Le mouvement de protestation en cours depuis six jours aux États-Unis après la mort de George Floyd à Minneapolis est inédit à plus d’un titre. Au-delà du racisme, les manifestants visent désormais le président américain, Donald Trump.
Les jours passent mais la colère reste vive. Le mouvement de protestation né aux États-Unis après la mort d’un Américain noir, George Floyd, lors de son arrestation, le 25 mai, par des policiers blancs à Minneapolis n’en finit plus de prendre de l’ampleur. La nuit du dimanche 31 mai au lundi 1er juin a donné lieu à de nouveaux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre dans plusieurs villes du pays, y compris à quelques pas seulement de la Maison Blanche, à Washington.
Des soldats de la Garde nationale ont été déployés dans une quinzaine d'États tandis que les autorités locales ont imposé des mesures de couvre-feu dans des dizaines de villes. Du jamais vu depuis les émeutes ayant suivi l’assassinat de Martin Luther King en 1968.
"Il se passe en ce moment quelque chose d’exceptionnel aux États-Unis, on a affaire à une poudrière qui a explosé", juge Romain Huret, historien des États-Unis et directeur d’études à l’École des hautes études en science sociale (EHESS), contacté par France 24.
L’origine du mouvement et le mouvement lui-même rappellent les émeutes ayant suivi l’acquittement, en 1992, des policiers ayant battu Rodney King à Los Angeles ou, plus récemment, les manifestations ayant suivi la mort de Michael Brown, en 2014, à Ferguson. Mais de part "la vitesse de diffusion du mouvement et son ampleur, avec la conjugaison de manifestations pacifistes et violentes dans autant de villes et de manière aussi forte", note Romain Huret, l’histoire qui s’écrit actuellement aux États-Unis est inédite.
- Un contexte particulier
"Les États-Unis vivent dans un climat extrême de polarisation depuis l’élection de Donald Trump, qui n’a eu de cesse de jouer avec le feu depuis trois ans en employant des mots racistes, en incitant à la haine et à la désobéissance civile une partie de la population", souligne Romain Huret.
Or, la violence des images de l’arrestation, avec un homme à terre qui demande à respirer et un policier qui l’en empêche, a choqué une grande partie de l’opinion publique. Largement diffusées sur les réseaux sociaux, ces images ont servi de détonateur.
"La mort de George Floyd intervient par ailleurs en pleine crise du Covid-19 qui a mis en lumière les grandes inégalités existantes aux États-Unis. L’épidémie a fait des ravages au sein de la communauté afro-américaine, que ce soit en termes de décès ou d’impact sur l’économie informelle qui permet à une grande partie de cette population de survivre", explique le spécialiste des États-Unis.
- Un mouvement qui dépasse la question raciale
"Par son absence de réaction dans un premier temps, puis par ses tweets qui ont envenimé la situation, Donald Trump symbolise l’absence d’humanité. Il a montré que, pour lui, toutes les vies humaines ne se valaient pas", analyse Romain Huret.
Le président américain a en effet appelé sur Twitter à tirer sur les manifestants pour rétablir l’ordre et a enjoint les autorités locales à faire appel à la Garde nationale, suscitant la condamnation de Barack Obama. Il a également attisé encore davantage la colère d’une gauche américaine déjà consternée par sa gestion de la crise sanitaire.
....These THUGS are dishonoring the memory of George Floyd, and I won’t let that happen. Just spoke to Governor Tim Walz and told him that the Military is with him all the way. Any difficulty and we will assume control but, when the looting starts, the shooting starts. Thank you!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) May 29, 2020"Par rapport au mouvement Black Lives Matter en 2014, ce n’est pas simplement un problème racial, estime Romain Huret. Les Américains ne peuvent pas accepter ce qu’ils ont vu et sont confrontés à un choix de contrat social, de civilisation presque : quelle Amérique veut-on ? Toutes ces manifestations appellent à une réflexion sur le vivre ensemble aux États-Unis, sur ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable."
- De nombreux blancs parmi les manifestants
Contrairement aux émeutes de Los Angeles en 1992 ou, dans une moindre mesure, aux manifestations de Ferguson en 2014, le mouvement en cours aux États-Unis rassemble une population très diverse. De nombreux blancs sont descendus spontanément dans les rues.
"Pour une partie de la communauté blanche, la mort de George Floyd a marqué la fin des illusions nées avec l’élection de Barack Obama en 2008, lorsqu’on parlait d’Amérique ‘post-raciale’ et ‘colorblind’, analyse Romain Huret. Ces blancs réalisent aujourd’hui qu’il reste du chemin à parcourir car le racisme institutionnel est toujours présent dans les actions quotidiennes. Ils ont pris conscience de la nécessité de le faire disparaître."
Les jeunes blancs sont notamment très mobilisés. "Soutiens massifs de Bernie Sanders ou d’Elizabeth Warren, ils représentent une gauche plus en pointe sur les questions de justice raciale et de justice sociale", indique le directeur d’études de l’EHESS.
- Des policiers solidaires
À Houston, la ville d’origine de George Floyd, le chef de la police Art Acevedo s’est joint aux manifestants, samedi 30 mai, pour témoigner de sa solidarité. "Je pense qu’on est à un tournant", a-t-il déclaré à CNN, espérant voir "une réforme importante" dans le traitement des policiers ayant fait un usage mortel de la force.
À New York, à Kansas City, dans le Michigan, dans le New Jersey et ailleurs, d’autres policiers se sont mis à genoux ou ont défilé aux côtés des manifestants. Le signe que, même dans les rangs de la police, les mentalités évoluent.
Chief Wysocki on the march today, standing together with the residents we serve to remember and honor George Floyd. #StrongerTogether #CamdenStrong pic.twitter.com/UJAjxXkxrx
— Camden County Police (@CamdenCountyPD) May 31, 2020"C’est plutôt rare de voir des policiers rejoindre des manifestants, souligne Romain Huret. Souvent, la police invoque la faute professionnelle dans ce type d’affaire. Mais ces policiers qui ont mis un genou à terre montrent qu’ils refusent cet argument et qu’il s’agit clairement ici d’une faute morale."