Un mois après la réouverture au culte musulman de la basilique Sainte-Sophie, le président turc Recep Tayyip Erdogan a ordonné vendredi la reconversion en mosquée de Saint-Sauveur-in-Chora, ancienne église orthodoxe emblématique d'Istanbul, connue pour ses mosaïques et fresques.
Recep Tayyip Erdogan poursuit sa politique de reconversion d'anciennes églises byzantines. Après la basilique Sainte-Sophie, le président turc a ordonné vendredi 21 août la reconversion en mosquée d'une autre ancienne église orthodoxe d'Istanbul : l'église Saint-Sauveur-in-Chora, célèbre pour ses mosaïques et ses fresques.
Construite par les Byzantins au Ve siècle, l'église Saint-Sauveur-in-Chora, également appelée église de la Chora, avait été convertie en mosquée après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, puis en musée après la Seconde Guerre mondiale.
Dans un décret présidentiel publié vendredi 21 août au Journal officiel, Recep Tayyip Erdogan ordonne d'"ouvrir au culte" musulman ce lieu prisé des touristes, s'appuyant sur une décision du Conseil d'État rendue dans ce sens l'an dernier.
Mosquée en 1511
Avec son histoire millénaire, Saint-Sauveur-in-Chora n'a rien à envier à la basilique Sainte-Sophie. Elle fut construite au Ve siècle, à l'époque en dehors des murs de la ville, la locution "in-Chora" signifiant "dans la campagne". Une fois le lieu rattaché à Istanbul, le terme de "Chora" prend alors un sens spirituel : l'église est assimilée au ventre de la Vierge, comme le rappelle une mosaïque proche de l'entrée : "lieu d’incarnation du Dieu incommensurable".
Ce sont d'ailleurs les mosaïques et les fresques qui font la renommée de l'église byzantine. Commandées par Théodore Métochite, elles furent livrées entre 1315 et 1321. Une des œuvres majeures de l'église est une monumentale composition du Jugement dernier, située dans la coupole.
La caractéristique des éléments de ces fresques et mosaïques sont la profondeur, le mouvement et les formes allongées des corps. pic.twitter.com/DOzuUc4h2F
— Jacqueline de Romilly stan account (@comte_A__) August 21, 2020Après la conquête ottomane de Constantinople, Atik Ali Pacha, grand vizir du sultan Bayezid II, transforme l’église en mosquée en 1511. L'islam interdisant les représentations figuratives, les mosaïques et les fresques sont recouvertes de chaux, ce qui permet de les masquer sans les détruire, comme le rappelle le compte Twitter @comte_A__, spécialisé dans l'histoire de l'art.
Évidemment, comme l’islam interdit la représentation de l’être humain, les mosaïques et les fresques sont recouvertes de chaux ce qui permet de les masquer sans les détruire.
— Jacqueline de Romilly stan account (@comte_A__) August 21, 2020Musée en 1958
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une équipe d'historiens de l'art américains mène une longue restauration de l'édifice, qui ouvre au public en tant que musée en 1958.
L'annonce vendredi de la reconversion en mosquée a suscité des craintes pour les mosaïques et fresques. Pour Zeynep Turkyilmaz, historienne de l'Empire ottoman, il sera impossible de les dissimuler temporairement lors des heures de prière, comme c'est aujourd'hui le cas à Sainte-Sophie, car elles décorent l'ensemble de l'édifice.
"C'est l'équivalent d'une destruction, car il est impossible de transformer cette architecture intérieure en la préservant", s'alarme-t-elle.
"Une autre provocation" d'Erdogan
Pour nombre d'observateurs, les récentes reconversions d'anciennes églises byzantines visent à galvaniser la base électorale conservatrice et nationaliste de Recep Tayyip Erdogan, dans un contexte de difficultés économiques aggravées par la pandémie de Covid-19.
Les tensions avec la Grèce y jouent aussi un rôle, selon Zeynep Turkyilmaz. "Il y a une volonté d'effacer les traces de la civilisation grecque et chrétienne", estime l'historienne. "En mettant la main sur un lieu appartenant à la civilisation grecque, on rappelle aussi à la Grèce sa place d'ancien membre de l'empire que les Turcs dominaient."
Athènes a d'ailleurs vivement dénoncé vendredi la reconversion de l'église de la Chora, y voyant "une autre provocation envers les croyants et la communauté internationale".
"Un autre symbole de l'histoire multiculturelle de notre pays a été sacrifié", a critiqué pour sa part Garo Paylan, député d'opposition du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde).
Selon une journaliste de l'AFP qui a visité le site juste après la publication vendredi du décret du président Erdogan, l'édifice était toujours ouvert aux visiteurs, contrairement à Sainte-Sophie qui avait été fermée dès l'annonce de sa reconversion.
Avec AFP