
Une des promesses de campagne du président américain était de s’extraire des engagements militaires à l’étranger, notamment en Irak. Mais face à l'influence grandissante de l'Iran et après l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad, que reste-t-il de ces promesses ?
En 2016, Donald Trump promettait le désengagement militaire américain à l’étranger. "J’ai fait campagne avec la promesse de ramener nos soldats à la maison, aussi rapidement que possible", rappelait-il en octobre, au moment où il annonçait le retrait américain du territoire syrien.
Or, le 2 janvier dernier, le Pentagone s’engageait à envoyer 3 000 militaires supplémentaires au Moyen-Orient. Et le lendemain, le président américain ordonnait l'attaque de drone sur le territoire irakien qui a tué le général iranien Qassem Soleimani. Cinq jours plus tard, l’Iran tirait plus d’une dizaine de missiles balistiques sur des cibles américaines en Irak.
Les partisans de Donald Trump soutiennent l’idée que le général Soleimani, en tant qu’architecte de la stratégie militaire et des services secrets iraniens depuis 20 ans, portait la responsabilité de la mort de centaines de soldats américains en Irak et dans le Golfe.
Mais l'assassinat de Qassem Soleimani est intervenu à un moment qui n’est pas anodin dans le calendrier américain, fait remarquer Annick Cizel, professeure à l’Université Sorbonne Nouvelle, chercheuse spécialisée dans la politique étrangère américaine : "Donald Trump mène campagne pour la prochaine présidentielle. Sa décision de frapper en Irak est à apprécier du point de vue des gains électoraux, et non de cohérence en tant commandant en chef des forces américaines."
Lorsque la guerre en Irak avait pris officiellement fin en 2011, le retrait des troupes américaines avait été acté par le président Barack Obama, mais quelques milliers de militaires devaient rester sur place, notamment pour une mission de formation pour le compte de l’Otan.
Le retrait définitif des soldats américains du territoire irakien aurait été un accomplissement notable pour l'administration Trump, estime Annick Cizel : "Il aurait surpassé Obama dans ce domaine d’intervention." Mais, pointe l’universitaire, le Pentagone n’est pas concerné par des considérations électorales. "Le Pentagone fait son travail, qui est de défendre les intérêts américains et la vie des militaires. Cette divergence des intérêts explique pour beaucoup les contradictions qu’on entend entre les différents acteurs à Washington aujourd’hui", juge Annick Cizel.
Menaces de sanctions
Dimanche dernier, le Parlement à Bagdad a réagi aux tirs de missiles américains sur le sol irakien en votant en faveur de l’expulsion des troupes américaines. Donald Trump a ensuite menacé Bagdad : si les Américains étaient forcés de quitter le pays, Washington enverrait au gouvernement irakien la note "extraordinairement coûteuse" à payer pour avoir une base militaire aérienne dans leur pays. "Ils auront des sanctions plus lourdes que jamais. En comparaison, les sanctions contre l’Iran feront pâle figure", a affirmé le président américain.
La possibilité d’un retrait américain avait pourtant été confirmée lundi par une lettre, envoyée par le chef des troupes américaines en Irak, le général William Seely. Cette missive avait ensuite été rapidement infirmée par le ministre de la Défense, Mark Esper, ainsi que par Donald Trump lui-même, contraints de rappeler plusieurs fois qu’un retrait des troupes d’Irak n’était pas à l’ordre du jour.
"À un moment, nous partirons, mais ce n’est pas le bon moment", a insisté Donald Trump jeudi. "Si nous retirons nos troupes, cela laissera le terrain à l’Iran pour étendre son emprise sur l’Irak, ce que les Irakiens ne souhaitent pas. Je peux vous l’affirmer", a-t-il confié à la presse, tournant ainsi le dos à l'une de ses promesses de campagne, et alors même qu’il est englué dans une procédure de destitution.
L’Iran, acteur de poids en Irak
Partis en 2011 d'Irak, les soldats américains y sont revenus trois ans plus tard, invités par le gouvernement à combattre l’avancée de l'organisation État Islamique dans la région. Cette nouvelle donne a alors poussé les États-Unis à revisiter leurs relations avec l’Iran. "Ce rééquilibrage avec Téhéran, initié afin de contrer les plans de l’État islamique, a ouvert une période de trêve avec l’ennemi iranien. Une période de neutralité dans une longue histoire d’inimitié", analyse Annick Cizel.
La coalition internationale antijihadiste menée par les États-Unis, à laquelle collaborent 79 pays et des institutions comme la Ligue arabe, l’Otan et l’Union européenne, a dû compter sur le soutien de l’Iran. "L’Iran étant un rempart contre l’organisation État islamique, il partageait un ennemi commun avec Washington. L’urgence a créé cette opportunité d’une trêve, c’est toute l’ironie de la situation. Quand Barack Obama a négocié l’accord sur le nucléaire avec Téhéran, l’Iran était de nouveau en position de force dans la région", rappelle l’universitaire. "C’est la conséquence paradoxale d’une guerre qui était transnationale."
Occasions manquées
Au mois d’octobre 2019, des Irakiens sont descendus dans la rue pour protester contre le contrôle accru de l’Iran sur leur pays. Le mécontentement s’est propagé jusque dans le Sud, pourtant à majorité chiite, notamment à Kerbala et à Najaf, où les consulats iraniens ont été visés par les manifestants.
Ces événements présentaient une réelle opportunité pour les Américains de "renouer enfin avec la réalité populaire" en Irak, écrit Jean-Pierre Filiu sur son blog. "Mais Trump apparaît vite incapable de considérer l’Irak autrement que comme un champ de manœuvre contre l’Iran", poursuit l’historien, spécialiste du Moyen-Orient.
Mais l’escalade des tensions en Irak, depuis la décision du président Trump de cibler des milices pro-iraniennes, suivie par l’attaque des manifestants irakiens contre l’ambassade américaine à Bagdad le 31 décembre, puis la mort du général Soleimani au cours d’une attaque aérienne américaine, a fait basculer l’opinion irakienne en faveur de l’Iran. Le 4 janvier, le Premier ministre irakien démissionnaire Adel Abdel Mahdi prenait lui-même part à l'hommage rendu à Bagdad au général Soleimani, au milieu d’une foule portant des drapeau pro-iraniens et scandant des slogans anti-américains.
Fragilité de l'État irakien
Depuis 2003, les Américains ont cherché, graduellement, à rendre aux Irakiens le contrôle sécuritaire et le pouvoir politique, en passant par du soutien logistique et financier. Telle est également la politique adoptée en Afghanistan, comme ailleurs, et cela reste le credo de l’administration Trump. Mais maintenant que l’influence de l’Iran sur son voisin irakien se renforce, la situation se retourne contre Washington. "À travers leurs efforts pour redonner aux Irakiens leur souveraineté sur la politique et la sécurité nationale, dans le but de pouvoir quitter définitivement le pays, les Américains ont donné du poids aux milices chiites en Irak, qui à leur tour, poussent les Américains au départ", résume Annick Cizel.
La fragilité de l’État irakien, après 17 années de présence américaine, pose toujours problème. L’Irak reste un terrain d’influence, tiraillé entre l’Iran, les États-Unis et l’organisation État islamique – qui n’a pas renoncé à mener des attaques dans le pays.
Si Washington ou l’Otan décidaient de quitter définitivement l’Irak, cela aurait pour conséquence de "laisser Bagdad aux mains des milices iraniennes ou à un État défaillant", estime la professeure. "Le Pentagone est bien conscient que cela sera extrêmement déstabilisant pour toute la région, et affecterait les positions militaires américaines aux alentours."
Donald Trump aurait donc délaissé une promesse de campagne, qui était devenue intenable, et préféré lancer une action militaire présentant plusieurs mérites politiques : faire diversion par rapport à la procédure de destitution et relancer la ferveur patriotique en pleine campagne électorale.