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Sénatoriales en Géorgie : l’enjeu crucial du vote des minorités

Les deux élections partielles de Géorgie pour le Sénat, le 5 janvier, décideront du contrôle de la chambre haute du Congrès américain. Comme pour la présidentielle du 3 novembre, la mobilisation des minorités pourrait décider du résultat.

Joe Biden officiellement élu président par les grands électeurs, les regards se tournent désormais vers la Géorgie. C’est dans cet État du sud-est des États-Unis que se jouera, lors de deux élections partielles, mardi 5 janvier, l’avenir du Sénat américain et, par la même occasion, les chances de succès de l'administration Biden.

Aucun des candidats n'ayant obtenu plus de 50 % des voix lors du scrutin du 3 novembre, les électeurs de la Géorgie sont de nouveau appelés aux urnes. Les démocrates doivent impérativement remporter ces deux sièges pour revenir à égalité, à 50 sénateurs, face aux républicains, pour l'instant majoritaires dans la chambre haute du Congrès. Car en cas de 50/50 au Sénat, c'est la future vice-présidente, Kamala Harris, qui départagera les votes, permettant ainsi à Joe Biden de pouvoir faire passer plus facilement ses réformes.

With @ossoff and @ReverendWarnock in the Senate, the doors of promise and progress will open in Washington.
https://t.co/RIJ1L4B5o9 pic.twitter.com/Dus1Mft7qD

— Joe Biden (@JoeBiden) December 16, 2020

Le candidat démocrate Raphael Warnock, un pasteur noir qui officie dans l'ancienne église de Martin Luther King à Atlanta, avait créé la surprise en novembre en devançant de plus de 300 000 voix la sénatrice républicaine sortante. Fervente supportrice de Donald Trump, Kelly Loeffler avait toutefois pâti de la concurrence d'un autre républicain.

Dans l'autre scrutin, l'ancien journaliste d'investigation Jon Ossoff a presque fait jeu égal (88 000 voix de retard) avec le républicain sortant David Perdue, soupçonné, tout comme Kelly Loeffler, d'avoir profité d'informations confidentielles au début de la pandémie de coronavirus pour spéculer en Bourse.

Les républicains sont a priori favoris, mais les démocrates espèrent tirer profit de la victoire de Joe Biden dans cet État, qui n’avait pas voté pour un candidat à la présidentielle de leur parti depuis Bill Clinton en 1992. Le futur président des États-Unis s’est d’ailleurs rendu mardi à Atlanta, une ville où le vote des minorités sera, comme dans le reste de l'État, un enjeu crucial du scrutin.

Le rôle clé de Stacey Abrams

Lors de la présidentielle du 3 novembre, Joe Biden n’a devancé Donald Trump en Géorgie que de 12 284 voix. Or, si l’ancien vice-président de Barack Obama a réalisé des gains importants par rapport à Hillary Clinton en 2016 sur l’électorat à hauts revenus, diplômé du supérieur et habitant en banlieue des grandes villes, l’arrivée de nouveaux électeurs issus des minorités a bel et bien été décisive.

"Le vote des minorités a été crucial en novembre et le sera de nouveau en janvier", assure Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis et maître de conférences à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, contacté par France 24. "La participation des Noirs, notamment, a changé la donne grâce au travail de Stacey Abrams."

Georgia, thank you. Together, we have changed the course of our state for the better. But our work is not done.

Join me in supporting @ReverendWarnock and @ossoff so we can keep up the fight and win the U.S. Senate➡️https://t.co/JTyH1UVEtd #LetsGetItDoneAgain #gapol pic.twitter.com/qH5ZfmsgI7

— Stacey Abrams (@staceyabrams) November 7, 2020

Figure du Parti démocrate, élue de la Géorgie à la Chambre des représentants depuis 2010, Stacey Abrams a failli écrire l’Histoire en 2018, lorsqu’elle fut toute proche de devenir la première femme noire gouverneure d’un État américain.

Sa défaite est due à une campagne massive de radiations abusives d’électeurs noirs – plusieurs centaines de milliers de cas constatés – organisée par son adversaire républicain, Brian Kemp, alors secrétaire d’État de la Géorgie.

Victime indirecte, Stacey Abrams décide de lutter contre cette pratique qui rappelle les heures les plus sombres du sud des États-Unis, lorsque des tests de lecture et de compréhension de la Constitution étaient demandés aux électeurs noirs pour pouvoir voter. Elle fonde l’organisation Fair Fight et, en deux ans, aide plus de 800 000 nouveaux électeurs à s’inscrire sur les listes électorales.

Coup du destin, la mort, au cœur de l’été dernier, de John Lewis, figure du mouvement des droits civiques et représentant de la Géorgie au Congrès américain depuis 1986, remet en lumière la lutte des Noirs pour le droit de vote au temps de la ségrégation. "Un événement qui a accentué l’ensemble du narratif de la campagne axé sur la situation actuelle des Noirs", souligne Jean-Éric Branaa.

Un État de moins en moins blanc

Les autres minorités ne sont pas en reste dans la transformation que vit la Géorgie. "Stacey Abrams a compris que les données démographiques étaient en train de changer avec l’arrivée dans cet État de nouveaux électeurs au profil différent. Son organisation a alors entrepris de leur permettre de voter en les aidant à s’inscrire", explique Andra Gillespie, professeure de sciences politiques à l’université Emory d’Atlanta, contactée par France 24.

La part des Blancs dans la population de la Géorgie est ainsi passée de 56 % en 2010 à 52 % en 2019, tandis que celle des Noirs passait dans le même temps de 31 % à 32 %, celle des Latinos de 9 % à 10 % et celle des Asiatiques de 3 % à 4 %, selon le Bureau du recensement des États-Unis. Les minorités devraient devenir majoritaires dans cet État d’ici 2030.

"L’électorat en Géorgie est désormais moins blanc qu’auparavant. Or, les minorités votent davantage pour les démocrates : près des deux tiers des Américains d'origine asiatique et des Hispaniques votent démocrate, tout comme environ 90 % des Afro-Américains. C’est donc une ‘coalition multiraciale’ qui a permis de réduire l’écart avec les républicains", poursuit Andra Gillespie.

Cette coalition se mobilisera-t-elle à nouveau le 5 janvier ? Les organisations de terrain comme Fair Fight y travaillent et continuent d'aider les électeurs à s'inscrire sur les listes électorales. Plus de 75 000 nouveaux inscrits ont ainsi déjà été enregistrés depuis le scrutin du 3 novembre.