
L'actrice française Brigitte Bardot se rend au Palais de justice de Paris accompagnée de son avocat Robert Badinter, le 21 novembre 1962. © STF / UPI / AFP
De Robert Badinter, qui entrera au Panthéon le 9 octobre, on connaît moins la carrière "d'avocat paillette" que son combat pour l'abolition de la peine de mort. Cette partie de sa vie est méconnue : avant de suivre les traces de son idole Victor Hugo, il avait, en effet, côtoyé de nombreuses célébrités.
À la Libération, après avoir réchappé à la Shoah, Robert Badinter s'inscrit en faculté de lettres et de droit à Paris, puis part étudier quelques mois à New York. Revenu en France en 1949, il désire enseigner le droit, mais il est encore trop jeune pour se présenter à l'agrégation. Pour gagner sa vie, il se résout à devenir avocat. "Si j'avais pu passer le concours d'agrégation avant, je ne serais jamais probablement devenu avocat. J'ai eu beaucoup de chance. J'ai aimé le métier passionnément, mais au départ, ce n'était pas une vocation", avait-il raconté en 2023 lors d'un entretien pour l'INA.
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Accepter Gérer mes choixUn an plus tard, après avoir prêté serment, il apprend qu'Henry Torrès, l'un des plus prestigieux avocats de l'époque, cherche un collaborateur. Au culot, le jeune homme se rend dans son cabinet et lui propose ses services. Son audace paye. Il est recruté. Henry Torrès, qui a réchappé à la Shoah en se réfugiant aux États-Unis, le prend sous son aile et lui confie de nombreuses affaires. Il participe notamment avec succès à la défense en 1954 du chef de la Résistance de la Haute-Vienne, Georges Guingouin, poursuivi pour des crimes de droits commun lié aux règlements de comptes de la Libération.
Mais en 1955, Henry Torrès, alors sénateur, décide de se consacrer uniquement à la politique. Robert Badinter se retrouve sans clients et sans le sou. Le hasard lui permet de rencontrer le cinéaste américain Jules Dassin, issu lui aussi d'une famille juive originaire de Russie. Victime de la chasse aux sorcières maccarthyste contre les réalisateurs supposés communistes, il a été contraint de s'exiler en Europe, comme l'explique le jeune avocat : "Il vient me voir à propos d'un problème juridique. Et il me dit :'Robert, autant que je vous dise la vérité, je n'ai pas d'argent'. Et je lui ai dit, 'Moi, je n'ai pas de client, donc on est fait pour s'entendre'". Robert Badinter perd cette affaire de droits d'adaptation, mais met un pied dans l'univers du septième art.
Il fait notamment la connaissance du célèbre avocat italien Ercole Graziadei qui lui demande de défendre à Paris l'acteur et réalisateur Charlie Chaplin : "Je ne sais pas si vous imaginez un jeune avocat impécunieux qui n'a pas de client et qui s'entend dire ça. J'ai plaidé cette affaire, juridiquement très intéressante, qui s'appelle 'Les droits d'auteur du kid'. J'ai sauvé les droits d'auteurs en question et je suis devenu très lié avec la famille Chaplin. C'était une chance. Je crois beaucoup à la chance. Et c'est comme ça que ma carrière cinématographique s'est faite, dans un milieu dans lequel abondaient les juifs venus d'Europe centrale et ayant quelques ressemblances avec moi".
Des noces de cinéma
Robert Badinter ne fait pas que lier des contacts professionnels avec le monde du cinéma. En 1956, il fait la connaissance dans un restaurant parisien d'une actrice en vogue, Anne Vernon. Dans son autobiographie intitulée "Hier, à la même heure" (Acropole éditions), la comédienne s'était souvenue de cette rencontre : "Il n'était pas habillé chez Lapidus et n'appartenait pas à l'espère m'as-tu-vu du show-business. Rien de mou chez lui, mais un frémissement intime, un parfum de loyauté, de candeur, un preux chevalier". Entre l'avocat et l'artiste, c'est le coup de foudre. Ils célèbrent leur mariage un an plus tard. Le couple cotoie alors le réalisateur italien Roberto Rosselini "qui avait pris pension à dîner tous les soirs à la maison".

Les dossiers continuent de s'enchaîner pour Robert Badinter. En 1962, il défend notamment Brigitte Bardot, l'une des actrices les plus célèbres du monde, car elle refuse de payer une facture qu'elle juste exagérée pour des réparations effectuées sur sa Rolls-Royce. Il étoffe également son carnet d'adresses en devenant l'avocat de plusieurs journaux dont l'Express, après avoir sympathisé avec Françoise Giroud. Une fois par semaine, il se rend à la rédaction pour corriger les articles "bourrés de provocations et de diffamations". Spécialisé dans les droits d'auteur, il s'occupe aussi de grandes maisons d'édition comme Fayard.
Côté vie privée, sa relation avec Anne Vernon s'étiole. Le couple n'arrive pas à avoir d'enfants. "J'avais connu avec Robert, les plus intolérables déceptions qu'une femme puisse éprouver. Ayant perdu par deux fois l'espoir d'une maternité dans des accouchements prématurés, je compris qu'il n'y fallait plus compter pour l'avenir et que notre couple n'avait plus toute sa raison d'être", a-t-elle résumé dans son autobiographie.

L'actrice joue en 1963 dans "Les parapluies de Cherbourg" de Jacques Demy dans lequel elle interprète la mère de Catherine Deneuve. Le film triomphe au festival de Cannes et elle se retrouve embarquée dans une tournée mondiale. Dans le même temps, Robert Badinter décide enfin de passer l'agrégation de droit privé. L'avocat et la comédienne ne sont plus sur la même longueur d'onde. Au retour d'un voyage, il n'est plus là et a laissé quelques mots griffonnés sur un billet : "Nous nous sommes perdus en chemin".
Empain, Coco Chanel, Connors...
Pendant un temps, Robert Badinter continue de s'occuper des affaires juridiques de personnalités. Après avoir fondé, avec Jean-Denis Bredin, son cabinet d'avocats, il défend notamment le baron Edouard-Jean Empain après son médiatique enlèvement, la créatrice de mode Coco Chanel ou encore l'Aga Khan. Il se remarie également avec Elisabeth Bleustein-Blanchet, la fille de l'un de ses clients, Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur de Publicis.
Le cabinet, situé au 130 rue du Faubourg-Saint-Honoré, prospère. Mais en 1972, cette vie d'avocats d'affaires prend un autre tournant. Philippe Lemaire, le demi-frère de son associé Jean-Denis Bredin, le contacte pour lui proposer de l'assister dans la défense de Roger Bontemps, accusé aux côtés de Claude Buffet d'avoir tué une infirmière et un gardien de la centrale de Clairvaux.
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Accepter Gérer mes choixPour la première fois, l'ex-avocat des stars de son temps défend un homme qui risque la peine de mort. Alors qu'il n'arrive pas à éviter l'échafaud à son client, Robert Badinter, déjà abolitionniste dans l'âme, devient militant : "Le matin, à l'aube, quand, après l'exécution, j'ai redescendu le mur de la Santé, Élisabeth m'attendait dans la voiture. Je me suis juré que tant que je vivrais, je lutterais contre la peine de mort. Ce n'est pas seulement l'influence de Hugo ou de Jaurès. Non, c'était, une résolution absolue".
S'il défendra encore des célébrités comme le tennisman Jimmy Connors ou encore la milliardaire Marie Christine von Opel, il va désormais consacrer la plus grande partie de son énergie à combattre la peine capitale jusqu'à son abolition en 1981.