Des associations environnementales dénoncent le manque de transparence des autorités concernant les conséquences sanitaires de l’incendie de l'usine Lubrizol, classée Seveso. Elles ont défilé, mardi, dans les rues de Rouen.
Difficile d’éteindre le feu des critiques cinq jours après le spectaculaire incendie de l'usine Lubrizol, à Rouen. Les autorités ont beau multiplier les messages rassurants pour la santé des riverains, - pas moins de cinq ministres et un Premier ministre ont fait le déplacement -, rien n’y fait. Bien décidés à réclamer davantage de transparence, habitants, associations, ONG et syndicats ont défilé mardi 1er octobre, "pour exiger la vérité".
"Nos enfants en danger", "le préfet doit sauter", scandaient les manifestants, partis du palais de justice en direction de la préfecture de Normandie. "Ils cachent la vérité, à nous tous d'enquêter", lisait-on aussi sur une affiche brandie par une manifestante, tandis qu'une banderole réclamait le retour d'un "air normalement pollué".
Il faut dire que la ville a été plongée dans un épais panache de fumée noire de vingt-deux kilomètres de long sur six de large. Une pluie sombre et huileuse s’est ensuite abattue sur toute l’agglomération rouennaise, recouvrant les pavés de la ville et les herbes des champs alentour sans distinction. Au petit matin, les Rouennais du centre-ville ont découvert un mobilier urbain recouvert de suie. Dans les campagnes environnantes, des bassins de récupération d’eaux de pluie mazoutés. "C’est une véritable marée noire qui s’est répandue sur la ville", assure à France 24 Olivier Blond, président de l’association Respire. "C’est une catastrophe sanitaire et environnementale de grande ampleur", surenchérit Étienne Cognet, membre de Youth for Climate Rouen dans un entretien à France 24. "La France n’a pas connu pareil drame depuis l’explosion de l’usine AZF." [à Toulouse, le 21 septembre 2001, NDLR]
"Davantage de transparence"
Dans un communiqué commun, onze signataires- associations et ONG environnementales- ont dénoncé un manque de transparence des autorités. Le collectif regrette notamment que la liste des produits qui ont brûlé n’ait pas été communiquée. Les auteurs du document déplorent également que les résultats complets d’analyse de l’air et de l’eau n’aient pas été rendus publics. Enfin, ils accusent la préfecture de faire le silence sur la mort d’animaux.
"Le gouvernement a pris la mesure de la situation avec beaucoup de retard, estime le responsable associatif Olivier Blond. Il n’y a pas forcément de malveillance de la part des autorités, mais au vu de la situation, chacun est en droit d’obtenir davantage de transparence. Or les résultats d’analyses actuellement publiés par la préfecture sont loin d’être exhaustifs".
"Quel serait l'intérêt pour les pouvoirs publics de mentir, de cacher ou que sais-je encore ?", a rétorqué le préfet de Normandie Pierre-André Durand, sommé de se justifier sur BFMTV. "Nous vivons dans un climat de suspicion généralisée", a-t-il ajouté, soulignant la difficulté "de lutter contre les fausses nouvelles". Et de poursuivre, "nous nous attachons à produire des analyses, à les mettre en ligne pour permettre à chacun de s'y intéresser. Nous allons continuer à le faire, d'autres analyses sont attendues".
Même discours de la part du Premier ministre, qui a fait le déplacement, lundi soir. Si Édouard Philippe a reconnu des odeurs "gênantes", il a toutefois rappelé qu’elles n’étaient "pas nocives" et promis "l'absolue transparence". Plus de 5 250 tonnes de produits chimiques ont brûlé dans l'incendie, a annoncé la préfecture, qui a dévoilé mardi 1er octobre dans la soirée, la liste des produits partis en fumée dans l'incendie.
"Amiante et benzène"
Pas sûr que cet exercice de transparence du gouvernement suffise à apaiser les esprits échauffés des manifestants. "S’il n’y a rien de nocif, il faudra alors m’expliquer pourquoi des jeunes de mon établissement sont encore à ce jour victimes de malaise, tempête le lycéen Étienne Cognet. J’ai moi-même eu des maux de tête et des nausées pendant plusieurs jours. Et de poursuivre, on nous annonce un jour qu’il y a des traces d’amiante et de benzène inquiétantes pour la santé et l’autre qu’il n’y a aucune toxicité. On attend un autre discours".
Lundi, une poignée d'enseignants ont exercé leur droit de retrait dans trois collèges de Rouen, a fait savoir le Syndicat national des enseignants du second degré (SNES).
Une méfiance nourrie par une communication gouvernementale hasardeuse. Avant que le Premier ministre ne se rende sur place, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a estimé après sa visite du site que "la ville [était] clairement polluée" par les suies et qu’il ne fallait "pas toucher sans protection", puisqu’il s’agissait "d’une combinaison d’additifs d’huile de moteur et d’hydrocarbures".
Dans ce contexte troublé, l’association Respire a appelé la population à présenter tous les éléments qui pourraient présenter une pollution afin qu’ils soient analysés par un expert et un huissier indépendant. "Une telle étude coûte cher à notre association qui ne dispose pas de beaucoup de moyens. Mais elle s’avère nécessaire dans ce climat de méfiance".
"Au minimum cancérogène"
Pour Annie Thébaud Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm, "l’inquiétude est absolument légitime. Ce nuage, qui est passé au-dessus de Rouen, est chargé en poussière hautement toxique au minimum cancérogène", a assuré la scientifique spécialisée dans les cancers professionnels au journal Sud-Ouest.
"Le préfet ne ment pas quand il dit qu’il n’y a pas de toxicité aigüe du nuage, mais il ne peut écarter la toxicité à long terme", précise la scientifique, rappelant que le risque cancérogène existe même pour une exposition de courte durée.
À ce jour, les conséquences, - en apparence- sont loin d’être alarmantes. Quelque 51 personnes ont consulté les établissements de santé rouennais jeudi et vendredi matin à cause de l’incendie. Cinq d'entre elles, qui présentaient déjà des pathologies respiratoires, ont été hospitalisés, a indiqué vendredi midi le Samu. Reste à voir sur le long terme.