
Ils se disent usés, excédés et parfois à bout. À l'heure où la colère grondre contre la réforme des retraites, des salariés du service public ont choisi de démissionner, non sans regret. Gwenaël Frassa, médecin urgentiste, dénonce la "faillite de l'hôpital public".
La blouse blanche, Gwenaël Frassa la porte depuis quinze ans. Chef des urgences dans un hôpital toulousain, il a décidé en novembre de démissionner, la mort dans l’âme. "J’ai toujours été très attaché au service public mais trop d’éléments m’ont fait perdre mes illusions", raconte-t-il.
Son credo : offrir au patient des soins de qualité. "Aujourd’hui, je ne peux plus proposer cela, donc j’arrête."
Comme dans de nombreux hôpitaux en France, son service des urgences doit faire face à une saturation de l’activité. "Les gens qui n’ont plus accès aux soins en ville, ou qui sont dans une situation sociale catastrophique, se tournent de plus en plus vers les urgences", explique-t-il. Selon le ministère de la Santé, la fréquentation des urgences hospitalières a quasiment doublé en vingt ans, avec 21 millions de passages enregistrés en 2016 contre 10 millions en 1996.
"Tu marches sur un fil, mais sans filet de sécurité et à une hauteur de plus en plus élevée"
Dans son service, la fréquentation a doublé en dix ans pour atteindre aujourd’hui 80 patients par jour, qui se succèdent sur cinq lits. Et, dans le même temps, les moyens s’appauvrissent : en deux ans, l’unité de soins continus a été fermée et le laboratoire a été externalisé. "On est aujourd’hui obligés d’appeler un coursier qui doit livrer la prise de sang, précise-t-il, ce qui peut rallonger le délai d’attente des résultats d’une à deux heures". Seule alternative pour gagner du temps, les infirmiers peuvent s’improviser laborantins, en plus de leur charge de travail.
À cela s’ajoute une pénurie de radiologues, qui quittent le public pour le privé. L’hôpital où exerce Gwenaël Frassa en a perdu quatre sur les cinq postes prévus. Résultat : le délai d’attente pour un scanner s'allongent dangereusement. "C’est difficile à accepter quand tu t’es engagé dans cette profession pour soigner, avoue-t-il. Tu te retrousses les manches, tu es impliqué mais on t’oblige à jouer un numéro d’équilibriste. Comme si tu marchais sur un fil, mais sans filet de sécurité et à une hauteur de plus en plus élevée."
Face à ces départs, la direction propose des solutions alternatives de télémédecine pour faire des scanners à distance. "Mais cela peut entraîner une dégradation de la qualité technique de l’image qui peut engendrer une mauvaise interprétation, donc une erreur de diagnostic", souligne-t-il.
Le service doit aussi faire face à un manque criant de personnel. "L’infirmière de nuit peut gérer jusqu'à 35 patients sur leur tranche horaire de douze heures, tout en assurant les fonctions d’aide-soignante, de brancardier, de secrétaire et d’agent d’entretien", poursuit l’urgentiste.
"Dans les couloirs, l'intimité et la pudeur n'existent plus"
Depuis plusieurs mois, Gwenaël Frassa a vu les délais d’attente des patients s’allonger, certains quittant même les urgences sans avoir été vus. "Dans les couloirs, l’intimité et la pudeur n’existent plus. Et les conséquences sont parfois lourdes", ajoute-t-il. "Depuis le printemps, on a eu les premières agressions verbales et physiques à l’encontre des médecins et des infirmières, ce qui a entraîné des arrêts-maladies."
Le chef de service dit assister à "la faillite du système de santé publique". "Le personnel des urgences en France est en burn-out et cela s’étend à tout l’hôpital public", souligne-t-il.
Face à cette "surpression", le chef de service a demandé, en septembre, des effectifs supplémentaires. "Une miette quand on sait que les urgences du CHU voisin réclamait 80 postes supplémentaires", estime-t-il. La direction n’a accordé que deux heures supplémentaires par jour de temps infirmier et quatre heures de temps aide soignant. Un coup dur pour le service des urgences qui peut se targuer depuis deux ans comme d'être le premier en terme d'activités, selon l'Observatoire régional des urgences Occitanie qui rapporte ses conclusions à l’Agence régionale de santé, le bras local du ministère.
La réponse de la direction a provoqué un tollé général, qui a été suivie, huit jours plus tard, d’un préavis de grève. Mais la hiérarchie n’a rien lâché. "Quand les moyens alloués mettent en péril la qualité des soins et du personnel, il faut savoir dire stop et partir", affirme-t-il. Résultat : le service a connu neuf démissions sur les onze postes actuels, ce qui laisse craindre une éventuelle fermeture au profit d’autres activités jugées plus rentables par l’hôpital.
"Des centres intermédiaires d'urgence pour désengorger les CHU"
Le constat que l’urgentiste dresse sur son service reflète de ce qui se passe à l’échelle nationale dans les hôpitaux. "Le service public glisse vers une dégradation des soins pour des raisons très clairement économiques", estime-t-il. Qui sont les décisionnaires ? Les directions, les conseils d’administration et l’Agence régionale de santé (ARS). "Aujourd’hui, ils ne sont plus très sensibles aux informations qui remontent des unités de soin. La priorité en 2019 en France est d’équilibrer les budgets", note-t-il.