
Cette semaine, incroyable à tous points de vue, le maître-mot semble être "vague" : seconde vague de Coronavirus dans toute l'Europe, vague d’attentats terroristes en France et en Autriche, et résultats de l’élection américaine tellement vagues pendant des jours que le monde entier s'interroge sur la suite. Pascal Lamy, ancien directeur de l'OMC, nous livre son analyse sur ces derniers événements.
"Ici l'Europe" reçoit Pascal Lamy, ancien Commissaire européen mais également directeur de l'OMC pendant 8 ans, qui préside désormais le Forum de Paris sur la paix, événement international portant sur les questions de gouvernance mondiale et de multilatéralisme, qui se tient en virtuel cette année du 11 au 13 novembre.
Avec l'élection de Joe Biden aux États-Unis, c'est pour lui une "très bonne nouvelle pour le monde et les Européens" de retrouver les Américains dans le jeu international, et pouvoir régler les problèmes "en se parlant, en négociant, en coopérant, plutôt qu'en échangeant des coups et souvent des insultes". Il met cependant en garde sur le fait que cela ne changera pas "la rivalité entre les États-Unis et la Chine" et que cela "aura des conséquences sur le triangle États-Unis/Chine/Europe". Il faudra "coopérer davantage avec les Américains pour amener les Chinois à respecter un certain nombre de règles du jeu de la coopération internationale, et notamment en matière commerciale". Dans ce cadre, Pascal Lamy se satisfait de l'émancipation de l'Union européenne vis-à-vis des États-Unis, estimant que "c'est une bonne chose de la poursuivre", car l'expérience avec Donald Trump montre que "le regard américain sur l'Europe n'est plus ce qu'il était", et cela sera le cas "même avec Joe Biden".
Il regrette la décision de Donald Trump de se retirer des grandes institutions internationales telles que l'OMC et l'OMS ainsi que de l'Accord de Paris et insiste sur l'importance de travailler avec Joe Biden, car il est "beaucoup plus favorable à la transition écologique que Trump qui, au fond, en niait la nécessité", mais rappelle que "la politique américaine, l'économie américaine, le système énergétique américain mettra beaucoup de temps avant d'aller vers la neutralité carbone" qui est "l'objectif européen pour 2050".
"Mieux s'organiser" contre le terrorisme
Selon Pascal Lamy, "si l'Europe est frappée plus que les autres" par les attaques terroristes, c'est qu'elle a "un mode de relation entre l'État et la religion qui s'appelle la laïcité", un principe sur "lequel nous ne devons pas revenir" mais qui "met inévitablement l'Europe en difficulté face à des extrémistes qui considèrent que la religion doit gouverner toute la vie des gens". Toutefois, la lutte contre le terrorisme est une "affaire de réseau de renseignements et de police à l'intérieur de l'espace européen ainsi qu'une affaire de coopération" : il faut "mieux s'organiser" et "garder correctement nos frontières extérieures", quitte à également "remettre de temps en temps des frontières intérieures, comme cela est fait avec la crise du Covid".
Interrogé sur le rôle des réseaux sociaux dans notre société, il estime qu'il est "très important", mais alerte sur le fait qu'en tant que média, il faudrait en "sortir un certain nombre de la loi du marché, car "les règles du jeu du capitalisme de marché ne peut pas s'appliquer à toutes les plateformes, qui sont des industries qui traitent l'information comme une marchandise".
"Le multilatéralisme allait mal avant le Covid, et il va encore plus mal avec le Covid", regrette-t-il, affirmant qu'en trente années à son service, il n'avait "jamais vu un niveau de coopération internationale aussi médiocre, aussi bas que ces temps-ci". Il soutient une diversification "des acteurs de la vie internationale pour relancer le multilatéralisme, pour ajuster ce système international qui est à la peine comme on le constate malheureusement actuellement" et souhaite donc "y associer des ONG, des entreprises, des grandes institutions académiques, des villes", comme dans le cadre du Forum de Paris sur la paix.