En France, les étudiants sont touchés de plein fouet par les conséquences de la crise du Covid-19. Pour les Africains, venus poursuivre leur cursus, aux difficultés financières s’ajoutent les contraintes administratives, qui les contraignent parfois à se réorienter ou abandonner les études. Témoignages.
"La disparition de Diary Sow ne m’a pas surprise", confie Aïssa*, étudiante sénégalaise à Paris. "Ces derniers temps, j’ai pensé à tout abandonner moi aussi …". Incarnation de l'excellence et de la réussite scolaire dans son pays, Diary Sow, élève en classe préparatoire au prestigieux lycée parisien Louis-le-Grand, faisait la fierté du Sénégal, secoué depuis sa disparition le 4 janvier.
"Quand tes parents sont si loin, tu vis avec la pression de réussir. Ma famille n’a pas les moyens de me payer mes études et en ce moment c’est particulièrement difficile", poursuit Aïssa, brillante étudiante en master de Finances à la Sorbonne. La jeune femme était élève en école d’ingénieur l’an dernier à Marseille, mais elle a dû changer de filière en urgence, car elle n’était plus en mesure de payer ses frais de scolarité dans le privé. "À cause du Covid-19 et avec le confinement, j’ai perdu mon job étudiant. J’ai trouvé un boulot de préparatrice de commandes en grande surface. Ça n’a pas suffi à couvrir mes dépenses. L’école, c’était de trop. Je n’ai pas réussi à finir le semestre, car moralement je n’allais pas bien du tout." En fin d’année, la jeune femme décide donc de déménager à Paris pour prendre un nouveau départ. Mais elle se retrouve une nouvelle fois en difficulté pour trouver un logement dans la capitale : "J’ai été hébergée par un ami d’ami qui me faisait dormir par terre et attendait de moi que je fasse la cuisine et le ménage en échange. Un autre jeune homme a vu mon appel à la solidarité sur Facebook et a proposé de m’héberger. Mais il m’a très rapidement demandé une contrepartie physique. J’ai fui à toute vitesse."
Grâce aux associations étudiantes, et l’aide de l’assistante sociale de l’université, Aïssa est relogée en urgence en résidence sociale. Elle a retrouvé le calme, "même si c’est très dur de passer ses journées à étudier dans 20 mètres carrés", confie-t-elle. L’étudiante a aussi décroché un emploi d’accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) dans une école maternelle. Pourtant, sa situation reste fragile : "J’ai déposé un dossier pour demander une aide au logement de la CAF [caisse d’allocation familiale, NDLR] parce qu’avec mon travail, je peux tout juste payer mon loyer. Si la CAF ne me verse pas l’allocation à la fin du mois, je n’aurai pas de quoi manger."
Crainte d'une vague de suicides
D’après l’Unef, la crise sanitaire a installé "une précarité extrême" chez les étudiants de France. L’association estudiantine alerte sur leur santé mentale, s’appuyant sur un sondage de Nightline, une ligne d’écoute pour étudiants, qui révèle que 22 % d’entre eux auraient des pensées suicidaires. Il y a une semaine, une étudiante lyonnaise a tenté de se défenestrer, quelques jours après un acte similaire, laissant craindre une vague de suicide devant la détresse psychologique.
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L’Unef demande aussi l'intégration des étudiants étrangers au système de bourse sociale de l'Éducation nationale, à laquelle ils n’ont actuellement pas droit, cette aide étant réservée aux étudiants dont les parents résident sur le sol français depuis plus de deux ans.
En revanche, les étudiants étrangers peuvent postuler à une aide d’urgence d’un maximum de 500 euros versée par le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) [numéro vert pour demander ces aides : 0 806 000 278]. Encouragée par un professeur, Syra, étudiante sénégalaise, en a fait la demande fin avril. Le ministère de l’Enseignement supérieur ayant simplifié l’accès à ce dispositif pour venir en aide aux étudiants en difficulté pendant la crise du Covid-19, elle a eu une réponse positive en deux semaines, ce qui lui a permis de payer de justesse son loyer en résidence étudiante.
Des professeurs "plus facilement joignables"
Après le premier confinement, l’étudiante en Sciences politiques à l’université Paris 8 s’est installée en couple. "À deux, c’est beaucoup plus simple pour les dépenses du quotidien", raconte-elle. Elle trouve même des avantages aux cours à distance : "Les professeurs se sont habitués. Ils sont plus disponibles et facilement joignables. Et moi, j’ose davantage poser mes questions".
Pourtant, depuis plusieurs semaines, de nombreux jeunes expriment leur lassitude face à l'absence de cours en "présentiel" et le mot dièse "#étudiantsfantômes" a fleuri sur les réseaux sociaux pour exprimer ce mal être. Le gouvernement a aussi exprimé sa "préoccupation" face au "profond sentiment d'isolement" des étudiants. Aussi, le 14 janvier, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé que les étudiants de première année à l'université pourraient désormais reprendre par demi-groupe les travaux dirigés en présentiel à partir du 25 janvier. Cette mesure s'étendra ensuite, "si la situation sanitaire le permet, aux étudiants des autres niveaux", a ajouté le chef du gouvernement, sans donner de date.
Difficulté de trouver des emplois en alternance et des stages
Pour les étudiants en alternance, la situation sanitaire pose un autre problème : nombre d’entre eux ne parviennent pas à trouver d’emploi ou de stage, nécessaire à la validation de leur diplôme. C’est le cas de Prisca, étudiante congolaise à Paris. "Ça fait 8 mois que je cherche en vain", déplore la jeune femme en MBA de management. "On me répond que 'malgré toutes mes qualités, la situation ne permet pas d’embaucher'", poursuit Prisca, découragée. En attendant, elle enchaîne les gardes d’enfants entre les cours et la recherche de stages. "Je déconnecte avec les informations pour ne pas trop stresser. Je mets de la musique au lieu de la télévision parce que le moral n'est pas bon du tout", raconte-t-elle. Dans sa résidence étudiante, quasi-vide, "chacun reste dans son coin", alors Prisca passe ses week-ends chez des amis et travaille ses cours à distance à plusieurs avec les copines "pour se ressourcer".
Khadim Dieye, président de l’Association des étudiants sénégalais en France (AESF), admet que pour certains étudiants étrangers, la situation sanitaire a viré au cauchemar. "Le Covid-19 a créé des nœuds administratifs. Au Sénégal, le Bac a eu lieu plus tard que prévu. Certains étudiants sénégalais n’ont pas pu s’inscrire dans les temps dans les universités françaises. D’autres se sont plaints du retard dans l’attribution de leurs visas étudiants. Certaines facultés et écoles françaises ont refusé de les inscrire." Pour ces étudiants sans université, il sera impossible de bénéficier de la sécurité sociale, et très compliqué de faire renouveler leur visa. Ils espèrent désormais pouvoir raccrocher le wagon en intégrant une formation décalée à tout prix.
*Le prénom a été changé.