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Covid-19 : pourquoi l'Europe se déchire sur le plan de relance économique

Le premier round des négociations sur le plan de relance de 750 milliards d'euros s'est achevé lors du sommet européen ce vendredi. Il a permis de clarifier les positions de chacun et l'ampleur des divergences qui subsistent.

Un tour de chauffe pour se mettre d’accord sur les désaccords avant de se retrouver mi-juillet pour les gommer. Le sommet européen, qui a réunit les dirigeants des 27 pays de l’Union européenne, vendredi 19 juin par visioconférence, a permis de clarifier les positions de chacun sur le plan de relance historique de 750 milliards d’euros pour l’ère post-Covid. Et le moins que l’on puisse dire, c’est "que le chemin est encore long pour arriver à un accord", a résumé Charles Michel, président du Conseil européen, dans sa lettre d’invitation à cette réunion.

Lorsque la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron ont trouvé un terrain d’entente pour le plan de relance, le 18 mai, l’Europe s’était félicité du retour du moteur politique de l’UE sur le devant de la scène à la faveur de l’épidémie de coronavirus. Mais très vite, un front de contestation s’est constitué, formé par les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède. Ce club, qui s’est fait appelé les "4 frugaux", semblait remettre en cause la générosité envers les pays économiquement les plus affectés par la crise sanitaire dont voulaient faire preuve Paris et Berlin.

En réalité, c’est un peu plus compliqué que cela. "En fait tout le monde est d’accord pour une relance économique, mais cela coince sur les modalités", résume Alexandre Baradez, responsable des analyses économiques pour le cabinet de conseil financier IG, contacté par France 24. Et des modalités, il y en a à la pelle.

Tu prêtes ou tu donnes ?

Le principal point d’achoppement concerne la nature des transferts d’argent aux pays fragilisés par le Covid-19. Dans le plan de relance, Angela Merkel veut que 500 milliards d’euros soient distribués comme des subventions, tandis que 250 milliards d’euros seraient disponibles sous forme de prêts. 

Les "4 frugaux" trouvent que le montant des subventions - c’est-à-dire de l’argent qui ne sera jamais remboursé - est bien trop élevé. Ils demandent d’inverser la logique du plan franco-allemand, voire de ne distribuer que des prêts. "Un crédit incite davantage à dépenser l’argent intelligemment", justifie un diplomate qui a préféré gardé l’anonymat, interrogé par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.

Mais forcer l’Italie ou l’Espagne à emprunter risque de revenir à résoudre un problème - l’accès en urgence à des fonds - pour en créer un autre, potentiellement plus dangereux à long terme. "La dette italienne, déjà élevée, ne sera pas soutenable si l’Europe lui verse essentiellement des fonds sous forme de prêts", assure Alexandre Baradez. Pour cet analyste, "le plan de relance ne sera crédible que s’il intègre surtout des dotations".

De l’argent en échange de quoi ?

Les Pays-Bas et leurs acolytes soulignent aussi que ces transferts d’argent devront s’accompagner de conditions strictes imposés aux pays qui en profiteront. Ils estiment que l’Europe devrait avoir un droit de regard sur la manière dont les pays bénéficiaires du plan de relance dépenseront les fonds puisque la grande partie de cet argent proviendra du budget commun de l’UE. Ils veulent, par exemple, que la Commission puisse imposer à ces États de mener certaines réformes afin d’assainir leurs finances.

C’est le retour du vieux débat qui avait déjà divisé l’Europe durant la crise de la dette au début des années 2010, lorsque l’UE avait été accusée d’imposer à Athènes une politique d’austérité drastique dans le cadre du plan de sauvetage. Sauf que "ce sont les Pays-Bas qui jouent aujourd’hui le rôle que l’Allemagne avait tenu à l’époque du plan de sauvetage de la Grèce", note Alexandre Baradez.

Cette fois-ci, Bruxelles semble moins enclin à faire plaisir aux riches pays du nord de l’Europe. L’UE reconnaît qu’il faudra conditionner les aides, mais le plan de relance prévoit essentiellement de demander aux pays de leur présenter des programmes de dépenses et de prouver que les investissements effectués font "avancer l’économie européenne" dans son ensemble, souligne le journal allemand Süddeutsche Zeitung. 

Des subventions, mais pour qui ?

Il n’y a pas que les "4 frugaux" qui grincent des dents. Plusieurs pays d’Europe de l’Est, rassemblés au sein du "groupe de Visegrad" craignent de ne ramasser que les miettes de l’immense trésor de guerre rassemblé pour relancer l’économie européenne.

La Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République Tchèque ont avalé de travers lorsqu’Angela Merkel et Emmanuel Macron ont précisé qui allait bénéficier, en priorité, des aides européenne. Le plan prévoit de verser à l’Italie et l’Espagne 172 milliards d’euros et 140 milliards d’euros respectivement. 

Ils jugent, notamment, qu’il est encore un peu tôt pour décider ainsi qui sont les principales victimes de la pandémie. "Nous pensons que le critère principal [pour décider du montant d’aides par pays, NDLR] devrait être la baisse du PIB, et on ne pourra en mesurer l’ampleur qu’en début d’année prochaine", a souligné Andrej Babiš, le Premier ministre tchèque, à l’occasion d’une conférence de presse commune des pays du "groupe de Visegrad", début juin.

Cet appel à la patience apparaît peu compatible avec l’urgence qu’il y a, aux yeux des promoteurs du plan franco-allemand, à débloquer les fonds. La chancelière a, ainsi, mis la pression sur ses collègues européens pour que les détails du programme d’aides soient finalisés avant la fin juillet afin que les parlements nationaux puissent ratifier le texte du plan d’ici à l’automne. Ce calendrier "permettrait de commencer à transférer l’argent début 2021, ce qui peut déjà sembler tardif vu les difficultés économiques rencontrées par plusieurs pays européens", souligne Alexandre Baradez.

Rien d’étonnant, avec tous ces désaccords, à ce que ce premier sommet ne débouche pas sur des décisions concrètes. "Ce qui est réellement important, c’est que les pays les plus réfractaires fassent des déclarations à l’issue de la réunion indiquant qu’ils sont prêts à des concessions", note Alexandre Baradez.

Pour cet analyste financier, ce serait un signal fort suggérant qu’un accord à l’unanimité est possible pour cet été. Et il juge essentiel de mettre en place la relance européenne au plus vite car il en va de l’avenir du continent dans la grande compétition mondiale. "Quand on regarde ce qui se passe aux États-Unis, qui sont en train de finaliser un plan de relance trois fois plus important que le nôtre, on ne peut pas s’empêcher de penser que tout l’argent mobilisé par la Fed ne sert pas seulement à sauver les entreprises, mais aussi à donner aux grands groupes les moyens de faire leur marché à l’international", résume Alexandre Baradez. En clair, il craint que si l’Europe ne se décide pas rapidement à venir en aide à son économie, des entreprises chinoises ou américaines vont en profiter pour racheter à prix cassé des actifs européens.