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Biélorussie : les manifestations contre Loukachenko, un tournant pour le pays ?

En Biélorussie, les manifestations contre le président Alexandre Loukachenko durent depuis le début de la campagne présidentielle en mai, et se sont amplifiées après sa réélection, jugée truquée, le 9 août. Un mouvement de contestation inédit à bien des égards, comme en témoignent Marina Adamovich, opposante politique, et Ivan, habitant de l'est du pays.

Lorsque la campagne présidentielle biélorusse a commencé au mois de mai, Ivan, habitant de la ville de Moguilev à l'est du pays, ne se faisait aucune illusion : "Nous connaissions déjà le résultat de l'élection...", assure-t-il. Alexandre Loukachenko, président depuis déjà 26 ans, allait être réélu. Car depuis son arrivée, le "dernier dictateur d'Europe" ne laisse aucune chance à l'opposition : les médias du pays sont sous son contrôle, les manifestations sont réprimées, les opposants politiques emprisonnés.

Et l'année 2020 n'a pas fait exception sur ce point. Le 9 mai, Sergueï Tikhanovski, blogueur qui briguait la présidence, se fait emprisonner. Il sera suivi par Mikola Statkevich et Viktor Babaryko, deux opposants historiques du président. Déjà, les Biélorusses sortent protester contre ces arrestations jugées arbitraires.

"Une opposition au visage féminin, c'est quelque chose d'inédit en Biélorussie"

Puis la femme de Sergueï Tikhanovski, Svetlana Tikhanovskaïa, a décidé de se présenter à sa place, et a été rejointe dans son équipe de campagne par deux autres femmes, Veronika Tsepkalo, femme de l’opposant en exil Valery Tsepkalo, et Maria Kolesnikova, directrice de l'équipe de campagne de l’opposant Viktor Babaryko avant son arrestation. Ivan a senti que quelque chose de nouveau se passait : "Une opposition au visage féminin, c'est quelque chose d'inédit en Biélorussie, souligne-t-il, d'autant que Loukachenko humilie tout le temps les femmes. J'ai senti que mon pays avait changé."

Le 9 août 2020, Alexandre Loukachenko a en effet été réélu avec 80 % des suffrages, contre 9 % pour Svetlana Tikhanovskaïa. Les manifestations s’amplifient après l’annonce du résultat, jugé truqué. Très vite, les Biélorusses sont des dizaines de milliers dans les rues. Jamais ils n’avaient été si nombreux depuis l’arrivée de l'autocrate au pouvoir. 

Marina Adamovich, opposante politique, est aussi l'épouse de Mikola Statkevich, grand rival de Loukachenko depuis des années. Un mois après l'annonce des résultats, il est toujours derrière les barreaux.

Elle est habituée, depuis le temps, à voir son mari se faire emprisonner lorsqu’il dérange le président. "C’est la quatrième fois qu’ils l’enferment", souffle-t-elle. Les manifestations, elle en a aussi vu passer. Pourtant, elle sent que celles d’aujourd’hui sont différentes. Les manifestants lui semblent plus déterminés et organisés : "Ce que je vois, c’est que le peuple a un colossal désir de changement. Il s’est éveillé tout seul. Les manifestants, malgré la répression, retirent leurs chaussures avant de monter sur un banc. Ils nettoient les rues après les manifestations. Ils s’habillent en blanc et tendent des fleurs. C’est une véritable déclaration, un manifeste pour le changement", analyse-t-elle.

Une mauvaise situation économique et une pandémie de Covid-19 négligée

Le peuple est habitué aux tours de force du président, mais lors de son premier mandat, il y a 26 ans, Ivan se souvient que son bilan économique plaidait en sa faveur : "Je crois que pendant dix ans, la vie a été meilleure", témoigne-t-il. Aujourd'hui, il confie que dans son entreprise, tout le monde doit cumuler un emploi principal et un emploi alimentaire pour y trouver son compte. 

La pandémie de coronavirus a sûrement été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. L'autocrate est allé jusqu'à nier l'existence du virus, qui n'était pour lui qu'une "psychose" des médias. Par conséquent, son gouvernement n'a pas pris de mesures pour l'endiguer. Le pays a été l'un des seuls d'Europe a ne pas appliquer de confinement. "Les autorités n'ont pas du tout soutenu la population", explique Ivan, qui s'était à l'époque auto-confiné.

Comme lui, Marina ne croit pas que la situation va se débloquer d’un coup. Mais elle en est sûre, un processus est entamé : "Je ne sais pas s'il (Loukachenko) va partir demain, ça pourrait durer des mois. Mais dans tous les cas, je sens que la fin historique de cette ère est proche."