logo

Champion du déni face au Covid-19, Trump entre en campagne pour sa réélection

Le président américain a tenté dimanche soir de mettre derrière lui la crise sanitaire du Covid-19 dans une interview donnée à Fox News. À six mois de l’élection présidentielle, Donald Trump sait que le contexte ne joue pas pour lui.

Cadre spectaculaire, bilan gonflé et promesses difficilement tenables : c’est une interview qui avait des airs de campagne qu’a donnée Donald Trump, dimanche 3 mai, à Fox News, devant la gigantesque statue d’Abraham Lincoln à Washington. Critiqué pour sa gestion de la crise sanitaire du Covid-19, le président américain a tenté de faire oublier ses erreurs et a notamment promis un vaccin avant la fin de l’année et une année 2021 "incroyable" sur le plan économique.

Mais à six mois de l’élection présidentielle américaine, prévue le 3 novembre, les faits, à commencer par la situation économique du pays, risquent de contrecarrer sa stratégie de campagne, selon le spécialiste des États-Unis Jean-Éric Branaa, enseignant-chercheur à l’université Panthéon-Assas, auteur de "Rien ne sera plus comme avant, l’Amérique au temps du coronavirus" (VA Éditions), contacté par France 24.

En attendant, hormis l’État de New York qui a annulé sa primaire pour déclarer Joe Biden vainqueur, les primaires démocrates devant mener à l’officialisation de la candidature de l’ancien vice-président se poursuivent grâce au vote à distance. Les conventions sont pour le moment programmées les semaines du 17 août côté démocrate et du 24 août côté républicain.

France 24 : Avec son interview à Fox News, Donald Trump a-t-il tourné la page de la pandémie de Covid-19 pour entrer pour de bon en campagne ?

Jean-Éric Branaa : La page n’est pas tournée mais cette interview montre qu’il aimerait qu’elle le soit. Donald Trump essaie comme il peut de se dégager de cette crise qui l’enfonce. Il a commis de nombreuses erreurs depuis janvier-février, lorsqu’il minimisait les dangers du coronavirus. Encore hier soir, quand il fait référence à son procès en destitution, on voit la cassure qui existe entre lui, son équipe et les Américains. Son égocentrisme, son manque total d’empathie vis-à-vis de ceux qui souffrent et par rapport au nombre de morts, y compris dans des États qui ont beaucoup voté pour lui, risquent de lui coûter cher. Donald Trump n’a jamais pris la mesure de son rôle de président protecteur de tous les Américains face au Covid-19.

Est-ce que le futur candidat démocrate, Joe Biden, profite de la situation ?

Joe Biden est repassé en tête dans de nombreux sondages et, surtout, dans plusieurs États clés comme le Wisconsin, le Michigan, la Pennsylvanie, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et la Floride. Même le Texas et l’Arizona sont en train de basculer. À six mois de l’élection, c’est vraiment inquiétant pour Donald Trump qui l’a d’ailleurs compris puisqu’il se rendra mardi en Arizona pour visiter une usine d’équipements médicaux.

Par ailleurs, Joe Biden attaque Donald Trump sur sa constance et sa consistance. Le ressenti des Américains est vraiment négatif car avec plus de 70 000 morts, ils vivent un drame national. La peur de tomber malade ou de perdre son travail s’est installée. Et c’est bien le président qui risque de payer les pots cassés.

In times of crisis, the American people deserve a president who tells them the truth and takes responsibility. Donald Trump has not been that president. pic.twitter.com/QikZiHZeXX

— Joe Biden (@JoeBiden) May 4, 2020

Donald Trump comptait miser sur son bilan économique. Le Covid-19 chamboule ses plans…

C’est évident que les thèmes de campagne vont changer. Le chômage a explosé brutalement avec plus de 30 millions d’Américains inscrits. On devrait être autour de 10 %, 15 %, voire 20 % de chômage d’ici deux mois. Certains secteurs comme le tourisme ou la culture mettront énormément de temps à s’en remettre, de nombreux sous-traitants vont devoir mettre la clé sous la porte. La crise est bien là et est partie pour durer peut-être plusieurs années. Le président de la Réserve fédérale américaine (FED), Jerome Powell, avait annoncé il y a quelques semaines que la reprise se ferait rapidement. Il dit le contraire désormais.

Cette réalité ne fait pas les affaires de Donald Trump. Il continue de tenir un discours optimiste car il n’a pas le choix, mais il va bientôt se retrouver face à une situation terrible : les gens qui ont voté pour lui vont se retrouver au chômage.

La crise sanitaire peut-elle faire du système de santé un enjeu majeur de la campagne ?

Ce sera l’un des thèmes, mais personne ne proposera une assurance-santé universelle. Les Américains n’en veulent pas. Joe Biden propose de consolider l’Obamacare et d’étendre la protection santé des plus de 65 ans, Medicare, aux plus de 60 ans, mais ça ne va pas plus loin. En revanche, le discours de Donald Trump sur cette question, qui portait essentiellement sur la crise des opioïdes, est devenu inaudible.

L’élection a lieu dans six mois mais on voit que le débat sur le vote a déjà commencé. Quel est l’enjeu ?

Pour éviter les larges rassemblements, les démocrates ont proposé que le vote du 3 novembre se fasse exclusivement à distance, par courrier, comme cela est déjà possible dans plusieurs États. Mais Donald Trump y est opposé car il n’y a pas intérêt. L’électorat démocrate se déplace moins facilement dans les bureaux de vote alors que la base électorale de Donald Trump est plus assidue, donc le vote physique l'avantage. Ce débat risque d’occuper les Américains pendant de nombreuses semaines encore.