Atout jeunesse des libéraux, Justin Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015 avec des promesses de changements et de nouvelle politique. Quatre ans plus tard, il apparaît usé alors que les Canadiens élisent lundi leurs 338 députés fédéraux.
Les élections législatives canadiennes qui se déroulent lundi 21 octobre prennent des allures de référendum pour ou contre le gouvernement Trudeau. Quatre ans après une victoire surprise, Justin Trudeau et son parti libéral sont au coude-à coude avec leurs principaux rivaux, les conservateurs d'Andrew Scheer.
La campagne s'est en effet achevée sur une égalité quasi parfaite dans les intentions de vote entre les deux grands partis qui alternent au pouvoir depuis 1867. Du jamais vu depuis des décennies selon les commentateurs. Un sondage de l'institut Nanos Research pour le journal Globe and Mail et CTV, publié samedi, donne les libéraux, au pouvoir, à 32,6 % des voix, devant les conservateurs, à 30,3 %. Le Nouveau parti démocratique (NPD), qui se dispute les mêmes électeurs que les libéraux, arriverait troisième avec 18,4 %.
Après avoir fait souffler un vent de jeunesse et de modernité sur son pays, le Premier ministre sortant est en pleine disgrâce et devrait avoir du mal à s’en remettre. L’ancienne étoile montante de la politique canadienne a essayé de mobiliser ses troupes, rappelant que si les sondages disent vrai, c'en est terminé de la majorité absolue dont il dispose depuis 2015. "Il est possible que les Canadiens se réveillent le 22 octobre avec un gouvernement conservateur qui aura pour ambition d'éliminer le seul plan que le Canada ait jamais eu pour lutter contre le changement climatique et qui coupera des budgets et ramènera des mesures d’austérité", a-t-il déclaré jeudi 17 octobre lors d’un meeting à Trois Rivière, au Québec.
Des belles promesses aux scandales
Le Premier ministre, âgé de 47 ans, est arrivé au pouvoir après dix ans de règne conservateur en faisant des promesses de changements et de nouvelle politique. Durant les premiers mois de son mandat, il s’est attelé à tenir ses engagements à travers une série de réformes. Il s'est alors entouré d’un gouvernement paritaire hommes-femmes, a ouvert grand les portes du Canada à plusieurs dizaines de milliers de réfugiés syriens. Il a aussi amélioré les relations avec la communauté autochtone et s'est érigé en défenseur de la lutte contre le réchauffement climatique. Le monde entier a observé avec intérêt, voire avec admiration, les premiers pas au pouvoir de ce dirigeant multilatéraliste qui proclamait crânement que "le Canada est de retour" sur la scène internationale. Il s'est même attiré les compliments de ses homologues, dont le président américain d'alors Barack Obama.
Cet état de grâce semble aujourd’hui bien loin alors que son gouvernement fait face à une série de scandales. La popularité de Trudeau a chuté après une première affaire. En août 2019, un rapport officiel l’a accusé de conflit d'intérêts pour avoir fait pression sur sa ministre de la Justice afin qu'elle intervienne dans une procédure judiciaire contre une société québécoise, Snc-Lavalin, poursuivie pour corruption.
À quelques semaines des législatives, sa cote de popularité a continué à baisser après la publication par Time Magazine de plusieurs photos et une vidéo le montrant le visage grimé de noir lors de soirées privées. Ces images remontent aux années 1990 et à 2001 pour la plus récente. Justin Trudeau s’est excusé pour ces "blackfaces", mais le mal était déjà fait.
Ses contradictions en matière d’environnement l’ont aussi fragilisé au fil des mois. En 2018, la décision de nationaliser un oléoduc lui a attiré les foudres des écologistes. Cette année-là, le gouvernement libéral a acheté à l'américain Kinder Morgan l'oléoduc Trans Mountain, qui relie l'Alberta à la Colombie-Britannique, pour 4,5 milliards de dollars canadiens (3 milliards d'euros). Objectif : accélérer l'exportation de pétrole de l'Alberta vers de nouveaux marchés étrangers. En échange, le gouvernement a promis d'investir les profits dans les technologies vertes. Cette nationalisation a été vécue comme une trahison par de nombreux Canadiens engagés pour l'environnement, et risque de coûter des voix.
Selon les observateurs, à force de vouloir contenter tout le monde, Trudeau pourrait perdre sur tous les plans. "Il est ainsi critiqué par la droite pour ne pas être allé assez loin en matière de développement économique et par la gauche pour avoir acheté cet oléoduc", a résumé Daniel Beland, un spécialiste politique de l’université McGill de Montréal.
Qui pour gouverner ?
En plus d’être un test pour Justin Trudeau, ce vote peut conduire à ce qu’aucun parti ne puisse gouverner seul. Libéraux ou conservateurs devraient composer avec le soutien des petits partis pour espérer former une majorité.
Le Premier ministre peut encore espérer gagner s’il arrive à convaincre la génération millénial qui l’a déjà largement soutenu en 2015. Mais Justin Trudeau doit faire face à la concurrence du chef du Nouveau parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh, l'une des révélations de la campagne électorale. Cet avocat de 40 ans, élu en 2017 à la tête de son parti, arrive à engranger des voix parmi la jeunesse de gauche. Ces dernières semaines, il a eu des mots durs pour le Premier ministre, l'accusant de mettre le clignotant "à gauche" lorsqu'il est en campagne, "mais de tourner à droite" quand il s'agit de prendre des décisions. "Le vote progressiste, c'est nous", a-t-il déclaré à l’AFP. Justin Trudeau "protège les profits des grandes compagnies au lieu d'aider les familles. Si on veut quelqu'un qui veut vraiment lutter contre la crise climatique, annuler les subventions pétrolières et faire face aux inégalités sociales", alors c'est le NPD qu'il faut élire, assure Jagmeet Singh.
Justin Trudeau est resté discret sur ses options s’il n’arrive pas à obtenir une majorité. Au Canada, les gouvernements minoritaires sont rarement restés au pouvoir plus de deux ans et demi. Si un tel scénario se profile, le Premier ministre pourrait freiner encore un peu plus ses réformes qui ont déjà après un seul mandat déçus ses plus fidèles partisans.