Le coronavirus affaiblit les entreprises européennes et les rend plus vulnérables aux attaques des prédateurs financiers. Bruxelles se prépare à la guerre économique et appelle les États membres de l’Union européenne à tout faire pour protéger leurs champions économiques.
"Nous sommes entrés dans une ère de concurrence stratégique, où certains dirigeants n’hésitent pas à recourir à la contrainte et à détourner des instruments, économiques notamment, pour en faire des armes, écrivait le 8 février Josep Borrell, haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, dans une tribune intitulée "Miser sur la puissance européenne". Nous autres Européens devons adapter nos schémas mentaux pour aborder le monde tel qu’il est et non tel que nous aimerions qu’il soit. Pour éviter d’être la perdante de la concurrence à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine, l’Union européenne doit réapprendre le langage de la force et se considérer comme un acteur géostratégique de premier rang".
Aux armes économiques citoyens européens ! L’Union est en danger, ses entreprises menacées par des intérêts étrangers qui voudraient profiter de la pandémie de coronavirus pour s’en emparer. C’est en substance le message envoyé par la Commission européenne lors de sa communication le 26 mars 2020. "La situation d’urgence liée à la Covid-19 a des effets tentaculaires sur l’économie de l’Union européenne". Et d’appeler les États membres à la plus grande vigilance. "Parmi les conséquences possibles du choc économique actuel, on peut citer un risque accru pour les industries stratégiques en particulier (…) pour les industries liées aux soins de santé."
Pourquoi une telle levée d’armes de la part d’une administration bruxelloise souvent taxée de "bisounours de la mondialisation" ? Parce qu’il y a urgence. Dans les principaux pays industriels de l’Union, les gouvernants craignent que leurs entreprises affaiblies par la crise sanitaire et économique ne soient des proies faciles pour les prédateurs financiers. Lesquels pourraient profiter des faibles valorisations boursières de ces sociétés pour les acheter à coups de prises de participations hostiles à leur capital (OPA). "Il convient de noter, car cela est rare, la rapidité de réaction des institutions européennes" rapporte Nicolas Ravailhe, ancien haut-fonctionnaire à Bruxelles et actuel lobbyste international dans la capitale belge.
Dispose-t-on d’exemples précis d’entreprises européennes susceptibles de changer de pavillon ? Pas pour le moment dit-on à Bruxelles. Mais on reste sur ses gardes craignant que les premières attaques ne commencent qu’après le confinement. "Cela concerne toutes les entreprises qui ont vu chuter leur cours de bourse", explique Pascal Dupeyrat lobbyste dans les secteurs stratégiques.
La Chine et les États-Unis dans le collimateur de l’UE
Sait-on alors au moins qui sont les futurs agresseurs ? La Commissaire à la concurrence Margrethe Vestager a désigné Pékin dans un entretien au Financial Times lundi 13 avril. Mais ce n’est pas le seul pays visé par Bruxelles. Personne n’ose ouvertement le dire mais les États-Unis sont également dans le collimateur des Européens. Déjà vexés par la fermeture unilatérale des frontières décidée le 12 mars 2020 par l’hôte de la Maison Blanche, les dirigeants européens ont été outrés par la tentative américaine mi-mars de faire main basse sur le laboratoire allemand CureVac qui travaille sur un vaccin contre le coronavirus.
Dès le 13 mars 2020, la Commission a appelé les États membres à la vigilance et les a invités à utiliser tous les outils disponibles à l’échelle de l’Union et au niveau national afin d’éviter que la crise ne conduise à une perte d’actifs et de technologies critiques. Dans cette communication, Bruxelles fait sauter l’un de ses tabous : la sacro-sainte loi sur l’interdiction des aides d’État aux entreprises. Dorénavant, les 27 peuvent ouvrir très largement leur portefeuille pour soutenir leurs champions nationaux. Et ce avec la bénédiction des gardiens du temple bruxellois. "C’est un changement de pied complet", explique Pascal Dupeyrat. "Toute la question ajoute-t-il est de savoir si ceux qui ont vanté depuis des années l’idéologie du libre-échangisme sont les mieux placés pour opérer ce virage à 90 degrés."
Pour Bruxelles, tous les secteurs sont devenus stratégiques
La Commission européenne récidive le 26 mars 2020 en incitant les capitales européennes à renforcer leur défense économique selon trois axes. D’une part, encourager les treize pays membres qui n’en possèdent pas à mettre urgemment en place un dispositif de filtrage et de surveillance des investissements étrangers (hors UE). D’autre part, élargir à la santé la liste des secteurs stratégiques susceptibles d’être protégés. Et enfin, intégrer à cette liste ce que Bruxelles appelle les intrants, une notion suffisamment large et floue qui comprend tous les matériaux permettant de fabriquer d’autres produits. Le tout dans les plus brefs délais selon le Commissaire au commerce Phil Hogan qui s’est exprimé sur cette question jeudi 16 avril 2020.
En somme, Bruxelles considère dorénavant que tous les secteurs peuvent faire l’objet de mesures de protection contre des investissements étrangers hors UE. Gare toutefois aux effets pervers de ce dispositif ! Il pourrait favoriser certains États membres au détriment des autres. "Seule l’Allemagne prévient Nicolas Ravailhe, possède les moyens d’acheter ou de laisser mourir des entreprises européennes qui ne pourront pas être rachetées par des pays tiers de l’UE parce qu’elles sont considérées comme stratégiques. Prenons garde à ne pas donner à Berlin toutes les clés économiques de l’Europe."