Né en février après l'annonce de la candidature du président algérien Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, le Hirak n’a cessé de prendre de l’ampleur malgré le renoncement du chef de l’État, début avril. Depuis, il réclame en vain une véritable rupture avec le "système" politique en place depuis l'indépendance en 1962.
Le 10 février 2019, le président Abdelaziz Bouteflika, âgé de 82 ans, annonce son intention de briguer un 5e mandat à la tête de l'Algérie, lors de la présidentielle programmé le 18 avril 2019.
Quelques jours plus tard, le 16 février, un rassemblement pacifique et spontané réunissant des milliers de manifestants à Kherrata, à 300 km à l'est d'Alger, proteste contre l'éventualité d'un 5e mandat du président, au pouvoir depuis deux décennies et très affaibli depuis un AVC en 2013. Le 22 février, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent dans les grandes villes algériennes et à Alger pour forcer Abdelaziz Bouteflika à renoncer à se présenter à la présidentielle. C'est le début du Hirak ("mouvement" en arabe).
Depuis, tous les vendredis, ainsi que les mardis pour les étudiants, les Algériens manifestent pacifiquement contre le pouvoir pour réclamer une véritable rupture totale avec le "système" politique en place depuis l'indépendance en 1962.
Malgré d'importants dispositifs sécuritaires, le Hirak s'est amplifié et a gagné toute l'Algérie, comme ici à Oran. Les Algériens s'organisent via les réseaux sociaux et se réapproprient les rues du pays. Percutants, humoristiques, parfois même grinçants, les slogans brandis lors des manifestations contre le pouvoir rivalisent d'inventivité et suscitent l'admiration à l'étranger.
Sous pression, le pouvoir tergiverse. Dans un message à la nation, le président algérien Abdelaziz Bouteflika annonce dans un premier temps, le 11 mars, sa décision de ne pas briguer un 5e mandat. Puis, progressivement lâché par l’armée, celui que l’on pensait indéboulonnable cède et démissionne le 2 avril, tandis que le président du Conseil de la Nation (Chambre haute), Abdelkader Bensalah, est nommé le 9 avril président par intérim.
Malgré la démission d'Abdelaziz Bouteflika, les manifestants restent mobilisés estimant qu'il ne s'agit que d'une "demi-victoire". Afin d'empêcher les anciens fidèles du président déchu de gérer la transition, le Hirak exige la mise sur pied d'institutions de transition, et refuse que le "système" organise la présidentielle, les précédents scrutins ayant été marqués selon les manifestants par des fraudes électorales. Ces derniers réclament par conséquent le report de la présidentielle alors programmée le 4 juillet. Début juin, le Conseil constitutionnel invalide les dossiers des deux seuls candidats et annule de facto le scrutin. Une nouvelle date est fixée au 12 décembre.
Le 25 septembre, un tribunal militaire condamne Saïd Bouteflika, le très influent frère et conseiller du président déchu, et deux anciens chefs du renseignement à 15 ans de prison pour "atteinte à l'autorité de l'armée" et "complot contre l'autorité de l'État". Leurs peines ont été confirmées en appel le 10 février 2020. Deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, jugés pour corruption, écopent en décembre respectivement de 15 et 12 ans de prison. D'autres ex-hauts dirigeants politiques et grands patrons proches d'Abdelaziz Bouteflika sont également condamnés.
Estimant que les "revendications fondamentales" du mouvement ont été "entièrement" satisfaites avec le départ d'Abdelaziz Boutaflika, le pouvoir algérien lance une vague d'arrestations contre des manifestants et des personnalités algériennes. Parmi eux, Lakhdar Bouregaa, un vétéran respecté de la Guerre d'indépendance, âgé de 86 ans. Il ne sera libéré qu'après 6 mois de détention provisoire, le 2 janvier 2020. Plus de 200 opposants au total ont été remis en liberté, la plupart depuis le début de l'année, selon le Comité national de libération des détenus (CNLD). Mais ce dernier a recensé, début février, "142 manifestants en détention provisoire et 1 300 autres qui font l'objet de poursuites judiciaires pour des faits liés à la campagne du scrutin présidentiel".
Après pratiquement dix mois d'une contestation populaire massive et inédite, les Algériens sont appelés aux urnes, le 12 décembre, afin d'élire un successeur à Abdelaziz Bouteflika, dans une présidentielle imposée par l'armée et perçue comme une manœuvre de survie du régime. Le 6 décembre, la dernière manifestation hebdomadaire avant l'élection, a rassemblé une foule monstre, montrant l'étendue du rejet. Pour le Hirak, les cinq candidats retenus par la commission électorale sont tous issus du "système Bouteflika".
Le 13 décembre, Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre et fidèle d'Abdelaziz Bouteflika, remporte la présidentielle boycottée par l'opposition et marquée par une abstention record (plus de 60 %). Lors de sa prestation de serment, il s'engage à entamer rapidement des consultations pour rédiger une nouvelle Constitution, à lutter contre la corruption et à diversifier l'économie.
Le général Ahmed Gaïd Salah, devenu de facto l'homme fort de l'Algérie depuis la démission le 2 avril d'Abdelaziz Bouteflika, décède le 23 décembre, quelques jours après l'entrée en fonction du nouveau président Abdelmadjid Tebboune, réputé comme un de ses proches. Selon les observateurs, sa disparition ne va pas nécessairement affecter la place centrale qu'occupe l'armée dans le système politique algérien, et qui est contestée par la rue.
Une forte mobilisatoin est attendue lors du premier anniversaire du Hirak, qui, sans structure formelle, s'interroge sur la marche à suivre à l'orée de sa 2e année. Notamment sur la pertinence et les modalités d'éventuelles discussions avec le pouvoir, mais aussi sur la forme que doit prendre à l'avenir la contestation.