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Certains craignent "un génocide", d'autres parlent de "décision dangereuse" : la nomination au Brésil de l'ancien missionnaire Ricardo Lopes Dias à la tête des groupes autochtones est jugée inquiétante pour l'avenir des 107 tribus les plus reculées du pays. Explications.
Ricardo Lopes Dias ne s'en cache pas. Le pasteur brésilien a travaillé "pendant plus d'une décennie", selon lui, comme missionnaire évangélique en Amazonie. Entre 1997 et 2007, il a porté la parole de Dieu aux peuples autochtones des régions reculées pour le compte de la Mission des nouvelles tribus du Brésil (MNTB). Une organisation, rebaptisée aujourd'hui Ethnos360, mais dont le nom reste associé à la disparition d'un peuple Zo'é, décimé dans les années 1990 par des épidémies comme la rougeole et la grippe au contact des missionnaires.
Aussi, quand Ricardo Lopes Dias a été officiellement nommé, mercredi 5 février, coordinateur des tribus autochtones isolées pour l'agence gouvernementale des indigènes, la Funai, la levée de boucliers ne s'est pas fait attendre. Beaucoup craignent que le gouvernement du président d'extrême droite, Jair Bolsonaro, n'en profite pour organiser, entre autres, une vague d'évangélisation des peuples reculés.
"Un loup dans la bergerie"
Les critiques les plus virulentes sont venues des organisations indigènes elles-mêmes : "Mettre un missionnaire évangélique en charge du département des Indiens isolés de la Funai, c'est comme faire entrer un loup dans la bergerie. C'est un acte d'agression, une déclaration qu'ils veulent approcher de force ces tribus, ce qui les détruira", a dénoncé Sarah Shenker, du groupe de défense des droits des autochtones Survival International.
"Nos familles ont souffert historiquement des actions de prosélytisme des missionnaires, dont beaucoup de la MNTB", a rappelé le Conseil des organisations indigènes de l'Amazonie brésilienne (Coiab) dans un communiqué. Elle dit craindre "des crimes de génocide et d'ethnocide à l'encontre de nos proches isolés".
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Victoria Tauli-Corpuz, a également réagi : "Il s'agit d'une décision dangereuse qui risque de provoquer un génocide parmi les peuples autochtones isolés", a-t-elle prévenu.
"Aujourd'hui, je suis anthropologue"
Face à cette volée de critiques, Ricardo Lopes Dias s'était défendu fin janvier, avant même sa nomination, dans un entretien avec le quotidien brésilien O Globo. Il y affirme avoir été recruté pour son expérience d'anthropologue avant tout. "Je n'ai jamais caché et je ne cache pas mon passé de missionnaire, mais aujourd'hui je suis anthropologue, diplômé d'un master et d'un doctorat des universités publiques de trois États", a-t-il notifié.
Reste que peu d'informations et de photos circulent sur le nouveau responsable des tribus autochtones de la Funai. Du côté de la MNTB, le président Edward Gomes Luz décrit un candidat idéal. "C'est une personne très compétente et techniquement préparée à n'importe quel travail. Si vous regardez la formation et la personne elle-même, elle est parfaite", a-t-il commenté à BBC News Brasil.
Quels seront les contours de sa mission au sein de la Funai ? Sur ce sujet, Ricardo Lopes Dias est resté discret lors de son interview avec le journal brésilien. Il a notamment refusé de dire s'il modifierait le principe de la Funai de ne "pas entrer en contact" avec les peuples autochtones. Depuis 1987, l'agence placée sous la tutelle du ministère de la Justice a instauré un principe de respect de l'isolement des populations indigènes, où la prise de contact peut uniquement venir des groupes reculés. L'État reste néanmoins responsable de la protection et de la démarcation de leurs terres. Une façon de protéger les 107 tribus reculées du Brésil, le pays qui en compte le plus au monde.
Le vaste plan pour l'Amazonie, un rêve pour Bolsonaro
Mais cette politique pourrait être mise à mal par le vaste plan pour la forêt amazonienne dévoilé cette semaine par Jair Bolsonaro et destiné à ouvrir les terres indigènes à l'exploitation minière. Un "rêve" pour le leader d'extrême droite, qui fait régulièrement des remarques racistes sur les populations autochtones du pays, mais un "cauchemar" pour les écologistes et les chefs tribaux.
"Ma performance sera technique. Je ne favoriserai pas l'évangélisation des peuples autochtones", a assuré de son côté Ricardo Lopes Dias à Globo. À son poste, il disposera d'informations détaillées, comme des études de surveillance et de localisation, sur les tribus reculées.
"Un missionnaire ne cesse jamais d'être missionnaire"
De quoi susciter de vives craintes pour Beto Morubo, chef de l'Unijava (Union des peuples autochtones de Vale do Javari), qui juge sa nomination "néfaste". "Le message envoyé par le gouvernement est clair : la priorité n'est pas la protection des Indiens, mais les enjeux du secteur de l'agro-industrie et des évangéliques", a-t-il déclaré à BBC News Brasil, craignant la disparition totale des derniers peuples isolés de la vallée de Javari.
Si Beto Morubo n'a jamais rencontré Ricardo Lopes Dias en personne, l'ancien missionnaire reste connu dans la vallée de Javari pour être entré en contact avec des autochtones du peuple mayoruna. "Ils ont une stratégie pour atteindre les populations autochtones en proposant des actions sociales dans l'éducation et la santé", précise à BBC News Brazil Antenor Vaz, ancien responsable du Département des Indiens isolés de la Funai. Depuis, certains sont devenus évangéliques et ont quitté les groupes.
Désormais, Antenor Vaz s'inquiète pour l'intégrité des peuples autochtones d'Amazonie. "Un missionnaire ne cesse jamais d'être missionnaire", souligne-t-il.