Le président américain Donald Trump veut que TikTok devienne américain ou il fera disparaître le réseau social chinois des États-Unis. Une stratégie par laquelle il signale à Pékin que Washington a encore le pouvoir d’imposer ses règles du jeu.
Il y a eu un moment Huawei dans le conflit diplomatico-commercial entre la Chine et les États-Unis. Il y a dorénavant un moment TikTok. La bataille autour de l’avenir sur le sol américain du très populaire réseau social pour jeunes d’origine chinoise marque une nouvelle étape dans la dégradation des relations entre les deux superpuissances.
Il est vrai que par certains aspects l’histoire semble se répéter. Lorsque Donald Trump avait érigé, fin 2018, Huawei en ennemi public numéro 1 de Washington, il l’a justifié en répétant à quel point le géant chinois représentait une menace pour la “sécurité nationale”. Le président américain et son entourage ont eu recours à la même rhétorique pour menacer, lundi 4 août, de “bannir TikTok aux États-Unis” d’ici le 15 septembre sauf si Microsoft — ou une autre “entreprise très américaine” — arrivait à racheter les activités de TikTok aux États-Unis. Pour Peter Navarro, le conseiller au Commerce de Donald Trump, “les mères américaines devraient s’inquiéter de savoir que le Parti communiste chinois sait où se trouvent leurs enfants”.
Mais cette similitude n’est qu’apparente et l’offensive trumpienne anti-TikTok constitue une escalade dans le conflit avec Pékin pour plusieurs raisons.
Non à un géant de l’Internet chinois présent sur la scène internationale
La croisade américaine contre Huawei se fondait largement sur les liens supposés entre le conglomérat et l’armée chinoise. Il était ainsi facile de dépeindre le géant de l’électronique comme un cheval de Troie des militaires chinois pour espionner le monde entier.
Rien de tel avec TikTok. Le fait d’être chinois semble dorénavant suffire à Donald Trump. Le réseau social a, en effet, déployé en vain d’importants efforts pour apparaître le plus américain possible, en nommant notamment un ancien de Disney à la tête de TikTok.
Washington envoie ainsi un message clair à Pékin : les États-Unis feront tout “pour empêcher l’émergence d’un champion chinois de l’internet qui réussit à s’imposer à l’international, quelle que soit la manière dont il est dirigé”, souligne le Wall Street Journal.
L’affaire TikTok a “fini de convaincre Pékin que tout ce qui compte pour les États-Unis s’est d’éviter que les entreprises chinoises puissent concurrencer les groupes américains dans le domaine technologique”, poursuit le quotidien américain.
C’est qui le patron ?
Si Donald Trump a finalement accepté que Microsoft puisse avoir le beurre — c’est-à-dire TikTok aux États-Unis —, il veut récupérer une partie de l’argent du beurre. “Un pourcentage substantiel du prix de vente va devoir être reversé au Trésor public, car c’est nous qui rendons cette transaction possible”, a-t-il déclaré, suscitant l’incrédulité et l’ire d’une partie des médias. “C’est du capitalisme de gangster”, a ainsi écrit sur Twitter The Intellectualist, un site libéral d’information, tandis que le site Axios trouve que le procédé “est très proche de l'extorsion de fonds”.
This is gangster capitalism. https://t.co/PCGxLdIg52
— The Intellectualist (@highbrow_nobrow) August 4, 2020La grande majorité des réactions déplorent ainsi l’attitude de Donald Trump, comparé à un maître-chanteur, envers Microsoft. Mais cette revendication, aussi inédite soit-elle de la part d’un chef d’État, représente aussi une manière pour le président américain de rappeler qui est le boss.
Au niveau national, d’abord : “Ixl agit comme le PDG de l’entreprise États-Unis, suggérant qu’il ne peut pas y avoir d’importante transaction sans son aval et sans bénéfice pour lui”, soutient le New York Times.
Sur la scène internationale, Donald Trump cherche aussi à humilier Pékin avec cette sortie. Il veut, non seulement, forcer la Chine à renoncer à sa première application Internet à avoir réellement percé à l’international, mais en plus il fait savoir que cela va lui rapporter de l’argent. “L’une des raisons pour lesquelles il s’était d’abord opposé à l’achat de TikTok par Microsoft, est qu’il ne voulait pas que cette transaction enrichisse Pékin”, affirme le Financial Times.
La provocation de trop ?
Pas étonnant dans ces circonstances que la Chine ait très mal pris l’offensive anti-TikTok. “Arrêtez de politiser les questions commerciales, arrêtez d’abuser du concept de sécurité nationale et de pratiquer la discrimination [à l’égard des entreprises chinoises, NDLR]”, a réagi le ministère chinois du Commerce. La presse officielle a été plus violente, qualifiant Washington de “lâche” pour ce que le Global Times a qualifié de refus de pratiquer une compétition commerciale honnête avec les entreprises chinoises.
Mais au-delà de l’indignation, le Global Times reconnaît que la Chine dispose, cette fois-ci, de peu d’armes pour répondre. La plupart des réseaux sociaux américains - Facebook, Twitter ou encore YouTube - sont déjà interdits en Chine.
Il reste Apple. Sur les réseaux sociaux chinois, des internautes ont commencé à appeler les autorités à forcer la marque à la pomme à vendre ses activités en Chine. Mais “vu le cours boursier d’Apple actuellement, cela risquerait de coûter très cher à Pékin”, note John Gruber, l’un des meilleurs spécialistes américains de la marque à la pomme. La Chine va donc devoir trouver autre chose que son habituel stratégie de répondre “œil pour œil, dent pour dent” à chaque sanction américaine. Au risque d’envenimer encore plus la situation.