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"Censure", retrait, caviardage… Pourquoi la publication des dossiers Epstein fait polémique
Pressée par le Congrès, l'administration Trump a publié ces derniers jours plusieurs milliers de documents liés à l'affaire Epstein. Alors que l'intégralité des archives détenues par le ministère de la Justice devait être dévoilée, de nombreuses pièces manquent toujours à l'appel. Victimes et élus dénoncent une volonté de "dissimulation".
Des pages d'un dossier entièrement censuré du grand jury de New York concernant Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell, le 19 décembre 2025. © Jon Elswick, AP

Des centaines de milliers de documents et toujours plus de questions en suspens. Alors que l'administration Trump s'était engagée à rendre public l'ensemble des dossiers liés à l'affaire Epstein, conformément à la loi votée en novembre au Congrès, elle n'en a finalement révélé qu'une partie le jour de la date butoir, vendredi 19 décembre.

Qui fréquentait ce sulfureux milliardaire accusé d'avoir exploité sexuellement plus de 1 000 jeunes femmes ? D'autres personnalités publiques sont-elles impliquées dans les crimes qu'il a commis ? Quel était son véritable lien avec le président Donald Trump ? Les tonnes de documents – photographies, enregistrements de conversations téléphoniques, rapports du FBI… – étaient censées éclairer ces nombreuses zones d'ombre qui demeurent depuis sa mort en 2019.

Mais mardi 23 décembre, alors que le ministère dévoile près de 8 000 nouveaux documents – dont certains font explicitement référence au président américain Trump – l'affaire semble plus opaque que jamais. Des milliers de pièces manquent toujours à l'appel et de nombreuses autres ont été largement censurées sans justification claire. France 24 revient sur cette polémique qui secoue le pouvoir aux États-Unis.

Des photos inédites, mais sans contexte

Le ministère de la Justice a publié, vendredi 19 décembre, très exactement 3 965 dossiers issus de l'enquête sur Jeffrey Epstein. Parmi eux se trouvent de nombreuses photographies inédites, directement issues des ordinateurs ou portables personnels du milliardaire.

Certaines montrent des images banales du quotidien – comme des rues ou des chantiers –, quelques-unes dévoilent quant à elles des sextoys ou des armes. D'autres, en théorie plus intéressantes, montrent Epstein en compagnie de personnalités diverses comme le chanteur des Rolling Stones Mick Jagger, Michael Jackson, l'acteur Kevin Spacey, ou encore l'ancien président américain Bill Clinton. On découvre, par exemple, une image de l’ancien président démocrate allongé dans un jacuzzi, avec une autre personne dont le visage est masqué.

"Censure", retrait, caviardage… Pourquoi la publication des dossiers Epstein fait polémique
Cette photo non datée publiée par le ministère américain de la Justice montre Jeffrey Epstein et Michael Jackson. AP

Si ces clichés montrent des moments de vie inédits et mettent en lumière l'étendue des relations d'Epstein avec certaines célébrités, en réalité, ils n'apportent que très peu d'informations. Figure de la jet-set new-yorkaise, Jeffrey Epstein est connu pour avoir fréquenté de nombreuses personnalités internationales et américaines de premier plan. Dans la plupart des cas, il avait déjà été établi de longue date que ces individus avaient eu des interactions avec lui, sans que cela n'indique qu'ils avaient connaissance de ses crimes.

Surtout, toutes ces photos ont été publiées sans contexte. On ne sait ni le lieu ni le moment où elles ont été prises. Or, sans cela, difficile de tirer une quelconque conclusion.

Des fichiers largement censurés

Au-delà de ces photographies, de nombreux fichiers ont aussi été largement caviardés, c'est-à-dire censurés avec l'apposition de grands rectangles noirs. En théorie, la loi américaine autorise ce procédé à plusieurs conditions : si cela concerne des victimes potentielles ou identifiées, ou si cela permet de cacher de la pornographie infantile, des scènes violentes ou des éléments qui mettraient en péril l'enquête. Mais ces censures doivent systématiquement être communiquées et justifiées.

Or, selon plusieurs élus démocrates, beaucoup de documents ont été censurés sans justification explicite. "La loi exige la justification des passages caviardés. À première vue, il semble qu'il y ait eu de nombreux caviardages sans explication", a dénoncé le député démocrate Ro Khanna, cité par The Hill.

Ainsi, une liste de 254 masseuses apparaît par exemple dans les fichiers. Mais leurs noms ont tous été floutés pour, selon le ministère, "protéger la victime". Un autre dossier de 119 pages nommé "Grand jury de NY" est quant à lui entièrement noirci. De quoi priver le public d'une possible mine d'informations.

Des milliers de documents manquent encore à l'appel

À cela s'ajoutent les milliers d'autres fichiers très attendus qui manquent toujours à l'appel. Parmi eux des comptes-rendus d'auditions du FBI avec les victimes ou encore des notes internes du ministère de la Justice qui auraient pu éclairer le travail des enquêteurs.

En résumé, malgré la promesse d’une totale transparence par l’administration Trump, l’opacité demeure. "Les documents n’ont révélé aucune information majeure", résume ainsi le New York Times, et rien, dans cette tonne de documents, ne vient éclairer les agissements d’Epstein ou ses liens avec des personnalités publiques.

"J’ai l’impression qu’une fois de plus, le ministère de la Justice et le système judiciaire nous font défaut", a déploré Marina Lacerda à AP, qui accuse Epstein de l’avoir agressée sexuellement lorsqu’elle avait 14 ans. Et d’ajouter sur CNN : "Pourquoi ne pouvons-nous pas simplement révéler les noms qui devraient l’être ?".

"Tout le monde était sympa avec ce type", s'est finalement justifié le président républicain Donald Trump, lundi. "Bill Clinton était ami avec lui, mais tout le monde l’était", a-t-il poursuivi, s’inquiétant que certaines personnes "ayant innocemment rencontré" Jeffrey Epstein, notamment "parce qu’il était à une fête", puissent être injustement embarrassées par la publication de ces documents. "Vous ruinez la réputation de quelqu’un", a ainsi lancé le milliardaire républicain depuis sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride.

Une accusatrice précoce de Jeffrey Epstein réhabilitée

Pour les victimes et les accusateurs de Jeffrey Epstein, la publication des documents vendredi a tout de même apporté une victoire de taille : cela aura permis de donner raison à Maria Farmer, l'une des premières plaignantes contre le milliardaire. Cette femme, qui se présente comme une artiste professionnelle, avait alerté les forces de l'ordre au sujet d'Epstein dès 1996 et accuse depuis le gouvernement d'avoir ignoré ses accusations.

Or, parmi les fichiers dévoilés, un document du FBI met en lumière une plainte déposée contre Epstein en 1996, liée à des allégations de pornographie infantile. Si le nom de la plaignante y a été remplacé par un bandeau noir, l'avocat de Maria Farmer l'assure : il s'agit de la plainte déposée par sa cliente, relate CNN.

Dans le détail, Maria Farmer accuse Jeffrey Epstein d'avoir volé des photos qu'elle avait prises de ses sœurs mineures pour son travail artistique personnel. "Epstein a volé les photos et les négatifs et on pense qu'il a vendu les images à des acheteurs potentiels", peut-on lire dans le document. "Il menace maintenant [passage caviardé] que si elle parle à quiconque des photos, il mettra le feu à sa maison."

La preuve, donc, pour Maria Farmer que les autorités étaient bel et bien au courant des allégations contre Epstein une décennie avant sa première arrestation en 2006. "Le simple fait de le voir par écrit et d'avoir la preuve que les autorités détenaient ce document tout ce temps, le voir ainsi noir sur blanc, a été très émouvant", a réagi la sœur de Maria Farmer, Annie, sur CNN.

Les quelques documents les plus importants montrent "que les procureurs fédéraux semblaient disposer d'un dossier solide contre Epstein dès 2007", sans pour autant avoir décidé de l'inculper, abonde ainsi l'agence américaine AP.

Des photos retirées, republiées puis (re)retirées

En parallèle, une autre irrégularité a fait grincer des dents certains élus et soulevé de nombreuses interrogations. Dimanche, quelques heures seulement après leur publication, plusieurs images ont été retirées du site du ministère de la Justice, ont relevé plusieurs médias, dont The Guardian.

Selon le média britannique, seize clichés sont concernés, dont un montrant le président Donald Trump aux côtés de Jeffrey Epstein, accompagnés de Melania Trump et de Ghislaine Maxwell, la partenaire de l'homme d'affaires.

Cette dernière photo a finalement été remise en ligne. "Par mesure de précaution, le ministère de la Justice a temporairement retiré l'image pour un examen plus approfondi", a justifié ce dernier sur sa page X. "Après examen, il a été déterminé qu'il n'y avait aucune preuve que des victimes d'Epstein soient représentées sur la photographie, et celle-ci a été republiée sans aucune modification ni censure."

D'autant plus que Donald Trump apparaît comme le grand absent de ces dossiers. Il n'est en effet mentionné que très rarement parmi les milliers de documents. Étonnant puisque de nombreuses révélations ces dernières années ont montré les liens qui unissaient les deux hommes dans les années 1980.

"Censure", retrait, caviardage… Pourquoi la publication des dossiers Epstein fait polémique
Cette photo non datée publiée par le ministère américain de la Justice, montre Jeffrey Epstein tenant un chèque géant portant la signature de Donald Trump. AP

Pour le patron des sénateurs démocrates, Chuck Schumer, cela est la preuve que cette opération n'est qu'un "camouflage" pour protéger Donald Trump de son passé peu reluisant. L’élu accuse ainsi le gouvernement de "tout faire pour cacher la vérité". "S’ils suppriment cette information, imaginez tout ce qu’ils essaient de cacher… Il pourrait s’agir de l’une des plus grandes affaires de dissimulation de l’histoire américaine", a-t-il tonné.

L'entourage de l'ancien président Bill Clinton, largement pointé du doigt par les proches de Donald Trump pour sa proximité avec le milliardaire, a aussi vivement réagi. Trump et ses proches cherchent à "se protéger de ce qui vient, ou de ce qu'ils tenteront de dissimuler à jamais", accusent Angel Urena, du cabinet de l'ancien chef d'Etat démocrate.

Près de 8 000 nouveaux documents publiés mardi

Face à ces critiques, le ministère de la Justice a justifié et défendu sa lenteur et ses coups de ciseaux, au nom du respect des victimes de Jeffrey Epstein. "Nous allons publier davantage de documents dans les prochaines semaines. Aujourd'hui, plusieurs centaines de milliers, et dans les semaines à venir, j'en prévois plusieurs centaines de milliers d'autres", a déclaré le procureur général adjoint Todd Blanche, ancien avocat de Donald Trump. "Ces documents sont scrutés de près et nous voulons nous assurer que leur publication protège chaque victime", a-t-il assuré.

Mardi, le ministère de la Justice américain a ainsi publié près de 8 000 nouveaux documents sur le scandale Epstein. Ces nouveaux fichiers contiennent notamment des centaines de vidéos ou audios, dont des images de surveillance d’août 2019, quand le milliardaire a été retrouvé mort dans sa cellule.

Mais, surtout, il y a davantage de contenus faisant référence à Donald Trump. Selon The Guardian, il y est notamment question d’un vol effectué par le président américain à bord d’un avion dans lequel auraient également voyagé Epstein et une femme de 20 ans dans les années 1990. Pour autant, rien n’indique que cette femme ait été victime d’un crime et le fait qu’elle figure dans les dossiers ne signifie pas qu’elle ait commis un acte criminel.

Des affirmations à l'encontre de Donald Trump contenues dans les nouveaux documents publiés mardi sur l'affaire Epstein sont "fausses et sensationnalistes", a par ailleurs voulu insister le ministère américain de la Justice. Ce dernier a déclaré sur X avoir "officiellement publié environ 30 000 nouvelles pages de documents liés à Jeffrey Epstein. [...] Certains de ces documents contiennent des affirmations fausses et sensationnalistes contre le président Trump, qui ont été soumises au FBI juste avant l'élection de 2020. Soyons parfaitement clairs : ces affirmations sont fausses et sans fondement."

Et là encore, l'opacité demeure. Si le ministère de la justice a officiellement mis en ligne environ 11 000 liens avec des nouveaux documents, certains ne mènent pour le moment à rien.