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Le département de la Justice a déposé plainte, jeudi, contre Facebook, accusant le réseau social d’avoir privé des ressortissants américains de la possibilité de postuler à plus de 2 600 emplois. Une procédure aux relents xénophobes qui en dit long sur la guerre menée par le président Trump contre les travailleurs immigrés et les géants de la Tech.

C'est un condensé du "Trumpisme" économique. Le département américain de la Justice (DOJ) a déposé, jeudi 3 décembre, une plainte qui vise deux des boucs-émissaires favoris du président sortant : un géant de la Tech et les immigrés. 

L'administration Trump accuse Facebook de discrimination à l'embauche… en faveur de travailleurs immigrés. Le réseau social aurait, à plus de 2 000 reprises entre début 2018 et septembre 2019, favorisé la candidature de détenteurs de visa de travail temporaire pour des postes à haut salaire sans chercher sérieusement à savoir s'il y avait des candidats de nationalité américaine, affirme le département de la Justice dans une plainte de 17 pages.

Poste à 154 000 dollars par an

Cette action en justice est l'aboutissement de deux ans d'enquête fédérale, débutée avec le cas d'un directeur artistique. En 2018, Facebook avait déposé une demande de visa de travail permanent afin de pouvoir proposer à l'un de ses employés - qui ne disposait que d'un visa temporaire - un poste de directeur artistique. Dans sa requête, le groupe assurait avoir d'abord cherché sans succès à proposer cet emploi à des ressortissants américains, comme l'exige la loi.

Les règles en la matière sont, en effet, très strictes aux États-Unis. Un employeur doit d'abord prouver qu'il n'y a pas pour un poste donné un candidat américain "disponible et disposant des qualifications minimales requises" avant de le proposer à un travailleur immigré. 

En l'occurrence, le département de la Justice a eu du mal à croire que Facebook n'a pas été en mesure de dénicher un citoyen américain doté d'une licence et ayant deux ans d'expérience, prêt à travailler pour l'une des entreprises les plus en vue du pays pour un salaire de 154 000 dollars (environ 127 000 euros) par an.

À partir de là, et en fouillant un peu, l'administration Trump a comptabilisé 2 600 embauches pour lesquelles elle juge que Facebook n'a pas respecté les règles. En fait, le département de la Justice suggère dans sa plainte que le réseau social a mis en place tout un système visant à réserver des postes à des détenteurs de visas temporaires ce qui leur permet de devenir des résidents permanents, et potentiellement, à terme, des citoyens américains.

"Facebook a tout fait pour réserver ces postes aux détenteurs de visas temporaires, au détriment des Américains, en ne publiant pas ces offres d'emplois sur son site et en obligeant à soumettre les candidatures par voie postale plutôt que par e-mails", soutient la plainte. En fait, le département de la Justice accuse le réseau social de s'être arrangé avec ces travailleurs immigrés pour leur créer des postes taillés sur mesure et d'avoir donné, ensuite, le minimum légal de visibilité à ces offres d'emplois.

Pas suffisamment "America First" dans le recrutement

"Notre message aux employeurs est clair : si vous privez [les travailleurs américains] d'opportunités d'emploi en mettant en place un système illégal pour favoriser les détenteurs de visas temporaires, nous vous poursuivrons", a affirmé Eric S. Dreiband, le directeur du département des droits civiques du ministère américain de la Justice.

Facebook n'est pas le premier groupe à être visé par l'administration Trump pour des faits similaires, affirme le Wall Street Journal. Le DOJ traque depuis 2017 les entreprises du secteur tech qui sont soupçonnées de ne pas se montrer suffisamment "America First" dans leurs recrutements, mais "jusqu'à présent toutes les affaires se sont soldées par des arrangements en dehors des salles d'audience", souligne le quotidien économique de la Côte Est. 

Le géant des réseaux sociaux a décidé, lui, de se défendre. Il a contesté les allégations du département de la Justice tout en assurant qu'il "coopérait avec les autorités". Cet affrontement des géants permet, en tout cas, de constater jusqu'où l'administration Trump est prête à aller pour mettre des bâtons dans les roues des travailleurs immigrés.

En 2017, "peu après l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le DOJ avait déjà publié un mémo avertissant les entreprises de ne pas ‘discriminer' contre les travailleurs américains en ayant recours abusivement à des travailleurs dotés de visas temporaires", rappelle le site spécialisé dans l'actualité des nouvelles technologies Protocol.

Washington s'est ensuite montré beaucoup plus avare, sous Donald Trump, dans l'attribution des fameux visas permettant de travailler trois ans (renouvelable une fois) aux États-Unis. L'an dernier, plus de 20 % des demandes ont été rejetées alors qu'en 2015, les États-Unis n'avaient refusé que 5 % de ces précieux sésames.

Baroud d'honneur

La situation n'a, enfin, fait que s'envenimer avec la pandémie de Covid-19. En juin 2020, Donald Trump a tout simplement interdit d'octroyer de nouveaux visas temporaires, assurant que le contexte économique difficile rendait nécessaire de "réserver tous les emplois possibles" pour les ressortissants américains. 

Mais cette guerre contre les travailleurs immigrés n'est pas seulement un moyen pour le président sortant de satisfaire sa base la plus xénophobe. Elle lui permet aussi de compliquer un peu plus la vie de la Silicon Valley qui apparaît, aux yeux du camp pro-Trump, comme un dangereux nid à "libéraux". Les entreprises du secteur tech sont, en effet, celles qui dépendent le plus de la main-d'œuvre étrangère. Près d'un tiers des employés de Facebook, par exemple, sont des travailleurs immigrés, a calculé Reuters l'an dernier.

Si Facebook a décidé de se défendre devant les tribunaux dans cette affaire au lieu de chercher un compromis, c'est probablement parce que la société espère que Joe Biden, le président élu, abandonnera la procédure lorsqu'il entrera en fonction en janvier 2021, estime The Guardian.

Pour Donald Trump, "c'est le baroud d'honneur d'un président en bout de course", analyse la BBC. Il se doute que l'affaire ne survivra pas à l'arrivée de son successeur à la Maison Blanche. Mais la plainte lui permet de dire à ses fans qu'il gardera le cap jusqu'au bout. Et si, comme prévu, Joe Biden enterre l'affaire, Donald Trump pourra toujours s'en servir pour critiquer un président qui ne protègerait pas les "intérêts" des travailleurs américains. C'est un peu gros, mais ça peut toujours servir dans le cas où Donald Trump voudrait, comme il l'a laissé entendre, se représenter en 2024.