Les personnes atteintes d'un handicap éprouvent encore plus de difficultés que la moyenne pour accéder au marché du travail en France. À l'occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, France 24 donne la parole à Camille, qui a dû faire face à plusieurs reprises à des discriminations à l'embauche. Témoignage.
Le handicap reste encore un frein pour trouver un emploi en France en 2020 : les personnes dans cette situation ont un taux de chômage deux fois plus important que dans le reste de la population active – 16 % contre 8 % –, selon des données publiées récemment par Pôle Emploi.
En cause, des difficultés d'accessibilité dans les entreprises, un plus faible niveau de qualification… et des discriminations persistantes, comme celles dont Camille a été victime à plusieurs reprises cette dernière année, lors de deux entretiens d'embauche.
À 40 ans, cet homme vit depuis une dizaine d'années avec une neuropathie, "un handicap invisible qui provoque des douleurs récurrentes au niveau des membres inférieurs et supérieurs, voire parfois des paralysies", explique-t-il. Ce qui lui vaut professionnellement une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), qui permet notamment de bénéficier de dispositifs à l'insertion professionnelle ou encore d'aménagement d'horaires.
"Mais comment ça, c'est un handicapé ?"
Camille travaille depuis plusieurs années près de Nantes (Loire-Atlantique) pour une entreprise privée, où il est chargé des litiges et des recouvrements. En octobre 2019, il trouve un poste "très intéressant" dans une autre entreprise. Il postule ; le premier entretien avec le responsable de site "se passe bien, sans souci et dans un climat de confiance", raconte-t-il. Quelques jours plus tard, un second entretien, cette fois-ci avec le directeur parisien de l'entreprise et la directrice des ressources humaines. Un échange vidéo "courtois" de quasiment une heure avant que l'employeur demande – et comprenne – la signification de la mention RQTH sur le CV de Camille.
"Là, son visage a totalement changé, j'ai vu une crispation, se rappelle Camille. Puis il a dit à la DRH : 'Quoi ? Mais comment ça, c'est un handicapé ?' La DRH me demande d'attendre quelques minutes, le temps d'avoir une discussion en aparté avec le directeur. Mais ils n'avaient pas coupé leur micro… Et j'ai entendu l'échange se poursuivre : ‘Non mais ça ne va pas, je ne vais pas prendre un mongol, tu crois qu'on n'a pas assez de débiles dans l'entreprise ?' J'ai alors mis fin à la discussion, je n'étais pas là pour me faire insulter".
Camille retient de cet épisode un souvenir "blessant". Sur le coup, il en était même venu à culpabiliser, pensant "avoir fait une erreur" : "Je me suis dit : 'Pourquoi est-ce que j'ai mis RQTH sur mon CV' ? Est-ce qu'il ne fallait pas que je cache que j'étais handicapé, vu que c'est un frein ?"
Un employeur qui "voulait ‘son' handicapé"
Le quadragénaire ne le savait pas encore, mais il allait revivre cette expérience discriminante en entretien d'embauche une seconde fois, quelques mois plus tard, dans un autre style. En juillet 2020, il postule à une autre offre d'emploi. L'employeur est très intéressé par son profil, au point de lui proposer un entretien avant la fin de la date limite de candidature. "En moins de cinq minutes, on parle de ma RQTH. Je reste alors sur mes gardes avec ma précédente mauvaise expérience, se souvient Camille. Et là, l'employeur me dit : 'Ah mais ne vous inquiétez pas : j'adore les handicapés, je n'en ai pas dans ma boîte et j'aimerais bien en avoir un'".
Le candidat essaie de recentrer la discussion sur ses compétences, mais l'employeur en face de lui ne pense qu'à son statut de RQTH. "Lui, il était bloqué, il voulait 'son' handicapé, résume Camille. Dans son discours c'était 'quand je mange avec mes copains directeurs, il en ont tous un dans leur entreprise, alors que moi je n'en ai pas'. J'avais envie de lui répondre : 'Je m'en fous, on n'est pas dans un dîner de cons'."
Quelques jours plus tard, la DRH de l'entreprise le rappelle. Camille refuse le poste, car il ne veut pas servir de "faire-valoir". Mais l'histoire ne s'arrête pas là : "Ils ont tout tenté jusqu'au bout pour recruter mon handicap, même une surenchère de 300 euros sur la proposition de salaire initiale", précise-t-il. "Franchement, ça fait mal : j'ai 40 ans, j'ai des diplômes, j'ai quasiment toujours travaillé, et la seule valeur qu'on me reconnaisse c'est d'être handicapé".
"Encore une peur en entreprise des personnes handicapées"
Ces deux exemples de discriminations à l'embauche font dire à Camille qu'il reste encore aujourd'hui "un problème de mentalité" dans la manière d'appréhender le handicap en entreprise. Il a l'impression que les personnes "d'un certain âge" occupant des postes à responsabilités "ont encore des a priori". Selon lui, "ils ont encore peur des personnes handicapées, ils pensent qu'on va leur coûter cher et qu'on ne va pas être rentables."
Dans son entreprise actuelle, Camille peut compter sur son employeur et ses collègues de travail qui "reconnaissent (s)es qualités professionnelles". Quand il a des soucis de santé, il sent aussi "de la bienveillance" de leur part et "une bonne intelligence" pour adapter son rythme de travail en cas de nécessité.
Une situation professionnelle finalement "plutôt saine", reconnaît Camille. Il continue tout de même de prospecter, garde un œil sur les offres d'emplois d'autres entreprises. En espérant que sa prochaine candidature ne rime pas avec discrimination.