La cérémonie des Oscars, qui se tient dimanche, contient dans son palmarès l'histoire d'une résistante française. Le film "Colette", sélectionné dans la catégorie meilleur court-métrage documentaire, raconte le pèlerinage d'une Caennaise au camp allemand de Dora, où son frère a été assassiné durant la guerre. En compagnie d'une étudiante en histoire, elle ravive ses souvenirs.
Elles s'agrippent fermement le bras. L’une soutient l’autre. À l’emplacement de l’ancien camp de concentration de Mittelbau-Dora, une dépendance du camp de Buchenwald, situé dans le centre de l'Allemagne, il n’y a plus grand-chose à voir, mais les fantômes sont bien présents. Les larmes coulent sur les joues de Colette Marin-Catherine, qui fête ses 92 ans ce dimanche 25 avril, et de Lucie Fouble, 19 ans. L’une a connu la guerre, l’autre l’étudie. La première a perdu son frère au cours du conflit, un des 9 000 déportés de France à Dora, la seconde a fait des recherches à son sujet. Toutes deux ont décidé de faire ce voyage ensemble.
Cette histoire bouleversante est la trame du court-métrage documentaire "Colette" sélectionné pour la 93e cérémonie des Oscars, qui se tiend dimanche 25 avril. "Personne ne pensait que ce film allait prendre une telle ampleur !", souligne Colette Marin-Catherine, depuis son appartement caennais, à quelques jours de la cérémonie. Depuis l’annonce des nominations, son quotidien a été chamboulé. Son téléphone n’arrête pas de sonner. Cette nonagénaire enchaîne les interviews, notamment avec France 24, et savoure l’engouement autour de ce documentaire de 25 minutes.
"Il avait une volonté d’acier"
Cette incroyable aventure débute en 2018. Un réalisateur américain, Anthony Giacchino, et une productrice française, Alice Doyard, sont alors à la recherche de figures héroïques de la Seconde Guerre mondiale. Par hasard, en Normandie, ils font la connaissance de Colette. Lycéenne pendant le conflit, elle s’engage dans la résistance. Sa famille est profondément patriote. Son grand-père et deux de ses oncles ont perdu la vie en 14-18 : "J’ai un arrière grand-père qui a aussi été tué en 1870. Dans notre famille, tous les mâles sont morts à la guerre". L’adolescente suit leurs traces. Lors de l’Occupation, elle surveille les allées et venues autour de Caen en notant les plaques d’immatriculation des soldats allemands, tandis que son frère Jean-Pierre distribue des tracts, cachent des armes, aide des opposants à se cacher.
Mais en 1943, le jeune homme est arrêté quelques mois après avoir fleuri des monuments aux morts à l’occasion du 11-Novembre. Condamné aux travaux forcés, envoyé dans le camp du Struthoff en Alsace, puis à Gross-Rosen et Mittelbau-Dora en Allemagne, il meurt d’épuisement le 22 mars 1945, dix jours après son 19e anniversaire. "C’était un très beau gars, un sportif averti. Il avait une volonté d’acier et deux ans d’avance sur ses études", se souvient sa sœur. "C’est terrible de voir disparaitre un tel bijou. Vous imaginez l’avenir qu’il aurait eu !".
Après sa mort, Colette s’était jurée de ne jamais mettre un pied en Allemagne. Le "tourisme morbide" la révolte : "Je n’allais certainement pas aller à Dora parmi une foule de gens qui bavardent entre eux dans un autocar". Mais sa rencontre avec Lucie Fouble bouleverse ses convictions. Anthony Giacchino et Alice Doyard la mettent en contact avec cette jeune étudiante en histoire qui réalise alors la fiche biographique de Jean-Pierre pour le dictionnaire des déportés de Dora. "Il y a eu une empathie spontanée entre cette gamine et moi. Je l’ai littéralement adoptée", raconte Colette.
"Un vrai pèlerinage de recueillement"
Très vite, les réalisateurs leur proposent de partir sur les traces de Jean-Pierre. Colette change d’avis. Elle accepte de faire le voyage en compagnie de la jeune fille. "Il n’était plus question de faire une balade touristique, mais un vrai pèlerinage de recueillement. Sans cette magnifique opportunité, je ne l’aurais jamais fait. Lucie m’a été d’un secours intellectuel extraordinaire. Grâce à elle, j’ai su exactement à quel endroit mon frère était mort". Sous le regard de la caméra, l’ancienne résistante découvre le lieu où Jean-Pierre a vécu tant de souffrances. Peu à peu l’armure de cette forte personnalité se fissure. L’émotion la submerge : "Je savais très bien qu’après avoir franchi la frontière je ne serai plus la même. Entendre à nouveau parler allemand, c’était beaucoup trop pour moi. Cela a ravivé un tas de choses et notamment le souvenir de ce que nous avions vécu pendant l’Occupation", résume-t-elle.
À ses côtés, la jeune étudiante partage sa peine et est transportée 80 ans en arrière. Cette expérience l’a profondément marquée. "J’ai eu du mal à m’en remettre. Je me souviens de quand nous étions dans le crématorium. Colette m’a dit que c’était là que tout s’était fini pour Jean-Pierre. Sa voix s’est brisée", décrit Lucie Fouble. "Mais cela m’a surtout fait grandir. Nous sommes toujours en contact. Au-delà d’avoir eu la chance de rencontrer une ancienne résistante, j’ai aussi gagné une grand-mère ", précise-t-elle.
Une transmission entre générations
Un lien indéfectible s’est créé entre l’ancienne résistante et l’aspirante historienne. Le film est avant tout une histoire de transmission. "À mon âge, je n’en parlerai plus pendant encore très longtemps. C’est Lucie qui reprend le flambeau et qui va s’occuper de tout cela", résume Colette. "Je n’ai qu’une chose à dire aux jeunes : n’attisez pas la haine ! Ce film est un message de paix et d’apaisement".
Dans la nuit de dimanche à lundi, depuis la Normandie, elle sera devant sa télévision pour assister en direct à la cérémonie des Oscars qui aura lieu à Los Angeles. "Comme toutes les personnes âgées, je suis un peu insomniaque", plaisante-t-elle. "Je n’ai pas spécialement d’inquiétude. À 92 ans, avoir un Oscar ne changera pas mon existence, mais si on le remporte, je vais doubler ma dose de chocolat au lait. Chaque soir, je prends une petite tablette et là j’en prendrai deux. Ce sera une orgie !", explique-t-elle avec malice, tout en précisant que la remise de cette prestigieuse récompense aura lieu le même jour que la Journée nationale en souvenir des victimes et des héros de la déportation et que son anniversaire : "Encore une belle coïncidence !" .
Mise à jour : le court-métrage documentaire "Colette" a été sacré, dimanche 25 avril, lors de la 93e cérémonie des Oscars.