AstraZeneca a confirmé, mercredi, que l’Union européenne ne recevrait que 20 % des doses de vaccins contre le Covid-19 commandées à la fin du premier trimestre. Ce retard fait du laboratoire la cible de l’ire des responsables européens qui le soupçonnent de favoritisme envers les Britanniques.
“Les gouvernements [européens] sont sous pression. Tout le monde est un peu, comment dire, irritable ou émotif.” Pascal Soriot, le PDG du laboratoire AstraZeneca, a tenté, mardi 26 janvier, de relativiser les critiques et menaces que plusieurs responsables politiques européens ont adressées depuis ce week-end au fabricant du vaccin contre le Covid-19, développé en partenariat avec l’université d’Oxford.
Il faut dire qu’il ne manque guère plus que les insultes. AstraZeneca a été accusé, à mots à peine couverts, de mentir, de cacher certaines informations, de ne pas respecter les termes de son contrat avec l’UE et de faire de l’Europe le parent pauvre de sa stratégie de distribution du vaccin.
Un retard au pire moment
Une réunion devait même avoir lieu à Bruxelles, mercredi 27 janvier, pour donner au laboratoire anglo-suédois l’opportunité de s’expliquer, mais il a décidé au dernier moment de ne pas y participer. Il n’a pas donné d’explication pour justifier ce geste qui ne manquera probablement pas d’envenimer la situation.
AstraZeneca avait suscité un premier tollé, vendredi 22 janvier, en annonçant ne pas être capable de fournir l’intégralité des vaccins promis à l’UE à l’échéance convenue. Le laboratoire a précisé, mercredi, que Bruxelles ne devrait recevoir qu’environ 20 millions de doses du vaccin d’Oxford au lieu des 80 millions annoncées. Un retard qui pouvait difficilement tomber à un pire moment.
Plusieurs pays européens, notamment la France et l'Allemagne, font en effet face à une grogne populaire au sujet de leur stratégie vaccinale jugée trop lente. Pour l’instant, ces gouvernements ne peuvent utiliser que les vaccins de Moderna et Pfizer/BioNtech, les deux seuls autorisés par les autorités sanitaires européennes. Le feu vert de l’Agence européenne du médicament à celui d’Oxford, censé intervenir à la fin de la semaine, devait permettre de renflouer rapidement les stocks. Et ainsi passer à la vitesse vaccinale supérieure. L’Europe comptait d’autant plus sur le vaccin d’Oxford que Pfizer avait également, la semaine passée, mis en garde contre des retards de livraison.
Bruxelles pensait surtout qu’AstraZeneca était son partenaire le plus fiable dans la lutte contre la pandémie. C’est le premier laboratoire avec lequel l’UE a conclu un contrat d’achat de vaccins, dès août 2020. C’est à lui que l'UE a commandé le plus de doses (400 millions en tout), quitte à être critiquée pour avoir trop misé sur un fabricant.
Mais Bruxelles jugeait que ce vaccin était moins cher et plus facile à entreposer que ceux de Moderna ou BioNtech, qui nécessitent d’être maintenus à une température extrêmement basse. En outre, AstraZeneca, un vétéran de l’industrie pharmaceutique, a bien plus d’expérience dans la production à grande échelle de vaccins ou médicaments que les deux autres sociétés nées après 2000, rappelle le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.
Soupçon de favoritisme
D’où l’incompréhension qui a poussé l'UE dès lundi à exiger du laboratoire anglo-suédois qu’il se justifie. Deuxième tollé : AstraZeneca n’aurait pas fourni d’explication satisfaisante sur ce retard. Le laboratoire a simplement indiqué qu’il y avait eu un problème sur l’un de ses sites européens — celui en Belgique, d’après la Süddeutsche Zeitung. Les réponses apportées auraient “manqué de clarté et de précision”, a déclaré Stélla Kyriakídou, la commissaire européenne à la Santé.
Les Européens se sont alors mis à soupçonner le laboratoire de favoriser le Royaume-Uni. Londres n’a, en effet, eu aucun problème à obtenir toutes les doses commandées. “AstraZeneca doit choisir : soit c’est un laboratoire britannique, soit un groupe international qui traite tout le monde pareil”, a déclaré Peter Liese, porte-parole pour les questions de Santé du Parti populaire européen, le groupe des députés européens conservateurs.
Avec d’autres responsables politiques, il veut savoir si la laboratoire n’aurait pas puisé dans la production des sites de l’UE — en Belgique, au Pays-Bas et en Allemagne — pour s’assurer que Londres ne manque de rien.
Une accusation grave qui semble avoir fait son chemin jusqu’aux plus hautes instances européennes. “L’Union européenne veut savoir précisément combien de doses ont été produites jusqu’à présent, où et vers quels pays elles ont été exportées”, a martelé mardi la commissaire européenne Stélla Kyriakidou.
La Commission a même laissé planer la menace d’imposer un système de contrôle des exportations, tout en restant floue sur les contours de cette mesure. Il pourrait s’agir d’un simple registre obligeant les laboratoires à notifier Bruxelles d’éventuelles exportations de doses de vaccin. Mais Jens Spahn, le ministre allemand de la Santé, a jugé qu’il “serait logique de mettre en place des restrictions”. Une fermeté également adoptée par le président français Emmanuel Macron. Ce dispositif serait, alors, similaire à celui mis en place au printemps 2020 pour les masques de protection et qui conditionnait toute exportation à une autorisation préalable.
Une menace qui n’a pas plu au Royaume-Uni qui y voit une sorte de “protectionnisme vaccinal", souligne la BBC. L’affaire des doses de vaccin de la discorde risque ainsi d’alourdir encore un peu plus l’atmosphère déjà très lourde entre Londres et Bruxelles depuis le Brexit.
Empressement de l’UE ?
Face à cette escalade des tensions, Pascal Soriot, le PDG d’AstraZeneca, a tenu à donner mardi sa version des faits, suggérant que la situation actuelle était le résultat de l’empressement de l’UE. Il a affirmé que Bruxelles avait passé commande trois mois après Londres en exigeant d’être livré en même temps.
Dans ce contexte, il ne faudrait pas s’étonner si les problèmes de logistique frappent l’UE plutôt que le Royaume-Uni. “Nous avons aussi eu des soucis au Royaume-Uni, mais nous avons eu plus de temps pour y remédier”, a assuré Pascal Soriot au quotidien allemand Die Welt.
Il suggère, en outre, que Bruxelles a mal lu le contrat signé. “Notre engagement est très clair : nous avons dit que nous allions fournir ‘nos meilleurs efforts’ pour tenir les objectifs”, a précisé le PDG d’AstraZeneca au quotidien italien La Repubblica. Autrement dit, il n’y aurait aucune obligation de résultat à livrer les 80 millions de doses en temps et en heure. Une manière pour le laboratoire d’avertir qu’il n’avait pas peur des menaces brandies par certains États — dont l’Italie — de poursuivre AstraZeneca en justice pour rupture des termes du contrat.
Dans l’ensemble, Pascal Soriot juge que l’UE “a été traitée très équitablement”. “L’Europe va recevoir 17 % de notre production globale… alors qu’elle ne représente que 5 % de la population mondiale”, a-t-il résumé. AstraZeneca n’a clairement pas envie de jouer le rôle de bouc-émissaire dans le contexte européen de campagnes de vaccination compliquées.