Mentors des frères Kouachi et de Coulibaly, Farid Benyettou, ex-prédicateur qui se dit repenti, et Djamel Beghal, vétéran du jihad, étaient appelés comme témoins, jeudi, au procès des attentats de janvier 2015. Présenté lui aussi comme un proche des frères Kouachi, Peter Cherif devaitt également être entendu par visioconférence, avant que l'audience ne soit suspendue en fin de matinée, en raison du malaise de l'un des prévenus.
Après trois jours d’audience sur la prise d’otages de l’Hyper Casher du 9 janvier 2015, la cour d'assises spéciale de Paris s’intéresse à partir du jeudi 24 septembre au profil et aux motivations des trois auteurs des attentats : les frères Kouachi, qui avaient attaqué Charlie Hebdo, et Amédy Coulibaly, pour les victimes de Montrouge et du magasin casher.
Au cours d'une série d'auditions très attendues, trois de leurs anciens mentors sont convoqués : Peter Chérif, incarcéré et mis en examen dans un volet disjoint de l'affaire, qui doit être entendu par visioconférence, Farid Benyettou, qui se présente comme un repenti, et Djamel Beghal, vétéran du jihad afghan. Ces deux derniers sont libres, mais seul le premier devrait venir à la barre.
L’ombre de Peter Chérif
Présenté tour à tour comme un mentor des frères Chérif et Saïd Kouachi, l'instigateur de l'attentat contre Charlie Hebdo, un cadre d'Al-Qaïda ou encore un vétéran du jihad, Peter Chérif demeure une ombre planant sur ce dossier.
Arrêté en 2018 à Djibouti avec sa femme et leurs deux enfants, Peter Chérif sera entendu depuis la prison où il est détenu, dans l'attente de son procès pour association de malfaiteurs terroristes. Cet homme a souvent eu maille à partir avec la justice.
Né à Paris en 1982, Peter Chérif tente d'entrer dans l'armée en 2002, sur les traces de son grand-père. Mais, blessé, il abandonne les envies de vie militaire, et se convertit à l'islam en 2003. Comme les frères Kouachi, il est séduit par les paroles de Farid Benyettou, charismatique mentor, aujourd'hui repenti, de la filière dite "des Buttes Chaumont". C'est là qu'il rencontre les futurs tueurs de Charlie Hebdo.
Via cette filière d'acheminement vers les zones de jihad, Peter Chérif s'envole pour le Moyen-Orient. Damas pour quelques mois, puis l'Irak, où il passe plusieurs semaines sur le front de la bataille de Fallujah, en novembre 2004.
Blessé lors des combats, il finit par se rendre aux Américains. Condamné par la justice irakienne, il passe quelques années dans les prisons parmi les plus tristement célèbres de l'époque : Abou Ghraïb, puis Badoush. De cette dernière, il s'échappe en 2007, comme plusieurs dizaines de membres d'Al-Qaïda emprisonnés avec lui.
Peter Chérif décide alors de quitter l'Irak. Il repasse en Syrie voisine, où il se rend aux autorités françaises. Arrivé à Paris, il est immédiatement mis en examen, dans un volet disjoint de l'enquête sur la filière des Buttes Chaumont. Il est condamné, en mars 2011, à cinq années de prison pour association de malfaiteurs terroriste. Mais fuit la France avant d'être incarcéré.
En plein printemps arabe, il part pour la Tunisie, pays d'origine de sa mère. Mais c'est vers la Libye qu'il regarde dans un premier temps, avant de finalement opter pour le Yémen, terre d'élection d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). Des cadres de l'organisation, qui revendiquera l'attentat contre Charlie Hebdo, le contactent, explique-t-il à la justice française.
Lui qui parle arabe pourrait-il servir de traducteurs aux Français venus rejoindre les rangs du jihad, comme Chérif Kouachi, que l'on soupçonne s'être rendu au Yémen en 2011 ? Peter Chérif affirme n'avoir croisé qu'une fois les Kouachi, sans plus. Prolixe sur la vie quotidienne au Yémen, entre déménagements multiples, différents travaux de recherche sur les drones pour la direction d'Aqpa, il est évasif, sinon muet sur tout ce qui pourrait, de près ou de loin, le relier à des crimes commis en France.
Un silence et des zones d'ombres sur son passage au Yémen qui laissent planer plus que des doutes sur une possible implication dans les attentats de janvier 2015. Il est d'ailleurs mis en examen dans un volet disjoint de cette enquête depuis l'été 2019.
Farid Benyettou, la filière des Buttes-Chaumont
Vers 2003-2004, Chérif Kouachi commence à fréquenter des islamistes radicaux, notamment Farid Benyettou, émir autoproclamé d'un petit groupe soudé de jeunes d'une vingtaine d'années qui vivotent, prient et s'entraînent ensemble dans le XIXe arrondissement de Paris.
Sensibilisé depuis l'enfance à l'islam politique dans sa famille, Benyettou se fait remarquer dès le lycée pour son prosélytisme religieux. En décrochage scolaire, il s'éloigne de sa famille puis se rapproche des rigoristes salafistes, disant avoir trouvé là "un sens à sa vie". Il adopte la longue chemise traditionnelle, la barbe, le keffieh rouge et blanc.
Agent d'entretien le jour, prédicateur le soir, il se rapproche d'anciens du Groupe islamique armé (GIA) algérien proches d'Al-Qaïda. Son petit groupe cultive la haine de l'Occident et organise l'envoi de jihadistes en Irak. Cette filière des Buttes-Chaumont est démantelée en 2005. Farid Benyettou écope de six ans de prison et Chérif Kouachi, arrêté juste avant de partir pour l'Irak, de trois ans.
Benyettou sort de prison en 2009. Il se dit depuis repenti du jihadisme, notamment depuis les tueries de Mohammed Merah début 2012. Il continue de voir Chérif Kouachi, qu'il décrit comme "son frère", jusqu'en 2014. Il dira avoir tenté en vain de le détourner des idées radicales. Juste après les attentats de janvier 2015, Benyettou, alors en formation d'infirmier, se présente de lui-même aux services de renseignement en se disant prêt à aider à l'enquête. Il bat sa coulpe, estimant avoir "une part de responsabilité" en ayant "prêché la haine", tout en soulignant avoir "payé (sa) dette à la société" en prison.
Farid Benyettou ne sera finalement pas infirmier: le conseil de l'ordre s'y oppose au vu de ses antécédents judiciaires. Il travaille ensuite avec l'anthropologue Dounia Bouzar pour la prévention de la radicalisation. Début janvier 2017, il publie un livre sur son parcours, "Mon djihad : itinéraire d'un repenti", et choque des proches de victimes des attentats en arborant un badge "Je suis Charlie" lors d'une émission télévisée.
Djamel Beghal, le vétéran rencontré en prison
Lors de sa détention à Fleury-Mérogis, en banlieue parisienne, après sa condamnation en 2005, Chérif Kouachi rencontre Amedy Coulibaly, détenu pour vol. Mais aussi Djamel Beghal, un vétéran du jihadisme international.
Âgé d'environ 40 ans, Beghal a passé les 21 premières années de sa vie en Algérie avant de partir en France. Il y entre dans le viseur des autorités dans les années 1990 pour sa proximité avec le GIA. Il voyage beaucoup, en Europe mais également au Pakistan et en Afghanistan, berceaux du jihadisme international.
En 2001, il est arrêté aux Émirats arabes unis. Il reconnaît, avant de se rétracter en expliquant avoir été torturé par les enquêteurs émiratis, avoir été mandaté par Al-Qaïda pour préparer des attentats en France. Extradé vers l'Hexagone, il y est condamné en 2005 à 10 ans de prison.
À Fleury-Mérogis, Chérif Kouachi, Amedy Coulibaly et d'autres jeunes détenus sont impressionnés par le CV et la "science religieuse" de leur aîné, qui devient leur mentor selon les enquêteurs.
Libéré en 2009, Beghal est assigné à résidence dans le Cantal, où Coulibaly viendra le voir plusieurs fois en 2010. Les deux hommes seront arrêtés cette année-là pour participation à un projet d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, ancien du GIA condamné à perpétuité pour l'attentat à la station RER Musée d'Orsay en octobre 1995 à Paris. Djamel Beghal écope d'une seconde peine de dix ans de prison et est déchu de la nationalité française.
En juillet 2018, à 52 ans, au terme de sa peine en France, il est expulsé vers l'Algérie, où il avait été condamné par contumace en 2003 à 20 ans de prison pour "appartenance à un groupe terroriste". Il y est détenu puis rejugé et acquitté en décembre 2019, selon son avocat, Farouk Ksentini.
Libéré dans la foulée en toute discrétion, Beghal vit aujourd'hui normalement en Algérie dans l'attente de son procès d'appel, et "ne pourra pas témoigner" jeudi à Paris, a précisé Me Ksentini, qui précise que "rien ne l'y oblige".
Avec AFP