L'agence américaine du médicament a autorisé, dimanche, un recours à plus grande échelle du plasma sanguin de personnes guéries du Covid-19 pour traiter les patients contaminés. Une décision qui fait plaisir au président américain Donald Trump, beaucoup moins à la communauté scientifique.
Une "percée historique" au mépris de la rigueur scientifique ? Le président américain Donald Trump s'est félicité, dimanche 23 août, de la décision de l'agence américaine du médicament (la FDA) d'autoriser "en urgence" l'utilisation à plus grande échelle du plasma sanguin de personnes guéries du Covid-19 pour traiter des patients contaminés par le coronavirus. Mais ce feu vert administratif a jeté le trouble au sein d'une partie de la communauté scientifique qui souligne qu'il n'y a pas encore de preuve définitive de l'efficacité de ce type de traitement.
La FDA a rappelé que cette technique avait déjà été utilisée sur plus de 70 000 patients, soit en état critique, soit dans le cadre d'essais cliniques, depuis le début de la pandémie de Covid-19 aux États-Unis. L'agence américaine a affirmé que tous les tests effectuées suggèrent que les patients qui reçoivent du plasma sanguin contenant un grand nombre d'anticorps ont des chances sensiblement plus élevées de survivre à la maladie que des personnes ayant reçu du plasma pauvre en anticorps. Il n'en fallait pas plus à Donald Trump pour qualifier ce traitement de "percée historique" qui permettrait de sauver "un nombre considérable" de personnes.
Un traitement utilisé depuis la fin du XIXe siècle
Cela fait plusieurs mois que le recours au plasma sanguin d'individus ayant survécu au Covid-19 constitue l'une des pistes de traitement les plus prometteuses, et certains scientifiques parlent même "d'or liquide", en raison de la couleur dorée du plasma. Plusieurs pays, dont la France, l'Autriche ou la Chine, ont d'ailleurs autorisé le recours à ce traitement sous certaines conditions. "Les recherches cliniques et l'utilisation en milieu hospitalier indiquent, en effet, que les transfusions de plasma sanguin peuvent réduire le temps d'hospitalisation et faire baisser le taux de mortalité", assure Joakim Dillner, épidémiologiste à l'Institut Karolinska de Stockholm, contacté par France 24.
Le principe est simple : des personnes ayant surmonté la maladie donnent leur sang, duquel est extrait le plasma. Il faut ensuite s'assurer que ce liquide servant à transporter les cellules sanguines contient suffisamment d'anticorps avant de l'injecter à des patients contaminés afin de doper leur propre défense contre la maladie. "On en administre une dose par jour tant que le virus est présent dans le corps", souligne Joakim Dillner, qui a constaté que "toute présence du Covid-19 pouvait disparaître en deux jours".
Cette technique est utilisée depuis la fin du XIXe siècle pour lutter contre certaines infections virales ou bactériologiques. Elle a, notamment, été expérimentée dans la lutte contre le virus Ebola et lors des précédentes épidémies de coronavirus (le Sars en 2002 et le Mers-Cov en 2012). Mais son efficacité n'a jamais pu être prouvée à 100 %.
Des essais cliniques difficiles à mener
Et c'est encore le cas avec le Covid-19. "Ce qui manque, c'est un essai randomisé [aléatoire] contrôlé et il est très inhabituel que la FDA approuve un traitement sans attendre les résultats d'un tel test", souligne Stephen Evans, chercheur en pharmaco-épidémiologie au département de statistiques médicales de l'École d'hygiène et de médecine tropicale à Londres, contacté par France 24. Ce type d'essai est le Graal de la recherche médical car "sans cette phase on ne peut pas être sûr que c'est bien le recours au plasma sanguin qui soit à l'origine de l'amélioration de l'état du patient et pas un autre facteur", note le chercheur britannique. Cette méthode "permet de s'assurer que l'on n'a pas surestimé l'efficacité d'un traitement prometteur", résume Joakim Dillner.
Le problème avec les essais randomisés contrôlés pour les traitements à base de plasma sanguin tient à la difficulté de les mener. Il faut recruter un grand nombre de volontaires parmi les patients hospitalisés et obtenir suffisamment de plasma d'ex-malades, ce qui signifie que l'épidémie doit déjà être en phase avancée, rappelle Joakim Dillner. En outre, "il faut aussi savoir comment mesurer le nombre d'anticorps nécessaires dans le plasma pour que le traitement soit efficace, ce qui est délicat à faire", ajoute le scientifique suédois. C'est pourquoi, par le passé, ces tests n'ont jamais abouti avant la fin des épidémies.
Avec le Covid-19, le monde n'a pas le luxe d'attendre, estime ce scientifique qui comprend la décision de la FDA d'avoir pris des libertés avec la procédure traditionnelle de validation. Un point de vue qui n'est pas partagé par Stephen Evans. Selon lui, l'agence américaine du médicament a porté un très mauvais coup au travail des scientifiques. "Il va être beaucoup plus difficile de faire des essais randomisés sur le plasma sanguin maintenant car les patients vont préférer recevoir le traitement à l'hôpital plutôt que de se porter volontaires pour un test clinique aléatoire où ils ne seront pas sûrs d'être dans le groupe auquel sera administré le bon traitement", regrette-t-il.
Mais pour Donald Trump, le temps de la recherche scientifique est incompatible avec son calendrier électoral. La FDA lui a offert un formidable cadeau alors que débute, lundi, la convention républicaine qui l'a officiellement désigné comme le candidat du parti pour l'élection présidentielle américaine de novembre.