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Dans une France "en retard" sur l'euthanasie, Alain Cocq veut se laisser mourir en direct

Faute d'avoir pu obtenir d'Emmanuel Macron le droit à l'euthanasie, Alain Cocq, atteint d'une maladie orpheline depuis 34 ans, a annoncé qu'il cesserait de se nourrir et s'hydrater à partir de vendredi. Il a par ailleurs décidé de diffuser sa fin de vie sur Facebook à partir de samedi, afin de "montrer aux Français ce qu'est l'agonie obligée par la loi Leonetti".

Alain Cocq veut mourir. Ce Français âgé de 57 ans se bat depuis plus de 30 ans contre une maladie rare et incurable. Après avoir écrit au président Emmanuel Macron pour l'implorer de le laisser "partir en paix", le quinquagénaire a obtenu, jeudi 3 septembre, une réponse de l'Élysée. "Parce que je ne me situe pas au-dessus des lois, je ne suis pas en mesure d'accéder à votre demande", lui a écrit le chef de l'État.

Les lois dont parle Emmanuel Macron, ce sont les dispositions de la loi Claeys-Leonetti (2005), qui ont pour objet d'éviter les pratiques d'euthanasie, mais aussi d'empêcher l'acharnement thérapeutique. En 2016, une proposition de loi a par ailleurs créé de nouveaux droits en faveur des personnes malades et en fin de vie. En plus de clarifier les conditions de l'arrêt des traitements au titre du refus de l'obstination déraisonnable, le texte instaure un droit à la sédation profonde et continue jusqu'au décès pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme.

Interrogé vendredi par France 24, Philippe Lohéac, délégué général de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) – dont Alain Cocq est membre –, a fait part de sa colère face au retard de la France sur un sujet "qui concerne 100 % des citoyens" et sur lequel les présidents échouent tour à tour. En 2016, dit-il, "François Hollande a fait voter une loi par Jean Leonetti, professeur de médecine et membre de l'UMP 'tradi-catho', qui donne comme seule échappatoire à ceux qui sont en fin de vie, la possibilité de mourir de faim et de soif".

C'est cette voie qu'Alain Cocq se résout à emprunter à partir de samedi. Face au refus d'Emmanuel Macron d'accéder à sa demande de laisser un médecin lui prescrire un barbiturique afin qu'il puisse "partir en paix", Alain Cocq a confirmé son intention de se laisser mourir en cessant toute alimentation, hydratation et traitement dès vendredi "au coucher" – un dernier acte militant pour l'euthanasie.

"À force d'être plus intelligent que tout le monde, on est en retard"

Selon un sondage Ipsos diffusé en 2019 par l'ADMD, qui réclame la légalisation de l'euthanasie lorsqu'un patient présente des souffrances graves et incurables, 96 % des Français sont favorables à l'euthanasie. Or, là où plusieurs de ses voisins européens ont d'ores et déjà légalisé l'euthanasie et le suicide assisté, la France, elle, en est "infoutue", dénonce Philippe Lohéac. Pourtant, précise-t-il, les médecins savent le faire. "Ceux-ci rapportent que 0,8 % des décès en France sont l'effet de l'administration d'un médicament létal. Or, 0,8 % sur 600 000 décès annuels, cela peut être comparé aux 3 % des décès par euthanasie des pays du Benelux qui ont légiféré" sur la question.

Ces lois, promulguées en 2001 aux Pays-Bas, en 2002 en Belgique et en Suisse, et en 2009 au Luxembourg, incitent d'ailleurs nombreux patients français à choisir de mourir en dehors des frontières de la France qui, selon le délégué général de l'ADMD, persiste "dans cette supériorité qui consiste à constamment chercher une troisième voie". Une voie "paternaliste" qui refuse l'acharnement thérapeutique, mais juge par ailleurs les législations belge, néerlandaise ou suisse "trop libérales", poursuit Philippe Lohéac. L'Association pour le droit à mourir dans la dignité propose par exemple la simple transposition de la loi belge dans le droit français. "En France, on a toujours besoin de trouver une troisième voie parce qu'on est plus intelligent que tout le monde. Mais à force d'être plus intelligent, on est en retard."

L'influence religieuse dans un pays laïc

Bien qu'elle ne soit pas légale, dans les faits "l'euthanasie existe en France", affirme Philippe Lohéac, évoquant le recours de certains médecins à cette pratique "sous le manteau". Toutefois, développe-t-il, ceux-ci, "opposés à la démocratie sanitaire", se montrent réticents à l'idée de se voir dicter leur conduite par le législateur.

Outre le refus de certains médecins d'une législation sur l'euthanasie, le délégué général de l'ADMD pointe par ailleurs l'influence non négligeable des responsables religieux dans l'inertie des dirigeants politiques français.

"Peu de temps après être arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a fait un dîner à l'Élysée auquel étaient conviés Jean-Luc Romero-Michel (président de l'ADMD), Noëlle Châtelet (sociologue et sœur de Lionel Jospin, dont la mère a créé l'ADMD), mais aussi les représentants religieux qui étaient là pour dire 'c'est pas bien'", raconte Philippe Lohéac. "C'est frappant de voir qu'à chaque fois qu'il y a une décision bioéthique, que le président s'informe sur ces sujets, il réunit les responsables des grandes religions monothéistes", poursuit-il, évoquant également la place qu'ont eue ces personnalités dans les débats relatifs à l'IVG ou encore au mariage homosexuel. "Les religions indiquent que la vie ne vous appartient pas et que vous n'avez pas le droit de décider si vous allez devenir une mère ou pas, si vous allez vous marier avec une personne du même sexe ou pas, si vous avez le droit de mourir comme vous voulez ou pas… Et d'ailleurs si vous vous suicidez, vous n'avez pas le droit d'aller au paradis ! Très bien pour les religions, sauf qu'on est dans une république laïque."

Sur @CNEWS je viens de rappeler qu’on ne peut plus, dans un pays laïc, laisser souffrir des personnes comme #AlainCocq qui demandent a éteindre la lumière.
Aucun traitement ne peut le soulager.
Quel principe supérieur vous oblige à mourir le plus tard possible en République ? pic.twitter.com/x7FSfNBaRW

— Jean-Luc Romero-Michel (@JeanLucRomero) September 4, 2020

Ayrault, Valls et Fabius étaient pourtant favorables à l'euthanasie

Ces dernières années, la France a pourtant effleuré l'hypothèse d'un changement de législation en matière de fin de vie. Lors de l'élection présidentielle de 2012, la modification de la loi Leonetti faisait d'ailleurs partie des 60 engagements du candidat socialiste, François Hollande qui, bien que n'employant pas le terme d'"euthanasie", proposait néanmoins de mettre en place "une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité".

À peine trois ans plus tôt, lors de la présidence de Nicolas Sarkozy, une proposition de loi présentée par les socialistes Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Laurent Fabius, introduisait la nécessité de "franchir un nouveau pas" par rapport à la loi de 2005. "Notre pays est prêt à autoriser que l'on accède à la demande des personnes dont les souffrances sont telles qu'elles souhaitent, de la part des personnes qui les soignent, une aide active pour mettre fin à leur vie", écrivaient-ils. Mais à l'arrivée de François Hollande à l'Élysée, et alors que chacun d'eux a occupé une place de choix au sein du gouvernement Ayrault, le trio n'a pas impulsé le changement en faveur duquel il avait autrefois œuvré.

Rappelons-nous que @fhollande et deux de ses premiers ministres, @jeanmarcayrault et @manuelvalls, étaient pour l'euthanasie AVANT d'arriver aux affaires, et qu'ils ont renié leur engagement pour permettre à @JeanLeonetti de faire voter une loi inhumaine et injuste. https://t.co/UdFeuXeKrT

— Philippe Lohéac ????????????????⚓️ (@PhilippeLoheac) September 4, 2020

"Je ne décolère pas de ça !", lance Philippe Lohéac qui, sur Twitter, a dénoncé vendredi l'attitude de ces trois personnalités politiques qu'il accuse d'avoir "renié leur engagement pour permettre à Jean Leonetti de faire voter une loi inhumaine et injuste".

"On n'a pas avancé sur le sujet", déplore le délégué général de l'ADMD. "Après son départ de l'Élysée, François Hollande a écrit un bouquin ("Les leçons du pouvoir", éditions Stock) dans lequel il dit : 'J'aurais dû légaliser l'euthanasie'… On a envie de pleurer quand on lit ça !"

Mardi, sur Facebook, Alain Cocq avait prévenu. "Si la réponse [de l'Élysée] est positive, le samedi 5 septembre dans l'après-midi, je prendrai en direct mon bonbon, comme je l'appelle, et je m'endormirai d'un sommeil qui m'apportera le soulagement permanent de toutes mes douleurs. Dans le cas d'un refus, qui sera la réponse fort probable, vendredi 4 septembre au coucher j'arrêterai toute alimentation, toute hydratation, tout traitement hormis la morphine, et tout soin."

"C'est ça, la loi Leonetti", pose Philippe Lohéac, qui affirme que l'ADMD a régulièrement Alain Cocq au téléphone. "Aujourd'hui, c'est Alain Cocq, demain, ce sera quelqu'un d'autre."

En janvier dernier, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, avait promis un nouveau plan d'accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs. Un dossier retardé par l'arrivée de la pandémie de Covid-19.