Anxiété, isolement social, comportements addictifs… Le deuxième confinement débuté vendredi pourrait fragiliser encore davantage la santé mentale de nombreux Français, déjà mise à mal depuis le printemps, estime la psychiatre Astrid Chevance.
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Le moral déjà affaibli par la crise sanitaire, les Français ont entamé, vendredi 30 octobre, un deuxième confinement national pour tenter de freiner la propagation du Covid-19. Nombre d'entre eux ont ainsi renoué avec le télétravail, les attestations de sortie, mais aussi avec l’angoisse de voir la pandémie s’éterniser.
Anxiété, comportement addictifs, isolement… Les conséquences d’un deuxième confinement sur la santé mentale des citoyens pourraient s’avérer encore plus préoccupantes, estime Astrid Chevance, psychiatre et chercheuse en épidémiologie au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS) de l’Inserm. Entretien.
Ce deuxième confinement s’annonce comme une nouvelle épreuve. Doit-on craindre des effets psychologiques plus importants sur la population ?
Astrid Chevance : Il est très difficile pour les scientifiques, et encore plus pour les médecins, de faire des prédictions car nous vivons une situation inédite. Toutefois à la différence du premier confinement, les enquêtes faites sur la santé mentale des Français, comme celle réalisée par Santé publique France, montrent que la population se trouve aujourd’hui particulièrement fatiguée. Les symptômes dépressifs sont déjà très présents et pourraient donc s’avérer plus importants à l’avenir. Le moral des troupes n’est pas bon.
Lors des premières semaines de mars, on avait observé chez certaines classes sociales, une forme d’exaltation. La situation était inédite et certains, même s’ils sont minoritaires, ont pu considérer cette période comme une espèce d’opportunité. Aujourd’hui, nous ne sommes évidemment plus dans ce cas de figure. Les gens ont pris conscience que nous nous trouvions face à un phénomène qui n’est pas totalement maîtrisable et dont nous ne connaissons pas l’issue. Il y a donc une angoisse générale liée à toutes ces incertitudes.
De plus, nous avons déjà dû changer nos habitudes lors de la première vague, ce qui a pu être vécu comme une épreuve fatigante pour beaucoup. Et malgré ces efforts, on voit que cela ne suffit pas. Il y a donc une usure psychique générale car on ne voit pas le bout de cette crise sanitaire.
La saison hivernale peut-elle aggraver cette usure psychique ?
Les dépressions saisonnières se manifestent classiquement en novembre. Le fait de devoir rester enfermé chez soi pendant cette période et en réduisant nos contacts sociaux ne va évidemment pas aider. Déjà habituellement, la période des fêtes est souvent vécue difficilement par les personnes souffrant de troubles psychiques ou en situation d’isolement social.
Mais cette fin d’année risque d’être encore plus compliquée à vivre pour tout le monde, car les réunions familiales pourraient ne pas être autorisées. Cette idée reste aujourd’hui difficilement acceptable pour de nombreuses familles.
Quelles sont les personnes les plus vulnérables et susceptibles de souffrir davantage de ce deuxième confinement ?
Les personnes les plus à risques sont d’abord celles victimes de violences domestiques et confinées avec leur agresseur, c’est-à-dire majoritairement des femmes et des enfants. Même dans ce contexte particulier, ces personnes ne doivent surtout pas rester à la maison avec leur agresseur. Il faut qu’elles se protègent et contactent des associations susceptibles de pouvoir les aider (3919 ou 119).
Une autre population à risque est aussi celle souffrant de maladies chroniques, psychiatriques ou non. Ces personnes pourraient se sentir abandonnées dans leur suivi du fait de la surcharge des hôpitaux. Mais il ne faut surtout pas qu’elles rompent leurs soins. Les étudiants pourraient aussi souffrir davantage. Beaucoup se trouvent isolés et loin de leur famille, dans une situation de profonde incertitude face à leur avenir. Enfin, une dernière frange de la population pourrait se montrer encore plus vulnérable : les personnes qui ont vécu un deuil pathologique lors de la première vague.
De nombreuses personnes qui ont perdu un proche au printemps dernier n’ont pas pu faire leur travail de deuil. Certains n’ont pas pu assister à un enterrement ou accompagner leur proche comme ils le souhaitaient. Les rituels sociaux et les rites funéraires qui encadrent les deuils permettent d’être dans une phase de transition. Mais certaines personnes souffrent encore aujourd’hui de ne pas l’avoir faite. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement a assoupli certaines restrictions (cimetières toujours ouverts, visites possibles à des proches en maison de retraite).
Quels conseils donneriez-vous pour mieux appréhender cette période ?
Cela peut sembler difficile car nous n’avons pas tous les mêmes conditions matérielles, mais il faut pouvoir diversifier autant que possible ses activités. Car lorsque nous sommes coincés dans un mode de fonctionnement, nous nous coupons du reste du monde. Si les symptômes d’anxiété sont toutefois trop importants, il ne faut surtout pas hésiter à contacter son médecin.
Plus généralement, il faut faire le tri dans notre entourage et garder le lien avec les personnes qui nous sont “porteuses”. Il est également primordial de maintenir le contact avec les plus fragiles, surveiller ceux qui ne vont pas bien. Gardez également un rythme de vie régulier : ne pas décaler son cycle de sommeil, manger à heures régulières, essayer de maintenir une activité physique…
Enfin, il est important de limiter les pratiques qui pourraient aggraver au long cours notre état (alcool, stupéfiant..) ou notre anxiété. Car lorsque le niveau d’anxiété s’élève, l’être humain essaie de dériver, d’oublier son état de stress. Il peut alors s’adonner à des comportements qui le soulagent sur l’instant mais qui à moyen ou long terme seront délétères.
Évitez par exemple de passer trop de temps sur les réseaux sociaux ou les chaînes d’informations en continu. Cela nous égare alors que l’incertitude est déjà majeure.