sécurité globale qui détient toutes les informations dans ce domaine. "Si cela était à refaire, je lancerais une commission d’enquête sur cet organe. Pas parce qu’ils travaillent mal mais pour comprendre leur fonctionnement très opaque." Et de conclure : "Ces zones d’ombre sont aussi préjudiciables pour les petits industriels français de l’armement. À cause du flou entretenu, ils n’obtiennent pas de prêts des banques, qui ne veulent pas prendre le risque de financer des atrocités. L’armement français se tire une balle dans le pied."

Un rapport 2021 "extrêmement détaillé"

Contacté par France 24, le ministère des Armées assure avoir travaillé sur la transparence du rapport 2021. "Le document qui va d’abord être remis mardi aux parlementaires est extrêmement détaillé, pointilleux, assure Hervé Grandjean, porte-parole du ministère. Il est à ce point précis que bien souvent, ceux qui le critiquent ne l’ont pas lu entièrement car il s’agit d’un pavé de 130 pages reprenant tous les montants et les catégories de matériel vendu."

Dans sa volonté de transparence, le ministère a également souhaité mettre en avant cette année le nombre de licences qui n’ont pas été accordées. "Une manière de montrer que chaque vente fait l’objet d’études extrêmement approfondies, explique Hervé Grandjean. C’est l’occasion de comprendre que la France refuse bon nombre de demandes qui ne rentreraient pas dans le cadre de ses engagements. Il y a d’ailleurs beaucoup de demandes qui n’apparaissent pas dans le rapport car elles font l’objet d’un refus en amont." 

Secrets d’État et secret des affaires

Il faut aussi accepter que perdurent certaines zones d’ombre, plaide Hervé Grandjean. "D’abord parce que certains clients refusent que la transaction soit communiquée. Et ensuite parce qu’il y a le secret des affaires. Enfin, il y a des réalités sécuritaires : la France peut vendre de l’armement à certaines puissances étrangères comme l’Égypte pour assurer sa propre sécurité ou lutter contre le terrorisme."

Sébastien Nadot se veut malgré tout confiant quant à une transparence à venir sur les ventes d’armes en France. "Depuis 2017, il y a un véritable éveil sur ces questions auprès des parlementaires. Il y a fort à parier que ces questions feront partie de la campagne présidentielle. Les candidats devront prendre des engagements. La prochaine Assemblée nationale sera donc naturellement plus sensible encore à ce ces questions. Peut-être moins si le Rassemblement national obtient la majorité."