Accompagné de Leonardo DiCaprio et de Brad Pitt, l'enfant de Cannes, Quentin Tarantino, a conquis la Croisette avec "Once Upon a Time... in Hollywood", vibrant hommage au cinéma américain. Au risque d’éclipser d'autres pépites.
On le sait, Quentin Tarantino est un "enfant de Cannes". Depuis ce jour du 21 mai 1994 où "Pulp Fiction" a été pour la première fois projeté sur la Croisette (il y a donc 25 ans tout rond), le réalisateur américain est ici chez lui. Il y a ses habitudes. Dans sa pizzeria préférée d’abord, où il vient se restaurer quasi systématiquement. Et les petites salles de cinéma, ensuite, où il se rend régulièrement, de jour comme de nuit, pour y découvrir des raretés qu’il n’aurait peut-être pas l’occasion de voir aux États-Unis.
Cet attachement pour Cannes, les festivaliers le lui rendent bien. Hier n’était pas le huitième jour de la quinzaine, c’était la journée Tarantino. Tout tournait autour de l’entrée en compétition de sa nouvelle production "Once Upon a Time…in Hollywood" que personne, à part lui, n’avait encore vue dans sa version définitive. Le tapis rouge organisée pour l’occasion restera comme le plus spectaculaire de cette édition 2019. Quentin Tarantino, Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Margot Robbie en haut des marches... effet garanti auprès du public venu en nombre aux abords du palais. "On dirait que le festival commence aujourd’hui", observait-on dans les rues avenantes.
Le réalisateur américain Quentin #Tarantino a écrit une lettre ouverte à l'attention de toutes les personnes qui verront "Once upon a time... in Hollywood", présenté mardi en compétition à #Cannes2019, leur demandant de ne pas dévoiler le contenu de son film #AFP pic.twitter.com/Ar37McC9WF
AFP Cannes (@AFPCannes) 20 mai 2019Si Tarantino sait toute l’affection que le public cannois lui porte, il n’en reste pas moins méfiant. L’exaltation collective suscitée par la présentation de "Once Upon a Time…in Hollywood" pourrait pousser quelques spectateurs, trop contents "d’en être", de divulguer les moments-clés de l’intrigue. Dans une courte lettre qu’il a publiée lundi sur Twitter puis a fait lire en tout début de séance (du jamais vu), le cinéaste a demandé à la presse de rester discret sur le contenu de son long métrage afin que les autres, "ceux qui n’en étaient pas", puissent le découvrir, plus tard, avec cette même fraîcheur.
"Ne me raconte pas toute l’histoire, dis-moi seulement quelle en est l’idée", entend-on d’ailleurs au milieu du film. Tel est aussi notre défi. Quelle est donc l’idée de "Once Upon a Time… in Hollywood" ? Tout d’abord, de rendre un hommage - non pas appuyé mais ultra-révérencieux - à l’industrie du cinéma américain. Voici le décor (ça, on a le droit de le dire) : Los Angeles, en 1969. Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), ancienne star de la série western à succès "Chasseur de prime", est devenu "has been". Désormais abonné aux rôles de "méchants-qui-se-font-tuer-à-la-fin", le comédien est invité par son agent (Al Pacino, en guest-star de luxe) à aller relancer sa carrière en Italie où on serait disposé à lui offrir des rôles de "gentils-qui-triomphent-à-la-fin".
Dans ses coups de feu comme dans ses coups de blues, Rick Dalton peut compter sur son ancienne doublure à l’écran, Cliff Booth (Brad Pitt), plus confident et homme à tout faire que cascadeur (il faut dire que depuis la mort suspecte de sa femme, il est devenu tricard sur les tournages).
L’autre grand personnage de "Once Upon a Time… in Hollywood", c’est le Los Angeles du tournant 1960-1970, cette "Cité des anges" qui dodeline entre l’esprit contestataire du "flower power" hippie et l’insouciance toute aristocratique d’une industrie du divertissement (ah, ces homériques fêtes au manoir Playboy !).
De cet univers référencé, Quentin Tarantino tire plusieurs films dans le film. Le dada du réalisateur, on le sait, c’est le cinéma de cette époque, le cinéma d’exploitation, le cinéma considéré, souvent à tort, comme étant "de seconde zone". Et il s’en donne à cœur joie, retournant à l’occasion des scènes de western, de kung-fu et de "nazixplotation", ces films d’aventure où l’on crame des SS au lance-flammes. Le plaisir qu’éprouve l’auteur de "Pulp Fiction" est d’autant plus communicatif qu’il ne se place jamais au-dessus de ses modèles. De fait, "Once Upon a Time… in Hollywood" se situe davantage du côté de "Jackie Brown" que de "Kill Bill" ou de "Django Unchained". Au risque de décevoir les fans du Tarantino poseur et tape-à-l’œil…
Gourmandise
Il sera sûrement reproché au film sa trop grande sagesse. Ce serait passer à côté de sa dimension la plus touchante. Car avant d’être une exploration encyclopédique de l’univers hollywoodien, "Once Upon a Time…" est une célébration des acteurs et des actrices. D'abord de celles et ceux qui ont existé à l’époque et à qui il redonne corps à l’écran : Steve McQueen (joué ici par Damian Lewis), Bruce Lee (auteur de cette merveilleuse réplique : "Mes mains sont répertoriées parmi les armes létales") et, bien sûr, Sharon Tate, comédienne et épouse de Roman Polanski qui fut assassinée à l’âge de 26 ans par des membres de la secte de Charles Manson, alors qu’elle était enceinte de huit mois.
Sa présence à l’écran est lumineuse. Pas seulement parce qu’elle est incarnée par la très belle Margot Robbie mais parce qu’elle y est montrée telle que Tarantino la fantasme, comme une actrice à l’énergie aussi légère qu’habitée. La scène où elle se rend dans un cinéma de quartier pour aller revoir un film dont elle est à l’affiche ("The Wrecking Crew" avec Dean Martin) est particulièrement poignante.
Puis, il y a les comédiens d’aujourd’hui. Au premier rang desquels le duo formé par Leonardo DiCaprio et Brad Pitt qui n’avaient encore jamais tourné ensemble. Là aussi, l’approche de Tarantino est touchante. On ne l’avait pas vu filmer ces acteurs avec autant de gourmandise depuis "Pulp Fiction" et "Jackie Brown". Brad Pitt, surtout, y est génial de nonchalance, de "coolitude" et de loyauté envers son compagnon de route. Loyauté à la vie et à la mort qui fait de "Once Upon a Time…" une séduisante histoire d’amitié entre un acteur et sa doublure, une "bromance" sans cynisme ni ironie. On n’attendait pas forcément Quentin Tarantino sur ce terrain. Et ça fait du bien.
Affreux, sales et méchants
Reste maintenant à gérer l’après-Tarantino. Le passage de la tornade médiatique sur la Croisette a laissé quelques traces. Les rues cannoises paraissent déjà un peu vides. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé… "Ça sent la fin du festival, là", commente-t-on déjà aux terrasses des cafés. Cette année, c’est un peu comme si la quinzaine n’aura duré qu’un jour.
C’est oublier un peu vite que la compétition continue. Et pas avec n’importe quoi. Programmé le même jour que "Once Upon a Time…", le film du Sud-Coréen Bong Joon-ho aura un peu souffert d’un manque d’attention médiatique (les salles dédiées à sa projection presse étaient loin d’être remplies). Dommage car "Parasite" n’est pas un film à passer inaperçu. Mais, là aussi, prudence… Comme Quentin Tarantino, Bong Joon-ho a incité les festivaliers à la réserve.
Alors que dire de "Parasite" ? Que c’est un film dingue, une jouissive pantalonnade, une fable sociale aux accents "lutte des classes". De quoi ça parle ? D’une famille des bas-fonds de Séoul qui s’immisce peu à peu dans le quotidien d’une famille des très beaux quartiers. Le but de la manœuvre étant, à terme, que les pauvres remplacent les riches. Sauf que le plan ne va pas se dérouler sans accros et finira par virer au jeu de massacre. "Parasite", c’est "Affreux, sales et méchants" qui rencontre "Une affaire de famille", la Palme d’or de l’an passé. Le cocktail est détonnant malgré un épilogue de trop. Encore un petit bijou signé de l’auteur de "Memories of Murder" et "Okja".
Dites donc, quelle journée…