Donald Trump joue la carte de la pression maximale pour gagner son bras de fer avec l’Iran et forcer Téhéran à revenir à la table des négociations. Une stratégie non sans risque qui menace d’embraser le Moyen-Orient.
Souffler le chaud et le froid, se dire prêt à négocier avec les Iraniens tout en multipliant les déclarations incendiaires contre le régime : le président des États-Unis a opté, face à Téhéran, pour une stratégie diplomatique agressive. Donald Trump espère ainsi faire plier le régime. Mais l’escalade des tensions et la multiplication des incidents dans le Golfe font craindre un embrasement au Moyen-Orient.
En dépit des affirmations répétées des États-Unis et de la République islamique selon lesquelles ils ne cherchent pas la guerre, l’inquiétude est montée d’un cran après que Donald Trump a confirmé, vendredi, avoir annulé à la dernière minute des frappes en représailles contre Téhéran qui avait abattu la veille un drone américain.
Une stratégie qui a montré ses limites avec Pyongyang et Caracas
Chantre du désengagement, Donald Trump, qui dénonce fréquemment dans ses discours l'inefficacité et le coût des interventions militaires américaines à l'étranger, avait déjà joué la carte de la "pression maximale" face à la Corée du Nord de Kim Jong-un et au Venezuela de Nicolas Maduro, sans enregistrer pour autant de résultats probants, puisque l’un et l’autre sont toujours au pouvoir.
Cette stratégie consiste à frapper durement les régimes en place au portefeuille en leur imposant de lourdes sanctions financières pour les forcer à négocier (Corée du Nord) ou les renverser (Venezuela). Il s’agit dans un premier temps de f aire monter la pression au plus haut, puis de "détendre la rhétorique" quand l a situation menace de dégénérer en conflit ouvert. Ainsi, lorsque la tournure des événements menaçait d’échapper à tout contrôle avec le dictateur nord-coréen, Donald Trump avait fait volte-face et discuté de dénucléarisation lors deux rencontres au sommet avec Kim Jong-un.
Les premières photos des débris du drone américain, Global Hawk, abattu jeudi 20 juin par la DCA iranienne.
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Photos: IRNA, ISNA et Tasnim News pic.twitter.com/IuzHFO4ME7
"On avait pu voir cette stratégie face à la Corée du Nord : le président américain avait engagé un rapport de force assez dangereux avec un pays doté de l’arme nucléaire. Mais avec l’Iran, la situation est différente car il y a de gros enjeux régionaux et pétroliers, et un pays et une armée qui n’ont pas peur et qui ont l’habitude de combattre", explique Armelle Charrier, spécialiste de géopolitique à France 24.
"Les Iraniens ne négocieront pas tant qu’ils auront un pistolet pointé sur leurs tempes"
Si aux États-Unis, la posture de Donald Trump face à l’Iran est très populaire dans les milieux conservateurs, traditionnellement partisans d’une ligne dure face à Téhéran, d’aucuns s’interrogent toutefois sur sa pertinence. L ’Iran n’a montré aucun signe de capitulation, et a au contraire haussé le ton en retour. "Le président n'a peut-être pas l'intention de faire la guerre, mais nous craignons que lui et l'administration ne finissent par trébucher dans un conflit", a déclaré jeudi à la presse Chuck Schumer, sénateur démocrate de New York.
De leur côté, Mitch McConnell et Kevin McCarthy, deux ténors républicains du Sénat et de la Chambre des représentants ont appelé la Maison Blanche à apporter une réponse "mesurée" aux actions iraniennes.
Interrogé par France 24, Ali Vaez, chercheur au centre de réflexion International Crisis Group (ICG) et directeur de l’Iran Project, s’est dit très sceptique quant aux chances de réussite d’une telle stratégie qui comporte de sérieux risques.
"Les Iraniens ne s’assiéront pas à la table des négociations tant qu’ils auront un pistolet pointé sur leurs tempes, et pour les convaincre de parlementer Donald Trump et son administration auraient besoin d’atténuer leur rhétorique, de donner des gages en disant clairement que Washington ne cherche pas à changer le régime, et de desserrer l’étau des sanctions qui paralysent l’économie du pays", confie-t-il.
"Le président américain pensait qu’en mobilisant les forces américaines dans la région, il enverrait un message fort de dissuasion aux Iraniens, mais je crains que ces derniers ont une tout autre interprétation de la situation, poursuit Ali Vaez. Ils pourraient penser que l’hostilité notoire de Donald Trump à engager les États-Unis dans une nouvelle campagne militaire au Moyen-Orient leur offre suffisamment d’espace pour confronter sa stratégie de pression maximale. Une telle mésinterprétation porte des risques majeurs de conflit."
Selon Ali Vaez, il faut même craindre une escalade dans les jours à venir tant les deux parties seront prises dans un engrenage infernal. "Les Iraniens ont commencé à riposter à la politique de pression maximale parce que les sanctions sont en train de plomber leur économie, et comme de son côté l’administration Trump n’a aucune intention d’alléger ces sanctions, Téhéran va donc poursuivre dans cette voie en menant des actions que les États-Unis perçoivent comme des provocations."
Et d’ajouter : "Par conséquent, tôt ou tard, le climat qui a été créé peut mener par erreur tout droit à un conflit, à cause du niveau actuel des frictions et en l’absence de canaux de communication entre les deux parties, qui ont créé un terrain propice aux mauvais calculs."
Toutefois, il reste une possibilité de désescalade, selon Ali Vaez. "Les deux camps réalisent qu’ils se retrouvent dans une situation critique, il y a donc une possibilité de médiation en vue d’une désescalade, mais pour cela le président américain, qui a déjà montré qu’il pouvait faire preuve de retenue, va devoir commencer par mettre de côté sa politique de pression maximale pour pouvoir s’engager sérieusement sur la voie diplomatique avec les Iraniens."