Deux mois après le lancement du Grenelle des violences conjugales, les groupes de travail ont soumis, mardi, au gouvernement, les premières pistes afin d'enrayer ce fléau. Les militantes féministes regrettent cependant le manque de moyens alloués.
Ces pistes étaient attendues et couvrent un large spectre. Améliorer le recueil des plaintes des victimes, désarmer leurs compagnons violents à la première menace, faciliter le signalement des faits par les médecins : les quelque 60 propositions remises au gouvernement, mardi 29 octobre, par les groupes de travail du Grenelle sur les violences conjugales peuvent "changer la donne", a estimé la secrétaire d’État chargée de l'Égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa.
Après ce "point d'étape" du Grenelle, les propositions mises sur la table sont-elles pertinentes ? France 24 a posé la question à des militantes des droits des femmes, alors que le gouvernement dévoilera ses mesures concrètes pour enrayer ce fléau à la fin du processus, le 25 novembre.
"Des propositions ont été mises en avant mais le budget manque. Là est notre inquiétude : quelle efficacité réelle peut-on attendre des politiques publiques si elles ne sont pas financées ?", déplore Fatima Benomar, cofondatrice du mouvement Nous Toutes, contactée par France 24.
"C’est une première étape importante, mais on a beau faire de la communication, parler des propositions à mettre en œuvre, si le budget ne suit pas, il sera impossible de réduire les violences faites aux femmes ! Elles sont considérées comme grande cause du quinquennat, mais ne bénéficient pas d’une avancée budgétaire… ", renchérit Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter féministe Les Glorieuses, interviewée sur le plateau de France 24. Les organisations féministes réclament 1 milliard d’euros pour endiguer ce fléau.
"Intéressant mais incomplet"
Le collectif Nous Toutes, qui réclame notamment l’augmentation de places dans des centres dédiés pour mettre les femmes à l’abri, a décrypté le budget dédié à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Marlène Schiappa annonçait alors 361,5 millions d'euros supplémentaires. En réalité, 95 % de ce budget existait déjà en 2019, 2018 et 2017, selon cette analyse.
Lors de son intervention devant la presse pour présenter les propositions du Grenelle, mardi, Marlène Schiappa a fait part de son intérêt plus particulier pour plusieurs des mesures proposées par les groupes de travail du Grenelle.
La secrétaire d'État a notamment cité la possibilité de "réquisitionner les armes à feu dès la première plainte", armes qui constituent "le premier mode opératoire, devant les coups", dans les féminicides.
Autre piste : l'instauration d'un "protocole clair" avec une "méthodologie précise" pour les policiers et gendarmes amenés à accueillir des victimes de violences conjugales. "C’est un protocole intéressant, mais incomplet, estime Fatima Benomar du mouvement Nous Toutes. Il faut une formation obligatoire, et en profondeur, des personnels pour qu’ils puissent détecter et tout simplement croire les victimes : j’accompagne certaines de ces femmes, et si elles n’ont pas trois dents de cassées après des violences, on ne les croit pas !", s’alarme-t-elle.
Certaines peuvent raconter avec le sourire des situations dramatiques, parce qu’elles ont développé un système d’autodéfense pour y faire face, ce qui peut conduire des policiers non-formés à mettre en doute leur parole, explique Fatima Benomar.
Pour empêcher ces violences et changer les mentalités, il faut que ces professionnels soient formés sur les contextes de "machisme, de patriarcat, d’emprise psychologique" qui les induisent, souligne la militante.
Troisième sujet qui a retenu l’attention de Marlène Schiappa : "l'évolution du secret médical", qui pourrait permettre aux professionnels de santé de signaler plus facilement une situation de violence, même sans l'accord de la victime. Une telle mesure pourrait notamment être utile aux urgences, selon la secrétaire d'État.
Fausse bonne idée, selon Rebecca Amsellem et Fatima Benomar. "Ça pourrait remettre en cause le cercle de confiance qui existe entre les femmes et les professionnels de santé", estime la première, tandis que la seconde craint que cela freine la libération de la parole : "Certaines femmes, craignant d’être mises en danger, ne se confieront plus à leur médecin généraliste", suggère ainsi Fatima Benomar.
Une femme tuée tous les trois jours par son ex-compagnon
Dans leurs propositions, les membres des groupes de travail appellent par ailleurs à la création d'un "brevet contre la violence" dans les écoles.
Ils suggèrent aussi de mieux prendre en charge les soins psychologiques, et de rendre accessible 24h/24 le numéro d'appel 39 19, dédié aux violences conjugales, ce qui serait particulièrement utile pour les femmes résidant dans les DOM, actuellement gênées par le décalage horaire.
Le monde du travail a aussi un rôle à jouer dans l'accompagnement des femmes victimes, estiment les acteurs de la concertation, qui soulignent la nécessité de "favoriser la mobilité professionnelle [des victimes]", mais aussi de mettre à leur disposition "un moyen dématérialisé de conserver leurs bulletins de paie [...] pour éviter toute rétention du conjoint violent".
Tous les trois jours, une femme est tuée par son compagnon ou ex-compagnon, et chaque année près de 270 000 femmes sont victimes de violences en France.
Depuis le début de l'année 2019, 124 féminicides ont eu lieu dans l'Hexagone à ce jour, selon le collectif féministe NousToutes, soit plus que durant toute l'année 2018, au cours de laquelle 121 féminicides ont été recensés.
Avec AFP