logo

Exportations d'armes : le gouvernement opposé à un contrôle parlementaire ?

Une note gouvernementale "confidentiel défense", révélée lundi par Disclose, prend position contre les conclusions d'un rapport parlementaire préconisant un contrôle accru du Parlement sur les exportations d'armement.

C'est un sujet sensible qui met l'exécutif français dans l'embarras. Selon une note de quatre pages classée "confidentiel défense" rédigée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), organisme dépendant du Premier ministre, il apparaît primordial au gouvernement d'empêcher le Parlement d'obtenir un droit de regard sur les ventes d'armes françaises à l'étranger.

D'après cette note révélée lundi 7 décembre par le média en ligne Disclose, un tel contrôle "pourrait mener à une fragilisation du principe du secret de la défense nationale (…) ainsi que du secret des affaires et du secret lié aux relations diplomatiques avec nos partenaires stratégiques". Il pourrait soumettre les clients de la France "à une politisation accrue des décisions" et entraîner une "fragilisation de notre crédibilité et de notre capacité à établir des partenariats stratégiques sur le long terme, et donc de notre capacité à exporter".

⚠️[RÉVÉLATIONS] Un document classé « confidentiel défense » obtenu par https://t.co/aJsaTD26Fz dévoile la stratégie du pouvoir exécutif pour torpiller les propositions du Parlement sur un contrôle plus démocratique des ventes d'armes. https://t.co/E3qz0XSjhx

— Disclose (@Disclose_ngo) December 7, 2020

Datée du 17 novembre, cette note est en fait une réponse par anticipation au rapport parlementaire publié le lendemain par les députés Jacques Maire (La République en marche) et Michèle Tabarot (Les Républicains). Fruit d'un long travail qui a duré deux années, celui-ci recommande notamment de doter le Parlement d'un "véritable pouvoir de contrôle" sur les exportations d'armes, avec la création d'une délégation parlementaire au contrôle des armements, sur le modèle de celle dédiée au renseignement.

"Il n'y avait aucune provocation dans nos propositions. Elles étaient acceptables aussi bien pour le gouvernement que pour les parlementaires ou les ONG", assure Jacques Maire, contacté par France 24. Le député des Hauts-de-Seine évoque "un large consensus".

"Seul pays occidental à ne pas avoir de contrôle parlementaire sur les exportations d'armes"

De son côté, la députée des Alpes-Maritimes Michèle Tabarot se dit "surprise" par le contenu de la note du SGDSN. "Nous avons été régulièrement en contact avec le gouvernement, qui était au courant de nos intentions, souligne-t-elle, contactée par France 24. Il n'avait pas montré d'opposition à cette proposition, qui est pourtant centrale dans notre rapport."

"Si le gouvernement suit cette logique, il fera fausse route, poursuit-elle. La France est le seul pays occidental à ne pas avoir de contrôle parlementaire sur les exportations d'armes. Nous voyons au Royaume-Uni, en Suède ou aux États-Unis que ce contrôle, sans empêcher les ventes d'armes, offre un espace de débat qui est désormais impératif."

Contrôle des exportations d'armes : "La France est le seul pays occidental à ne pas impliquer ses parlementaires", regrette @MTabarot (LR). "Ne pas le faire serait une lourde erreur", ajoute la députée. "L'opacité entretient des doutes."#DirectAN #QAG pic.twitter.com/MJG4oDJuaV

— LCP (@LCP) December 8, 2020

La députée de l'opposition a interrogé, mardi à l'Assemblée nationale, le Premier ministre sur les révélations de Disclose, lors des questions au gouvernement. C'est la ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, qui a été chargée de lui répondre. Celle-ci a refusé de commenter la note de la SGDSN et a rappelé que "les décisions sur les autorisations d'exportation des matériels de guerre sont prises à la suite d'un examen interministériel rigoureux". Elle a également affirmé que le rapport sur les ventes d'armes remis chaque année par le ministère des Armées aux parlementaires répondait "à l'exigence de transparence".

Ventes d'armes : "Les décisions sur les autorisations d'exportation des matériels de guerre sont prises à la suite d'un examen interministériel rigoureux", répond @gdarrieussecq.#DirectAN #QAG pic.twitter.com/bYTz9e0VcR

— LCP (@LCP) December 8, 2020

"Le rapport annuel n'est pas une source d'information suffisante, conteste Michèle Tabarot. Tout le monde sait que ce rapport est incomplet et très critiqué pour son contenu. Il doit être réformé en profondeur." Le rapport du ministère des Armées est notamment accusé de ne mentionner ni les bénéficiaires, ni l'utilisation finale du matériel vendu.

"Nos propositions remettent en cause un tabou"

Membre de la majorité, Jacques Maire reste confiant. "Il ne s'agit pas d'une note du gouvernement, mais d'un service placé auprès de Matignon, précise-t-il. Nous savions qu'il y aurait des difficultés au sein de l'appareil d'État. Nos propositions remettent en cause un tabou qui date de 1958. C'est une question majeure d'un point de vue symbolique. Mais je n'ai aucune inquiétude. J'attends que le gouvernement confirme ses intentions, notamment sur le lancement d'un dialogue avec le législatif pour déboucher, à terme, sur un contrôle."

En attendant une réponse officielle de l'exécutif, trois semaines après la publication du rapport parlementaire de Jacques Maire et Michèle Tabarot, les ONG, de leur côté, ont vivement réagi aux révélations de Disclose. Elles sont treize, parmi lesquelles Human Rights Watch, Amnesty International et Oxfam, à souligner "qu'il serait honteux que le gouvernement français s'oppose à une plus grande transparence et au renforcement du contrôle du Parlement sur les ventes d'armes françaises".

"Il serait consternant que le gouvernement préfère le statu quo de l'opacité à un réel contrôle parlementaire sur les exportations d'armes françaises, alors que ces dernières sont accusées depuis des années de contribuer à des crimes de guerre contre les civils au Yémen et à la répression brutale en Égypte, en violation flagrante des obligations internationales de la France", juge notamment Bénédicte Jeannerod, présidente de Human Rights Watch France, dans un communiqué.

Sollicité par l'AFP, Matignon s'est contenté de répondre, sans évoquer la note, que le rapport des deux députés préconisait "un certain nombre d'évolutions qui méritent d'être étudiées avec attention dans le respect des prérogatives du gouvernement" et qu'il "travaillera avec le Parlement à ces sujets dans le cadre des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs (...) et de la préservation des secrets protégés par la loi".