Pour les familles originaires d’Afrique, du Moyen-Orient ou encore d’Asie et vivant en Europe, les vacances sont parfois synonymes de retour au pays... et de cauchemar pour leurs filles. Chaque année, des milliers de jeunes filles se font exciser par surprise dans le pays d'origine de leurs parents. Nos reporters, Miyuki Droz Aramaki et Sophie Guignon, ont rencontré de jeunes victimes. Elles ont aussi suivi des médecins et des activistes qui travaillent à soigner ces femmes meurtries et à changer les mentalités. Voici leur document exceptionnel de 26 minutes.
Malgré la douleur intime et les pressions familiales qu'elles subissent, de jeunes Européennes ont accepté de nous livrer leur histoire, sous couvert d’anonymat. Nous avons ainsi rencontré une jeune Britannique de 25 ans, originaire de Somalie. Elle se souvient de son tout premier séjour au Somaliland, région semi-autonome de la Somalie, à l’extrémité orientale de la Corne de l’Afrique. Elle avait dix ans et a été excisée par surprise : "J'ai vu plusieurs femmes assises à l'intérieur d’une pièce, raconte-t-elle. L'une d’entre elles m'a attrapée et a commencé à tirer mes vêtements. Tout à coup, j’ai ressenti une douleur aiguë et je me suis sentie totalement impuissante". S’ensuit, outre la blessure physique, le sentiment durable d’avoir été privée de son intimité et de son humanité.
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), chaque année, 180 000 jeunes Européennes courent le risque de se faire exciser au cours d’un séjour dans leur pays d’origine.
Une coutume qui laisse de graves séquelles physiques et psychologiques
Pour comprendre la persistance de cette coutume de mutilation génitale, nous nous sommes rendues au Somaliland, où 97 % des femmes sont excisées. Censée préserver l’honneur et la virginité des jeunes femmes, cet acte les prive à jamais de tout plaisir sexuel. Il engendre aussi de graves séquelles physiques et psychologiques pour le reste de leur vie, ainsi qu'un terrain favorisant les accouchements à risques. Parfois, l’excision peut mener jusqu’au décès de la jeune femme.
Dans les quartiers pauvres de la capitale, Hargeisa, nous avons rencontré une exciseuse, âgée d’une quarantaine d’années et mère de famille nombreuse. Pour elle, exciser les jeunes filles, qu’il s’agisse de locales ou d’Européennes en vacances, représente un simple gagne-pain pour nourrir sa famille et ses enfants.
Convaincre les mères de protéger leurs filles
Sur place, des militantes se mobilisent pour lutter contre cette pratique qui repose sur de fausses croyances ancestrales. Edna Adan est l’une des pionnières de cette lutte. À 82 ans, elle continue de gérer le principal hôpital de la ville, qu’elle a fondé, et y forme des médecins, des infirmières et des sages-femmes. Ces professionnels de la santé tentent de convaincre les jeunes mères de ne pas reproduire les violences qu’elles ont elles-mêmes subies. Pour Edna Adan, protéger les jeunes Européennes passe par un changement des mentalités et par une législation punissant ces mutilations.
Au cours de notre enquête, nous avons aussi rencontré, en France, des médecins qui soignent des jeunes femmes mutilées à l’étranger. "Il faut s’imaginer une jeune femme qui vit comme une Européenne, qui est élevée comme les autres jeunes filles et qui tout d’un coup est renvoyée à une coutume qu’elle ne peut absolument pas comprendre... C’est extrêmement brutal et traumatisant", nous explique le docteur Arnaud Sevène, qui exerce à Saint-Denis, en banlieue parisienne, où 15 % des femmes suivies pour grossesse sont excisées.
Réparer les femmes meurtries
Beaucoup de jeunes femmes meurtries cherchent à rencontrer le célèbre chirurgien urologue Pierre Foldes. Basé à Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne, il est le premier au monde à avoir mis au point une technique de reconstruction du clitoris, l’organe féminin mutilé lors de l’excision, et s’est battu pour obtenir que l'opération soit remboursée par la Sécurité sociale. Sa méthode permet de "réparer" les femmes traumatisées, mais aussi de leur redonner du plaisir sexuel et d'espérer un accouchement sans danger. Une réparation physique qui s’accompagne d’un suivi psychologique à l’institut Women Safe que le chirurgien a cofondé avec la militante Frédérique Martz en 2014. Médecins, infirmières, psychologues ou encore juristes s’y relaient pour permettre aux femmes victimes d’excision de vivre, enfin, la vie qu’elles ont choisie.