Le meurtre d'une Hongkongaise par son petit ami taïwanais a longtemps servi de prétexte officiel à Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif de Hong Kong, pour essayer d'imposer son projet de loi controversé sur l'extradition vers la Chine… et Taïwan.
La crise qui secoue Hong Kong depuis plus d'une semaine tire son origine d'un sinistre meurtre qui a eu lieu à Taiwan en 2018. Les autorités hongkongaises l'ont utilisé comme prétexte pour soumettre leur projet de loi controversé sur l'extradition vers la Chine dont l'adoption a été reportée sine die, samedi 15 juin.
Lorsque la cheffe de Hong Kong Carrie Lam avait, pour la première fois, présenté son texte de loi en février dernier, elle avait cité le cas du meurtre de la jeune Poon Hiu-wing par son petit ami taïwanais pour justifier la nécessité d'établir un accord d'extradition avec Taïwan… Et la Chine par la même occasion, l'île de Taïwan étant une territoire sur lequel Pékin revendique son autorité.
Pas d'inculpation pour meurtre en l'absence de traité d'extradition
Poon Hiu-wing, une Hongkongaise de 20 ans, était partie avec son petit ami Chan Tong-kai, un ressortissant taïwanais de 19 ans, fêter la Saint-Valentin à Taïwan. La jeune femme, enceinte d'au moins quatre mois, n'était jamais revenue dans le territoire semi-autonome, contrairement à son compagnon. Son père s'était alors mis à sa recherche, interrogeant le petit ami de sa fille qui lui avait affirmé que les deux tourtereaux avaient décidé de ne pas rentrer ensemble après s'être disputés sur place.
Devant la police hongkongaise, Chan Tong-kai a fini par reconnaître qu'il avait tué Poon Hiu-wing. Il l'a étranglée lorsque la jeune fille lui a avoué qu'il n'était pas le père de l'enfant. La police taïwanaise a retrouvé le corps trois mois après le meurtre près d'une gare de la capitale.
L'histoire a longtemps été traitée comme un simple fait divers par les médias locaux. Mais l'affaire contenait une complication juridique qui allait se révéler cruciale : la justice hongkongaise n'avait pas l'autorité pour statuer sur un meurtre perpétré à l'étranger par un étranger et, en l'absence de traité d'extradition avec Taïwan, elle ne pouvait pas non plus renvoyer Chan Tong-kai devant un tribunal de son pays.
Le jeune homme a seulement été condamné par Hong Kong pour… blanchiment d'argent. Le Taïwanais avait, en effet, utilisé la carte de crédit de la défunte pour retirer l'équivalent d'un peu plus de 2 000 dollars sur le territoire. "En prenant en compte le temps passé en prison à attendre son procès et à la faveur d'une remise de peine pour bonne conduite, Chan Tong-kai peut espérer sortir de prison en octobre 2019", précise le South China Morning Post, le principal quotidien de Hong Kong.
Taïwan coupe l'herbe sous le pied de Carrie Lam
C'est cette apparente injustice que Carrie Lam a tenté d'exploiter pour faire adopter le projet de loi qui a mis le feu aux poudres à Hong Kong. "Les parents de la victime n'ont pas arrêté d'écrire des lettres au gouvernement, dont cinq m'étaient adressées personnellement. Si vous les aviez lues, vous auriez aussi la certitude qu'il nous fait agir vite pour éviter ce genre de situation", a affirmé la cheffe de l'exécutif le 19 février. Elle répondait alors à la presse locale, qui s'inquiétait déjà du fait que le texte ouvrait la porte aux extraditions vers la Chine.
Mais la justification avancée par Carrie Lam a rapidement pris du plomb dans l'aile. Peu après ses déclarations, les autorités taïwanaises ont révélé avoir adressé trois requêtes à leurs collègues hongkongais pour essayer de trouver une solution, afin que Chan Tong-kai puisse tout de même être jugé pour meurtre. Ils n'ont jamais eu de retour, ce qui semble suggérer que le gouvernement hongkongais n'était pas si pressé que ça. Taïwan a ensuite coupé l'herbe sous le pied de Carrie Lam en affirmant en mai ne pas demander l'extradition de Chan Tong-kai, en vertu d'un texte qui "créerait un risque pour [ses] nationaux en visite à Hong Kong d'être extradés vers la Chine".
Malgré cette volte-face taïwanaise, Carrie Lam a continué à faire référence à ce fait divers pour justifier la nécessité d'un accord d'extradition : "Je ne peux pas vous promettre, Mme et M. Poon, que le criminel qui a assassiné votre fille sera puni si cette loi n'est pas adoptée", assurait-elle encore, mercredi 12 juin, alors que les forces de l'ordre et les manifestants s'affrontaient dans les rues de la ville.
Le destin tragique de Poon Hiu-wing s'est retrouvé tellement lié à celui du projet de loi, que Carrie Lam y a encore fait référence pour justifier la suspension du texte. Elle a expliqué que la décision de Taïwan de ne pas demander l'extradition de Chan Tong-kai rendait "moins urgent" l'adoption d'une telle loi. Un argument qu'elle aurait déjà pu invoquer en mai, ce qui lui aurait probablement évité une crise d'une ampleur telle que son maintien à la tête de l'exécutif local semble de plus en plus compromis.