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La France expérimente les cours criminelles sans jury populaire

À Caen, un procès pour viol marque jeudi le début d'une expérimentation judiciaire : l'accusé est le premier à être jugé par l'une des nouvelles cours criminelles, une instance jugeant des crimes sans jury populaire. La mesure divise.

C'est une petite révolution pour la justice française. Un homme accusé de tentative de viol est jugé, jeudi 5 septembre à Caen, non pas aux assises, mais par la toute première cour criminelle, une nouvelle juridiction permettant de juger des crimes sans jury populaire.

Une expérimentation dans sept départements

Pas de tirage au sort de jurés donc pour démarrer ce procès. "Pour la première fois en France s'ouvrent des débats judiciaires devant une cour criminelle. (...) Cette juridiction est composée exclusivement de magistrats professionnels. Elle jugera les crimes punis de 20 ans de réclusion au maximum, la cour d'assises composée de jurés étant elle en charge des crimes punis plus sévèrement", explique la présidente Jeanne Cheenne.

Ces cours criminelles jugeront principalement les viols et les vols à main armée, soit environ 57 % des affaires jugées aux assises. Chose rare, les débats sont enregistrés, "compte tenu de la nature expérimentale" de l'audience.

La cour d'appel de Caen a été candidate pour participer à l'expérimentation, qui aura lieu dans sept départements. Outre le Calvados, elle sera menée dans les Ardennes, le Cher, la Moselle, la Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines.

Une audience moins solennelle

Selon l'AFP, le déroulé de l'audience se situe à mi-chemin entre une audience d'assises ou de tribunal correctionnel (ces tribunaux jugent des délits punis jusqu'à dix ans d'emprisonnement).

Le vocabulaire (accusé, verdict...) est le même que celui de de la cour d'assises mais sans la solennité de celle-ci. La présidente prend le temps d'interroger l'accusé, de le mettre face à ses contradictions, de revenir sur certains propos, mais aucun expert n'a fait le déplacement.

Aux assises, la procédure est orale : les jurés découvrent l'affaire dans toute sa complexité tout au long du procès. Là, les magistrats ont accès à l'ensemble du dossier, ce qui permet de raccourcir le temps d'audience.

L'accusé a accepté de comparaître devant la cour criminelle. "Il pensait que le professionnalisme des juges était une très bonne chose pour lui", a expliqué à des journalistes son avocate, Sophie Lechevrel. "Ça va durer une journée et ça l'arrange", a-t-elle ajouté avant l'ouverture du procès.

Une instance critiquée

Cette nouvelle juridiction pourrait-elle être défavorable aux accusés ? Le débat est ouvert parmi les professionnels de la justice depuis l'annonce de l'expérimentation. Pour le ministère de la Justice et de nombreux magistrats, c'est un moyen d'avoir une justice plus rapide et plus efficace, alors que les cours d'assises sont engorgées et de nombreuses affaires de viols jugées en correctionnelle. Pour les avocats pénalistes, elles représentent en revanche une justice au rabais et une régression démocratique.

L'avocat de l'accusé reste mesurée mais rassurante : "Il faut être vigilant mais les avocats sont là pour ça", assure Me Sophie Lechevrel. "Il faut veiller à ce que je puisse m'exprimer autant que possible, que mon client puisse s'exprimer comme il le souhaite."

Céline Parisot, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), y voit un moyen d'enrayer une tendance qui s'est formée ces dernières années : la requalification de certains crimes en délits pour obtenir un jugement plus rapide que les cours d'assises, souvent engorgées.

"Aujourd’hui, ce sont essentiellement les viols qui ne sont pas jugés comme des crimes, mais comme des délits. On les juge comme des agressions sexuelles. Ce n’est quand même pas la même chose, déjà pour la victime et puis même pour l’auteur. Il encourt une peine évidemment moins importante, donc ça, ça nous paraît difficilement acceptable. Et on espère que ces cours criminelles, en permettant de gagner du temps, permettront de juger plus de viols, notamment comme des crimes", explique-t-elle sur RFI.

Une opinion qui n'est pas partagée par le Syndicat de la magistrature. Katia Dubreuil, sa présidente, regrette une "mesure de rationnement". "Dans la justice, vu la pénurie de moyens, à partir du moment où on fait sauter des verrous procéduraux comme le principe de l'oralité propre aux cours d'assises, il y a un risque fort que les dossiers soient jugés plus rapidement et au détriment de la qualité du débat judiciaire", dénonce-t-elle sur Franceinfo.

Pour Me Daphné Pugliesi, avocate pénaliste au barreau de Versailles, ces "cours criminelles" entraînent une "régression démocratique parce qu’il n’y a plus de jury populaire alors qu’ils sont garants d’une certaine indépendance", indique-t-elle au micro d'Europe 1. L'avocate dénonce également la "visée budgétaire" d'une telle réforme : "Cela va permettre une justice plus rapide mais aussi plus expéditive donc beaucoup moins efficace."

L'expérimentation doit durer trois ans.

Avec AFP