
Elles ont uni leurs forces contre le président Alexandre Loukachenko et sont aujourd'hui ses cibles numéro un. Svetlana Tikhanovskaïa, Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikova incarnent ensemble l’opposition biélorusse, menacée par le pouvoir.
"Pauvre nana !" C’est ainsi qu’Alexandre Loukachenko avait qualifié l’opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa début août. C’était sans compter sur la détermination du personnage et sa force de mobilisation. Refusant de reconnaître sa défaite à la présidentielle du 9 août face au chef d'État sortant, au terme d’une élection qu'elle estime truquée, la candidate malheureuse est parvenue à mobiliser des centaines de milliers de manifestants, défilant chaque dimanche dans les rues de Minsk, déterminés à faire céder le président de la Biélorussie, au pouvoir depuis 26 ans.
Svetlana Tikhanovskaïa, 37 ans, femme au foyer sans expérience politique, a pris la tête de la contestation au pied levé, après l’incarcération en mai de son mari, le blogueur Sergueï Tikhanovsk, en pleine campagne pour la présidentielle biélorusse.
Derrière sa soudaine réussite, l’alliance de cette ancienne professeure d’anglais avec deux autres femmes : Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikova. La première est la compagne de Valery Tsepkalo, dont la candidature a été rejetée au printemps dernier. La seconde a pris le devant de la scène après l’arrestation de Viktor Babaryko, un ex-banquier dont elle était la directrice de campagne. Le trio de femmes a mené la campagne main dans main, apparaissant ensemble sur de nombreux clichés.
Deux exils forcés et une arrestation
Un engagement risqué. Epargnées lors de la campagne, parce qu’Alexande Loukachenko, misogyne, ne les percevait pas comme une menace, Svetlana Tikhanovskaïa et Veronika Tsepkalo ont fini par être poussées à l’exil en Lituanie pour la première et en Russie pour la seconde. Quant à Maria Kolesnikova, elle a été arrêtée, lundi, par les autorités biélorusses dans des circonstances floues.
Les garde-frontières biélorusses affirment que la responsable politique, qui a tenté de fuir vers l’Ukraine mardi, aurait été “jetée hors de la voiture” par deux compagnons politiques, souhaitant se débarrasser d’elle. Une version démentie par le ministère ukrainien de l’Intérieur, selon lequel Maria Kolesnikova aurait résisté, refusant d'être exilée de force.
D’après l'agence Interfax-Ukraine, la Biélorusse aurait déchiré son passeport au poste-frontière pour bloquer l'opération. C'est alors qu'elle aurait été arrêtée. Ses proches, eux, avaient signalé sa disparition dès lundi, affirmant qu’elle avait été "enlevée" et embarquée dans un véhicule contre son gré.
Maria Kolesnikova, 38 ans, membre du Conseil national de coordination, l'organe qui doit en principe négocier avec le régime. Elle venait de franchir un nouveau pas en politique, en annonçant le 31 août la création d'un nouveau parti baptisé "Ensemble".
Des femmes aux avant-postes des manifestations
Depuis la Lituanie, Svetlana Tikhanovskaïa a immédiatement réagi à l’arrestation de sa camarade. Elle a réclamé sa libération au plus vite, dénonçant une "situation absolument inacceptable" en Biélorussie, où les intimidations se multiplient.
Nombre de personnalités de la contestation, membres ou non du Conseil de coordination, ont été contraints à l'exil ou incarcérés ces dernières semaines. Autre figure féminine, Olga Kovalkova, elle aussi membre de cet organe comme Maria Kolesnikova, avait raconté avoir été transportée de force vers la Pologne fin août, après quelques jours passés en prison.
Les femmes jouent un rôle majeur dans la contestation de la réélection du président Loukachenko. Depuis le 9 août, elles n’hésitent pas à se placer aux avant-postes des défilés pacifistes, formant d’immenses chaînes humaines et s'interposant parfois face aux forces spéciales.
#Belarus. A massive women's march has begun in #Minsk, but also in other cities, such as Homiel. There are already a few thousands women in the capital. What I think is important is the institutionalisation of the female protest - women launched an initiative that unites them pic.twitter.com/yPyaRuRaDU
— Hanna Liubakova (@HannaLiubakova) September 5, 2020Dans les coulisses, elles font passer les messages de rassemblement et confectionnent ce fameux drapeau rouge et blanc, devenu symbole de l’opposition biélorusse. Les images de plusieurs d’entre elles, devenues virales sur les réseaux sociaux, contribuent à alimenter leur mouvement. Sur l’une des vidéos les plus populaires, on aperçoit une militante septuagénaire, s’opposer aux forces de l’ordre qui avaient confisqué son drapeau.
”Give me my flag!” — 73 years old Nina Bahinskaja wants her flag back from riot policeman. She is known for her participation in many manifestations of opposition. She always comes to actions with a white-red-white flag or white-red-white symbolics on her clothes. pic.twitter.com/7t8fznPfQS
— Franak Viačorka (@franakviacorka) August 26, 2020Les femmes ne sont plus épargnées
Pour la chercheuse Katsiaryna Shmatsina, du Centre biélorusse d’analyse stratégique (BISS), interrogée par le quotidien Ouest-France, la présence des femmes “rend plus difficile pour le régime d’accuser les manifestants d’être des groupes radicalisés, qui veulent détruire les bâtiments du gouvernement et terroriser la population”.
Mais, ajoute-t-elle, “au vu de la cruauté désespérée dont fait preuve le régime, ces femmes ne sont pas à l’abri. Personne n’est en sécurité dans un pays où il n’y a pas d’État de droit”. Reste à savoir si l’inquiétante arrestation de Maria Kolesnikova va freiner l’élan politique des femmes biélorusses, figures de proue de la contestation.
Avec AFP et Reuters