
Les démocrates ont décidé d'ouvrir, mardi, une procédure en vue de destituer Donald Trump après avoir longtemps résisté à cette option, au risque de faire le jeu du président américain. Mais ils pensaient ne plus avoir le choix.
Elle a cédé. Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, a finalement accepté, mardi 24 septembre, d’ouvrir une enquête en vue d’une éventuelle procédure de destitution ("impeachment") du président américain Donald Trump.
Depuis les élections de 2016, elle incarne pourtant l’aile modérée du Parti démocrate, qui résistait encore et toujours aux appels de plus en plus pressants des progressistes à lancer cette procédure.
Irrésistible pression
Le souvenir des années 1990 hante ces démocrates hostiles à l’impeachment. À l’époque, les républicains avaient ouvert une enquête contre le président Bill Clinton, avaient échoué à le destituer, ce qui s’était traduit par une envolée de la cote de popularité du chef de l’exécutif. Hors de question pour Nancy Pelosi et ses partisans de répéter l’histoire au risque de voir Donald Trump, actuellement malmené par les sondages, réélu en 2020. Surtout qu'ils n'ont presque aucune chance d'obtenir une majorité des deux tiers au Sénat – controlé par les républicains – nécessaire pour destituer le président.
Mais "il y a eu un emballement, et Nancy Pelosi s’est laissé entraîner", estime Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis à l’université Paris II, contacté par France 24. En une journée, mardi, le nombre de démocrates favorables à l’ouverture d’une enquête est passé de 139 à 196. En outre, certains des principaux candidats à la primaire démocrate – Elizabeth Warren et Bernie Sanders – militent de plus en plus fermement en faveur de cette procédure. Même le favori, Joe Biden, a tempéré son opposition à l’impeachment dans un entretien accordé au Washington Post.
Un autre facteur est l’affaire ukrainienne. Les révélations concernant le coup de fil passé par Donald Trump au président ukrainien Volodymyr Zelensky cet été ont renforcé l'envie des démocrates d'en découdre avec le président. C'est un peu la cerise sur le gâteau du rapport Mueller sur l'ingérence russe. "Il y a un vrai sentiment de ras-le-bol chez les démocrates à l’égard d’un président qui se moque ouvertement du Congrès depuis deux ans", note Jean-Éric Branaa.
Un scandale facile à vendre à l'opinion
Ce scandale présente aussi un avantage sur le dossier russe : "Le rapport Mueller était très complexe, alors que cette affaire est beaucoup plus facile à vendre à l’opinion publique", explique Jean-Éric Branaa. Elle peut en effet être résumée simplement : Donald Trump est accusé d’avoir fait chanter son homologue ukrainien en le menaçant de ne pas verser une importante aide financière si l’enquête pour corruption pouvant impliquer le fils de Joe Biden, son principal rival politique, n’était pas rouverte.
L'espoir des démocrates est qu'à un an de la présidentielle, ce scandale représente la cartouche qu'il fallait pour enclencher l'enquête contre le président sans apparaître comme "une simple manœuvre partisane car sinon cela peut se retourner contre eux", note Jean-Éric Branaa.
Un danger d’autant plus grand pour les démocrates qu’ils ne devront pas convaincre leur base – déjà acquise à la cause de l’impeachment – mais les indécis et les centristes. Ces derniers vont devenir la princesse que tout le monde va tenter de séduire puisque dans le camp adverse, l’électorat de Trump "va naturellement être resserré" autour de son champion par une procédure qu’il assimile à du harcèlement contre le président, juge Jean-Éric Branaa.
Objectif : convaincre l'électeur centriste
Et les démocrates abordent cette bataille pour le vote centriste avec un handicap : "C’est un électorat qui déteste ce qu’il considère comme du bruit politique, et les démocrates vont en produire beaucoup dans les semaines à venir", rappelle l’expert français.
Donald Trump le sait et il a déjà commencé à jouer la carte du président qui serait empêché d’œuvrer pour son pays par une opposition "qui pendant ce temps n’arrive pas à faire passer la moindre mesure", a-t-il souligné sur Twitter. Sa stratégie est simple : apparaître comme celui qui agit et tenter de convaincre les indécis que les démocrates organisent un hold-up démocratique ; en cherchant à destituer le président, "ils privent l’électeur du moyen normal de le sanctionner : le vote", estime Jean-Éric Branaa.
Mais les démocrates disposent d’un atout : un sondage publié par l’institut YouGov a montré mardi que 55 % des Américains estiment que Donald Trump devrait subir les foudres de l’impeachment s’il a réellement fait pression sur les autorités ukrainiennes pour qu’elles l’aident à décrédibiliser Joe Biden. Encore faut-il le prouver. C’est pourquoi la publication de la plainte du lanceur d’alerte, promise par Donald Trump pour mercredi, et l’audition devant le Congrès, le lendemain, du directeur de la sécurité nationale qui s’était opposé à cette publication, s'annoncent cruciales pour les démocrates.