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Le géant américain We Co, star du “coworking”, plie sous les polémiques

La très attendue introduction en Bourse de We Co, le géant américain du “coworking”, tourne au jeu de massacre contre cette startup et les étranges pratiques de son charismatique PDG, Adam Neumann.

Quelle startup américaine vaut actuellement le plus cher ? Ce n’est ni Airbnb, ni SpaceX et encore moins Palantir, le géant controversé du Big Data. Celle qui caracole en tête, avec une valorisation boursière estimée à 47 milliards de dollars, est bien moins connue du grand public. Elle s’appelle The We Company (We Co), et surfe sur la vague du coworking en louant des espaces de travail dans 111 villes dans le monde.

Mi-août, elle a aiguisé l’appétit des investisseurs du monde entier en annonçant son intention d’entrer en Bourse en octobre 2019. La cotation de We Co s’annonçait comme l’événement boursier de l’année. Mais un mois plus tard, les dirigeants de cette startup ont décidé de ne viser qu’une valorisation d’à peu près 20 milliards de dollars, soit moitié moins de sa valeur actuelle, ont rapporté le Wall Street Journal et Bloomberg, jeudi 5 septembre.

Une révision à la baisse des ambitions boursières inédite dans l’histoire des introductions en Bourse de startups depuis la bulle internet du début des années 2000. Pour autant, ce revirement n’a pas pris le microcosme Tech par surprise. Après avoir dansé tant d’étés au son de l’argent facile qui a longtemps coulé à flot dans la Silicon Valley, The We Company s'est retrouvée fort dépourvue lorsqu’il a fallu convaincre les investisseurs institutionnels qui font la pluie et le beau temps sur les marchés financiers.

De WeWork à We Co

The We Company a vu le jour en 2010 sous le nom de WeWork. Sa raison d’être – la location d’espaces de “coworking” – n’a rien de novatrice. Mais Adam Neumann, son charismatique PDG-fondateur, a une idée qui va se révéler essentielle à la croissance de sa société : WeWork sera présenté aux investisseurs comme une startup Tech contrairement à ses concurrents, qui sont tous dépeints comme des sociétés immobilières. “Lorsque je les ai contactés en 2013 pour un article, l’une des premières choses qu’ils m’ont dit c’est ‘vous êtes un journaliste spécialisé dans l’immobilier, nous ne pensons pas que ce soit un sujet immobilier. Vous n’auriez pas quelqu’un qui s’occupe de tout ce qui touche aux transformations sociétales ?’”, se souvient Eliot Brown, journaliste au Wall Street Journal. Dans les documents financiers fournis, le 11 août, au gendarme américain de la Bourse, le mot “Tech” revient 123 fois.

“Impossible de lever autant d’argent si vous vous présentez comme une simple entreprise immobilière, mais si vous réussissez à habiller vos activités des apparats d’une start-up de la Silicon Valley, dynamique et qui sait parler aux ‘millenials’, tous les rêves sont permis”, explique au Wall Street Journal Barry Sternlicht, un gestionnaire de fonds.

Adam Neumann, le charmeur...

Or Adam Neumann savait très bien vendre ses rêves pour lever des fonds. Après avoir discuté trois heures en 2010 avec le jeune entrepreneur, alors âgé d’à peine 30 ans, Joel Schreiber, un investisseur de Manhattan, a accepté de prêter 15 millions à WeWork, “sans négocier. J’ai simplement dit oui parce que j’adorais l’énergie d’Adam Neumann”, raconte-t-il au Wall Street Journal.

Ils sont nombreux à être tombés sous le charme de l’entrepreneur connu pour ses manières excentriques, son goût pour la fête et la bonne tequila. Adam Neumann a même réussi à séduire le très riche fonds du géant japonais Softbank. Dopé à l’argent saoudien, ce véhicule financier de près de 100 milliards de dollars a investi environ 10 milliards de dollars depuis 2014 dans WeWork.

Pourtant, dès 2014, certains directeurs du fonds japonais émettent des doutes sur la viabilité financière de The We Company. Un scepticisme partagé par les économistes et banquiers qui se sont penchés sur les documents financiers, publiés en août 2019. “C’est la startup la plus surévaluée de tous les temps”, résume Scott Galloway, économiste à l’université de New York, qui a épluché les indicateurs financiers du groupe dans un post de blog.

#hottake ???? #WeWork or, better yet, We What the F**k? pic.twitter.com/IZeh5O5olv

  Scott Galloway (@profgalloway) August 16, 2019

Survalorisée ?

Il n’arrive pas à comprendre pourquoi cette jeune pousse vaudrait 26 fois son chiffre d’affaires alors que ses concurrents, déjà cotés en Bourse, valent péniblement entre 0,5 et deux fois leur chiffre d’affaires. Le Financial Times a aussi analysé que si The We Company était traitée comme une société d’immobilier traditionnelle, elle vaudrait entre 3 à 5 milliards de dollars, et non 47 milliards.

Depuis sa création, The We Company n’a jamais fait de bénéfice. Elle a même accumulé près de 3 milliards de dollars de pertes ces trois dernières années. Mais ce n’est pas le plus gros handicap. D’autres startups, comme Amazon, ont en effet bâti leur croissance sur le dos de pertes colossales qui leur ont permis de financer les investissements et à terme dégager des bénéfices.

Le problème principal provient du modèle économique : The We Company loue à long-terme des grandes surfaces, qui sont ensuite divisées en petits espaces loués plus cher à des entreprises à la recherche de bureaux temporaires. Le souci est que la startup “n’a pas mis d’argent de côté pour couvrir les loyers qu’elle doit payer à long terme”, note Scott Galloway. En clair, en cas de retournement de conjoncture économique qui affecterait négativement l’appétit des startups pour les espaces de coworking, The We Company risque de rapidement manquer d’argent pour rembourser les 47 milliards de dollars qu’elle doit en loyers à long terme.

Adam Neumann, le “risque financier”

Les investisseurs s’inquiètent aussi de ce qu’ils appellent pudiquement des problèmes de “bonne gouvernance”. En réalité, c’est la manière dont Adam Neumann gère l’argent de la startup qui interpelle. Il a disposé, pendant plusieurs années, de plusieurs appartements qu’il a loués à The We Company pour être transformés en espace de coworking. Le groupe qu’il a fondé était donc son locataire, et lui a versé plusieurs millions de dollars entre 2016 et 2017.

Le fondateur a aussi déposé la marque “We” qu’il a acceptée de revendre pour près de 6 millions de dollars à WeWork lors du changement de nom pour devenir The We Company en 2019. “Impossible d'inventer un truc pareil !”, note Scott Galloway. The We Company a assuré dans les documents financiers rendus publics qu’Adam Neumann avait remboursé l’argent.

Enfin, Adam Neumann a revendu pour au moins 700 millions de dollars de parts qu’il détenait dans son entreprise en 2017. Pour Scott Galloway, c'est un drôle de message à envoyer aux investisseurs alors qu’Adam Neumann mettait The We Company en ordre de marche pour son introduction en Bourse.

Autant d’éléments qui font dire au site technologique The Verge qu’Adam Neumann a peut-être séduit les investisseurs au début de l’histoire WeWork, mais aujourd’hui, “il est devenu un facteur de risque majeur” à leurs yeux.