Des scientifiques chinois ont trouvé la trace de 33 variantes du Sars-CoV-2, le virus à l’origine du Covid-19, parmi des personnes contaminées en Chine au début de la pandémie. Une découverte qui démontre qu’il y a encore beaucoup à apprendre sur les mutations de ce coronavirus.
Pas une, pas deux, mais 33 mutations. Il y aurait eu bien plus de variantes du coronavirus en circulation dès les prémices de l'épidémie que ce qui était admis jusqu'à présent, a établi une équipe de scientifiques chinois, dans une prépublication mise en ligne le 20 avril. Certaines de ces souches mutantes, qui circulent actuellement aux États-Unis et en Europe, pourraient en outre être beaucoup plus virulentes que le virus d'origine, suggèrent les auteurs de l'étude.
Ces scientifiques, emmenés par Li Lanjuan, l'une des plus éminentes épidémiologistes chinoises, ont découvert ces modifications précoces du virus en analysant des tissus prélevés chez onze individus contaminés entre fin janvier et début février. Tous avaient un lien avec Wuhan, la ville d'où est partie la pandémie de Covid-19, ce qui suggère que le monde avait à faire dès le départ avec des formes multiples du coronavirus.
Capacité à muter sous-estimée ?
"Il y a deux explications principales possibles à ce polymorphisme du virus dans le pool initial de contamination : soit il s'agit d'une souche qui a muté en passant d'un individu à l'autre, soit il y a eu plusieurs formes du virus qui ont été transmises à l'homme dès le départ", constate Franck Prugnolle, spécialiste de biologie moléculaire et directeur de recherche au CNRS, contacté par France 24.
Cette découverte indique, en tout cas, que la "capacité de ce coronavirus à muter a été très fortement sous-estimée jusqu'à présent", écrit le quotidien hongkongais South China Morning Post. Il était, jusqu'à présent, communément admis que le Covid-19 était resté plutôt stable. "Les estimations font état d'environ deux mutations par mois pour ce coronavirus", rappelle Franck Prugnolle. Mais le fait d'avoir découvert une trentaine de variantes, dont 19 n'avaient encore jamais été observées ailleurs, chez des patients exposés si tôt à la maladie a été un choc pour les chercheurs chinois : "Cela suggère que nous n'avons qu'une compréhension très limitée de la réelle diversité des formes du virus en circulation", souligne Li Lanjuan.
Mais il y a mutation et mutation. Certaines sont neutres et n'affectent pas la manière dont le virus interagit avec l'organisme contaminé, tandis que d'autres peuvent le rendre plus contagieux, moins dangereux ou, au contraire, plus mortel. "Les mutations interviennent au moment de la réplication chez l'hôte et se produisent de manière aléatoire", précise Franck Prugnolle.
Une souche européenne plus virulente que d'autres ?
Les expériences menées en laboratoire par les chercheurs indiquent que certains "mutants" du Covid-19 sont potentiellement bien plus virulents que d'autres. En contaminant des cellules in vitro, ils ont constaté qu'une souche spécifique du virus avait une charge virale 270 fois supérieure à la plus inoffensive variante du coronavirus. C'est-à-dire qu'elle était bien plus envahissante. Cette forme du virus est aussi celle qui a détruit le plus rapidement les cellules contaminées.
En outre, les scientifiques chinois ont découvert, dans cet échantillon chinois, la même souche du coronavirus que celle qui est la plus répandue en Europe. Les tests en laboratoire démontrent que cette variante du virus est parmi les plus virulentes. C'est la même qui sévit, d'ailleurs à New York, "ce qui pourrait expliquer pourquoi le taux de létalité dans la capitale américaine est similaire à celui des certains pays européens", estime le South China Morning Post.
Ces résultats pourraient aider les autorités sanitaires à adapter leur approche du traitement des personnes contaminées, suggèrent les auteurs de l'étude. Au lieu de traiter le Covid-19 comme une seule maladie "ils doivent prendre en compte l'accumulation des mutations pour éviter de se fourvoyer", écrivent les scientifiques chinois.
In vitro vs. in vivo
Mais ces observations "ne sont que les descriptions des possibilités constatées d'après des études en laboratoire qui ne prennent pas en compte les mécanismes de transmission entre les individus", nuance Ian Jones, virologue à l'université de Reading. Ce n'est pas parce qu'une des souches du virus semble plus virulente en laboratoire qu'il va en être de même lors de la contamination d'un corps humain qui peut avoir des mécanismes spécifiques de défense. "Il serait intéressant de faire les mêmes essais sur des souris par exemple", note Franck Prugnolle.
Il n'empêche que la démonstration de ces mutations précoces peut avoir un impact sur la recherche du Saint Graal de la lutte contre le Covid-19 : les vaccins. "Certaines des mutations observées pourraient en effet rendre un vaccin moins efficace si elles n'étaient pas pris en considération", reconnaît Chao Jiang, l'un des auteurs de l'étude, contacté par la magazine Newsweek. En d'autres termes, il est nécessaire d'avoir une vue la plus complète possible des principales mutations pour s'assurer qu'un futur vaccin permettra bien de protéger des souches les plus répandues dans les différentes régions du monde.