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À 35 ans, la jeune ministre péruvienne de l’Économie Maria Antonieta Alva a fait mentir ses détracteurs en mettant en place le plan de soutien à l’économie le plus ambitieux d’Amérique du Sud pour faire face au Covid-19. Une prouesse qui lui vaut d’être devenue l’une des figures politiques les plus populaires du moment.

"Rock star" pour Bloomberg, "héroïne" de la lutte contre la pandémie pour le Wall Street Journal. Maria Antonieta Alva est l'une des rares responsables politiques dans le monde à voir sa cote de popularité exploser à la faveur de la pandémie de Covid-19. La jeune ministre péruvienne de l'Économie bénéficie de 75 % d'opinion favorable dans un pays "qui a pourtant une tradition historique de défiance envers le personnel politique et les institutions", souligne le Wall Street Journal.

En poste depuis seulement sept mois, cette femme de 35 ans est devenue, depuis le début de l'épidémie, le visage de l'un des plans de soutien à l'économie les plus ambitieux au monde. Et la figure centrale du gouvernement "anti-corruption" et qui se dit apolitique, mis en place en octobre 2019 par le président Martin Vizcarra. Des banderoles louant le "courage et la dignité" de Maria Antonieta Alva ont été déployées sur des ponts surplombant des axes routiers à Lima, tandis qu'une vidéo à la gloire de la ministre, sur fond de musique salsa, est rapidement devenue virale.

Une "millennial" face au Covid-19

Même l'émission racoleuse Magaly TV sur la chaîne locale ATV a laissé tomber un temps ses habituels reportages sur les ragots du show-biz pour consacrer, le mois dernier, un portrait à celle qui est devenue "la femme du moment"

Rien ne semblait pourtant prédestiner Maria Antonieta Alva à incarner les espoirs de tout un pays de surmonter la crise sanitaire sans trop de dégâts économiques. Sa nomination au poste de ministre de l'Économie et des Finances avait été plutôt froidement accueillie par la majorité des commentateurs politiques. Son jeune âge et son inexpérience du très complexe et chaotique jeu politique péruvien étaient perçus comme autant de défauts pour gérer un portefeuille aussi sensible que celui de l'économie. 

Au mieux, elle était considérée comme une jeune femme brillante, passée par la prestigieuse Universidad del Pacífico de Lima et la non moins célèbre université d'Harvard, aux États-Unis, qui risquait de se brûler les ailes en étant mise trop tôt à un poste trop en vue. Au pire, elle était vue comme un pur produit de la "bureaucratie péruvienne", qui n'avait été nommée que pour être la caution "millennial" du gouvernement. Avant de prendre les rênes de l'économie, Maria Antonieta Alva a passé les dernières années à superviser la gestion des finances en coulisses à différents postes de l'administration, dont celui de responsable du secrétariat au Budget.

Avec l'arrivée de l'épidémie, cette bosseuse au look austère s'est retrouvée à devoir inventer en urgence un plan de soutien à l'économie du pays d'Amérique du Sud le plus touché par le Covid-19 après le Brésil, avec 47 372 cas déclarés à ce jour. Maria Antonieta Alva a, alors, frappé fort en annonçant une enveloppe de 26 milliards de dollars, soit l'équivalent de 12 % du PIB national. "En terme macroéconomique, le Pérou est le pays d'Amérique latine qui fait l'effort économique le plus important", constate Ricardo Hausmann, un économiste d'Harvard interrogé par Bloomberg. Les efforts budgétaires du Brésil ou du Chili, deux pays voisins, ne s'élèvent qu'à 7 % du PIB.

Même au niveau mondial, peu de pays peuvent se prévaloir de mettre autant d'argent sur la table, comparativement à la taille de leur économie, pour limiter les dégâts causés par le coronavirus. Le plan d'aide "historique" des États-Unis ne correspond qu'à 10 % du PIB, tandis que les 110 milliards d'euros débloqués par la France début avril sont l'équivalent d'un peu moins de 5 % du PIB.

Les plus pauvres et les petites entreprises d'abord

Il faut dire que le Pérou bénéficiait d'une situation financière bien plus saine que celle des autres pays d'Amérique latine qui, à l'instar du Brésil, devaient déjà faire face à de sérieux problèmes économiques avant le début de l'épidémie. Traumatisé par l'hyperinflation des années 1980, le Pérou a commencé, dès 1993, à limiter les dépenses, s'interdisant même d'avoir un déficit qui dépasserait les 30 % du PIB. Résultat : en 2018, son déficit ne s'élevait qu'à 23 % du PIB. Revers de la médaille, les secteurs de santé et de l'éducation du Pérou sont parmi les moins bien financés d'Amérique latine.

C'est comme si le pays s'était préparé depuis près de 30 ans à faire face à une situation de crise où il lui faudrait puiser généreusement dans ses réserves. Et Maria Antonieta Alva n'a pas hésité. "L'argent ne doit pas être un problème" a-t-elle déclaré, mi-avril, avant de détailler comment elle comptait dépenser les fonds. 

Ce sont ses choix qui lui ont valu la sympathie d'une grande partie de la population, car ils font l'impasse sur le soutien aux grandes groupes pour se concentrer presque exclusivement sur les plus démunis et les petites entreprises. Son plan prévoit, dans un premier temps, de venir en aide au secteur hospitalier, sous pression financière depuis des années à cause de la politique d'austérité qui est la marque de fabrique du Pérou. Ensuite, les fonds doivent servir à prendre en charge une fraction des salaires d'une partie de la population mise au chômage forcée à cause de l'arrêt de l'activité, à faire des prêts aux micro-entreprises, et à distribuer des aides directes aux plus pauvres.

Récession en vue

Autant de mesure qui n'avaient jamais été envisagées auparavant dans un pays qui a le libéralisme chevillé au corps, souligne Bloomberg. "C'est elle qui, à force de négociations avec les autres membres du gouvernement, a permis au Pérou de présenter un plan aussi bien articulé", souligne Jaime Reusche, un analyste de l'agence de notation Moody's, interrogé par Bloomberg.

Cette aura de ministre qui ne servirait pas les intérêts des puissants lui vient aussi d'un bras de fer qu'elle a eu avec Carlos Paredes Lanatta, l'ex-directeur du groupe public pétrolier Petroperu. En janvier 2020, elle avait refusé de venir en aide à cette entreprise, ce qui lui avait valu d'être copieusement insultée par Carlos Paredes Lanatta. Il a dû démissionner après la publication, fin février, d'un enregistrement audio sur lequel on peut entendre les "amabilités" lancées par le grand patron à la jeune ministre.

Mais la lune de miel de Maria Antonieta Alva avec l'opinion publique risque de ne pas durer, prévient le Wall Street Journal. Les prévisions économiques pour le Pérou sont sombres, malgré les fonds que le gouvernement entend injecter dans l'économie. "La récession pourrait être la pire depuis la guerre du Pacifique contre le Chili en 1879, lorsque la production avait chuté de 32 %", note le quotidien économique nord-américain. L'économie péruvienne dépend, en effet, beaucoup des exportations de matières premières et du tourisme, deux secteurs fortement touchés par la crise sanitaire. Les mesures d'aides risquent alors d'apparaître comme un pansement temporaire pour une société qui reste très inégalitaire avec 20 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté.