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À Istanbul, les attaques contre des réfugiés syriens prennent de l'ampleur

La population turque est de plus en plus hostile à la présence des réfugiés syriens sur son territoire, alors que les heurts qui opposent fréquemment les deux communautés ont pris une nouvelle tournure ces dernières semaines.

Alors que la Turquie accueille plus de 3,5 millions de réfugiés syriens qui ont fui la guerre depuis 2011, plus que tout autre pays dans le monde, leur cohabitation avec la population turque s’est tendue, comme l’indiquent les violences fréquentes qui visent des commerces tenus par des ressortissants syriens.

Si l’accueil des réfugiés devait être provisoire, l’hospitalité turque s’est essoufflée à mesure que la situation économique s'est fortement détériorée, avec une inflation et un chômage élevés, dans un pays où le discours politique est profondément nationaliste.

Les réfugiés de la Syrie voisine, qui bénéficient d’aides sociales, sont souvent pointés du doigt, dans un climat hostile où une forme de xénophobie à leur encontre prolifère sur les réseaux sociaux. En ligne, l’État est ainsi accusé de leur accorder des privilèges au détriment des Turcs, tandis que l’augmentation des loyers et la baisse des salaires pour les métiers peu qualifiés leur sont également imputées.

Une présence de plus en plus contestée

D'après une étude publiée la semaine dernière par l'université Kadir Has à Istanbul, la part des Turcs mécontents de la présence des Syriens, qui ont donné naissance à 415 000 enfants depuis 2011 et dont moins de 10 % vivent dans des camps de réfugiés, est passée de 54,5 % en 2017 à 67,7 % en 2019.

Vol, agression sexuelle… Comme une partie des incidents impliquant des réfugiés et des Turcs, la violente émeute qui a récemment secoué Küçükçekmece, un quartier stambouliote, est partie d’une rumeur et a même fait craindre une escalade des tensions.

Dans la soirée du 29 juin, une foule d’hommes s’en est violemment prise à des magasins tenus par des Syriens, dont les devantures sont écrites en arabe dans ce quartier, à la suite de la propagation d’une rumeur d’agression sexuelle sur un jeune mineur. La police a été dépêchée sur place pour disperser la foule à l’aide de canons à eau et de gaz lacrymogènes. Le lendemain, la préfecture d’Istanbul a annoncé que l’enfant présumé victime de "harcèlement sexuel verbal" avait été entendu par les services de police et qu’il avait été établi que la rumeur infondée était partie d’un "malentendu".

Halk Suriyelilere ait dükkan ve evlere saldırmaya devam ediyor.
Ek olarak : Halkın sokaklarda suriyeli kovalamaya başladığı söyleniyor. pic.twitter.com/Po4m3hpjGL

  DarkWeb Haber (@Darkwebhaber) 29 juin 2019

De nationalité turque, Esat Sevim a lui aussi vu son restaurant vandalisé. Son tort   ? Employer des Syriens. "Si on trouve un chat mort dans la rue, il y aura quelqu'un pour dire que c'est un Syrien qui l'a tué, explique-t-il à l’AFP. Il faut arrêter d'en faire des boucs émissaires."

Par ailleurs, des responsables politiques, notamment de l’opposition, ont aussi été accusés d'avoir surfé sur cette vague pendant la campagne pour les municipales, pendant laquelle le discours antisyrien a pullulé sur les réseaux sociaux, avec par exemple le hashtag #LesSyriensDehors. Ekrem Imamoglu, le nouveau maire d'Istanbul – une ville qui accueille 500 000 réfugiés syriens –, a lui-même été critiqué pour s'être ému du nombre d'enseignes écrites en arabe dans certains quartiers stambouliotes.

Accusé de laxisme, le pouvoir incarné par le président Recep Tayyip Erdogan, qui prônait l'accueil des Syriens au nom de la "solidarité musulmane" et érigeait la politique promigrants de son pays en exemple par opposition aux pays européens, cherche désormais à montrer un visage de fermeté. Le gouvernorat de la province d'Istanbul a ainsi indiqué la semaine dernière qu'il avait sommé plus de 700 commerçants syriens de turciser leurs enseignes en arabe.

Les réfugiés syriens, soutiens de l’économie turque

Malgré les barrières linguistiques et culturelles, les réfugiés syriens, dont une importante partie travaille illégalement pour des salaires bien en-dessous du minimum légal, sont présents dans plusieurs secteurs de l’économie. L’Observatrice de France 24 Feray Artar, une sociologue basée à Ankara où elle travaille sur la communauté syrienne installée en Turquie, avait dressé en 2017 une liste non-exhaustive des secteurs concernés : industrie textile, agriculture, élevage et économie informelle et illégale (mendicité, prostitution, collecte de papier, sous-traitance, trafic de drogue…).

"À mesure que les droits des réfugiés progressent en Turquie, l’anxiété et la colère des locaux augmentent également, avait-elle expliqué. Des rumeurs circulent et alimentent les propos haineux. Selon elles, les Syriens auraient le droit de vote en Turquie, pourraient faire du commerce sans payer de taxes, toucheraient plus d’aides sociales que ce qu’ils devraient, entreraient à l’université sans avoir à passer du tout d’examen. Ces rumeurs se répandent et provoquent des agressions sur les Syriens."

Depuis 2011, plus de 6 500 entreprises créées ou cofondées par des Syriens ont ainsi été enregistrées sur le sol turc, selon l'Union des chambres de commerce et des bourses de Turquie. En comptant le secteur informel, elles seraient en réalité plus de 10 000, estime le Syrian Economic Forum (SEF), voué au développement de l'entrepreneuriat au sein de la diaspora syrienne.

Dans un rapport de l'International Crisis Group, publié en janvier 2018, il est noté que les Syriens contribuent à l'économie turque, qu’ils ont fait croître de 3 % en 2016. L’ONG avait également observé que les violences entre les deux communautés avaient sensiblement augmenté.

Avec AFP