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Covid-19 : la Suisse et l’Espagne vont-elles profiter de la fermeture des stations de ski françaises ?

Le débat sur l’ouverture des stations de ski pendant les fêtes se transforme en bataille européenne, où la France, l’Italie et l’Allemagne, dont les stations restent fermées, font face à une fronde de l’Autriche et de la Suisse. L’Espagne pourrait elle aussi profiter de l’or blanc en maintenant ses domaines skiables ouverts.

À Châtel, en Haute-Savoie, le maire Nicolas Rubin ne décolère pas. "La décision de fermer les remontées mécaniques a été prise trop tôt et sans concertation des territoires. Il était question d‘être reçus à Matignon mais on nous a coupé l’herbe sous le pied", indique-t-il à France 24. Sa commune se situe sur le domaine skiable des Portes du soleil, l’un des plus grands du monde. Cette année, pour cause de Covid-19, les deux tiers des pistes resteront fermées, mais pas toutes. Le domaine est à cheval sur deux pays, la France et la Suisse. Les stations resteront ouvertes côté Suisse, où les autorités helvétiques n’appliquent pas de mesures sanitaires aussi strictes qu’en France, malgré un nombre relativement élevé de décès au niveau national liés au coronavirus.

En signe de protestation, depuis plusieurs jours flottent à Châtel des drapeaux suisses. Nicolas Rubin en a paré toutes les façades de sa mairie. "Côté pile on pourra skier. Côté face, ce sera interdit. C’est absurde", fait remarquer l’édile. "La station suisse de Morgins est à moins de 5 minutes en voiture. Ceux qui auront envie de skier iront là-bas et il y aura de l’affluence sur les pistes. On ne voit pas comment on va gérer ça".

Manque d’écoute, de concertation, décision prise trop tôt, la France décide de fermer ses domaines skiables quand sa voisine prend une autre position. Symboliquement, la Mairie de @Chatel_Officiel pavoisée aux couleurs de la Suisse. #ski #tourisme #economie #emplois @PDS_officiel pic.twitter.com/JvHBFYIOvE

— Nicolas Rubin (@nicolasrubin) November 28, 2020

"Manque de cohérence à l’échelle européenne"

Pour répondre au mécontentement des acteurs français de la montagne, le gouvernement envisage de mettre en place une période d'isolement de sept jours pour les Français qui seront allés skier à l'étranger pendant les fêtes, avec des contrôles aléatoires aux frontières de l'Espagne et de la Suisse, a affirmé mercredi 2 décembre le Premier ministre Jean Castex. "Ça parait difficilement applicable, je me méfie des effets d’annonce", estime toutefois Alexandre Maulin, le président de Domaines skiables de France (DSF), contacté par France 24.

Depuis l’annonce le 26 novembre de la fermeture des remontées mécaniques dans les stations de montagne françaises, l’exécutif fait tout pour calmer la colère du secteur. Le gouvernement a proposé lundi une série de mesures d'aides. Elles comprennent notamment une indemnisation des exploitants de remontées mécaniques fermées en décembre, et le recours au chômage partiel pour les milliers de saisonniers concernés. Un dispositif jugé insuffisant par le président de la DSF, chambre professionnelle regroupant plus de 250 domaines français. "Tout ce que l’on demande, c’est de pouvoir travailler", affirme-t-il, pointant un "manque de cohérence à l’échelle européenne".

"L'action diplomatique continue" pour tenter de parvenir à une harmonisation européenne, a promis Jean Castex mercredi. Pour le moment Bruxelles n'entend pas imposer de règle commune, au grand dam de Paris et de Berlin. Si la France est embarrassée par l’ouverture des stations suisses et espagnoles, la chancelière allemande, elle, a eu des soucis avec son voisin autrichien.

Des quarantaines en cas de passage de frontière pour skier

Angela Merkel s'est positionnée en faveur d'une interdiction du ski dans l’Union européenne jusqu'au 10 janvier pour éviter la propagation du Covid-19. Or l'Autriche est strictement opposée à l’arrêt de ses activités liées aux sports d’hiver, importante source de revenu national. Face à la pression allemande, le pays a fini par imposer mercredi la fermeture des hôtels et des restaurants de ses stations de ski, ce qui revient de facto à réserver leur accès à la population vivant à proximité ou aux personnes en visite pour la journée.

Le gouvernement autrichien a en outre précisé que, jusqu'au 10 janvier, une période d'isolement de dix jours serait imposée à toute personne arrivant d'un pays dont le taux d'incidence a été supérieur à 100 cas pour 100 000 habitants au cours des deux semaines précédentes.

L'Allemagne avait, quant à elle, déjà imposé dix jours de quarantaine au retour de voyage, pour ceux qui voudraient traverser la frontière et dévaler les pentes autrichiennes, ne serait-ce que pour une journée. Les autorités allemandes gardent en mémoire l’épisode de la station de ski autrichienne d’Ischgl, surnommée "l’Ibiza des Alpes", où des milliers de touristes européens se sont contaminés au Covid-19 l’hiver dernier, avant de propager le virus dans leurs pays respectifs, notamment l'Allemagne.

L’Italie, dont les domaines skiables restent fermés, envisage de faire de même avec ses résidents qui seraient tentés par une virée sur les pistes suisses. Les principales régions de ski italiennes (Piémont, Lombardie ou Haut-Adige) se trouvent actuellement en zone épidémique "rouge" où tous les déplacements en dehors de sa propre commune sont interdits, sauf raisons motivées. "Il n'est pas possible de permettre des vacances à la neige, nous ne pouvons pas nous le permettre", a affirmé le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte cette semaine.

Covid-19 : la Suisse et l’Espagne vont-elles profiter de la fermeture des stations de ski françaises ?

L’Espagne, où les contaminations au Covid-19 ont fortement diminué, s’est dite quant à elle, prête à autoriser le ski à partir du 11 décembre. Mais les conditions restent à définir entre le gouvernement central et les régions espagnoles, selon le ministre de la Santé, Salvador Illa. "Le gouvernement veut éviter le brassage ? Mais le brassage dans les Pyrénées va se faire de toute façon, les Français iront skier côté espagnol", s’est indigné la présidente de la Région Occitanie Carole Delga avant les annonces de mise en quarantaine du gouvernement.

En revanche dans les Pyrénées toujours, Andorre, qui devait ouvrir ses domaines le 4 décembre, n’a toujours pas reçu le feu vert des autorités de la Principauté. Elles pourraient s’aligner sur la décision française, étant donné qu'Emmanuel Macron est "coprince" de ce petit État.

Les domaines français s’inquiètent de perdre leur clientèle étrangère

Aux côtés de l'Allemagne, et probablement de l'Italie, Emmanuel Macron a dit mardi vouloir "convaincre nos partenaires", comme la Suisse ou l'Espagne. Le président français souhaite éviter "une situation de déséquilibre avec des stations en France". Les préfets des départements limitrophes pourront "ordonner un isolement de sept jours" pour les Français qui rentreraient d'une station de ski suisse ou espagnole, a ajouté Jean Castex.

Quid des touristes étrangers ? L’enjeu est de taille au niveau local. "Nous savions que cette saison ne serait pas une saison comme les autres, en raison de la réduction de la clientèle étrangère, mais là c’est une catastrophe", déplore Nicolas Rubin, le maire de Châtel.

Près de 40 % des skieurs du domaine sur lequel se situe sa commune viennent habituellement des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de Belgique et d’Allemagne. Des touristes qui n’hésiteront pas à aller skier plus loin, en Suisse ou en Autriche.

Les Alpes attirent 43 % des skieurs de la planète avec des bénéfices qui s’élèvent à 28 milliards d’euros par an. Et Alexandre Maulin rappèle que la France est le deuxième pays à en profiter derrière l’Autriche. "On ne souhaite pas le malheur des autres. Mais quand le premier reste ouvert et que l’autre ferme, ça a un impact", résume le président de DSF. Or les pertes économiques pour le secteur du ski français - tout massif - s’élèvent déjà entre 15 % à 20 % des recettes à la suite du premier confinement, soit près de 2 milliard d’euros, d’après les chiffres des professionnels de DSF.

Quant aux européens aux budgets plus serrés, ils pourraient être tentés par de nouvelles destinations de ski à bas coût. En Bulgarie, la station de Bansko, Mecque européenne du ski "low cost", prévoit également d'ouvrir alors que le pays affronte une flambée de l'épidémie et une saturation des services hospitaliers.

Avec AFP