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Guerre commerciale : le jusqu’au-boutisme de Donald Trump, un pari risqué

Les États-Unis ont annoncé, lundi, qu’ils étaient prêts à taxer tous les produits chinois, y compris les plus prisés par les consommateurs américains, comme les smartphones ou les téléviseurs. Une stratégie jusqu’au-boutiste risquée.

Téléviseurs, iPhone, ketchup, savon, anoraks, albums photo, parapluies ou encore soutiens-gorge. Ce n’est ni une liste de courses, ni une lettre de vœux au Père Noël. Il s’agit de quelques-uns des 4 000 produits importés de Chine que le président américain, Donald Trump, a menacé, lundi 13 mai, de taxer à partir de juin.

Cette nouvelle pierre à l’édifice du conflit commercial sino-américain “couvre toutes les importations qui ne sont pas encore visées par des droits de douanes, à l’exception de certains produits pharmaceutiques, médicaux et des métaux rares”, a résumé l’administration américaine.

Trump joue son va-tout

Avec la menace de ces nouvelles taxes, Donald Trump “joue son dernier atout afin de mettre la pression maximum sur Pékin pour obtenir des concessions lors des négociations entre les deux pays”, explique Jean-François Dufour, spécialiste de l'économie chinoise et directeur du cabinet de conseil DCA Chine-Analyse, contacté par France 24.

Washington envoie, par ailleurs, un message très clair à la Chine : pour gagner son bras de fer le président américain “ne reculera devant rien, pas même la perspective de mécontenter les consommateurs américains”, résume l’expert français. Les Américains ont, en effet, dépensé près d’un milliard de dollars pour acheter des produits – comme les téléphones portables, les ordinateurs portables ou encore des jouets pour enfants – qui figurent sur la nouvelle liste, résume le New York Times. Les droits de douane envisagés devraient se traduire par une hausse de plus de 1 % des prix de ces articles très prisés aux États-Unis, a calculé la banque Goldman Sachs.

Le pari de Donald Trump est que, cette fois-ci, Pékin refusera de répondre coup pour coup. La Chine arrive, également, au bout de ses mesures de rétorsion. Elle a déjà imposé des droits de douanes sur la quasi-totalité des biens d’importation américains… mis à part l’aéronautique. Pékin n’a pas encore, non plus, pris de sanction contre les constructeurs automobiles américains présents sur le sol chinois. Mais si la Chine venait à sévir contre Boeing ou General Motors, “elle risquerait de se priver des transferts de technologie qui lui sont essentiels pour parvenir à son objectif à long terme : devenir un des leaders en innovation technologique”, note Jean-François Dufour.

Risque d’effondrement chinois

Le président américain estime qu’il est gagnant à tous les coups en suivant une stratégie jusqu’au-boutiste. Si Pékin refuse de surenchérir, il aura eu le dernier mot, ce qui lui procure un avantage lors des négociations. Si la Chine décide de sanctionner Boeing et les constructeurs automobiles, elle risque de prendre du retard dans son développement technologique “ce qui est de toute façon le but recherché par les États-Unis dans ce conflit commercial, rappelle Jean-François Dufour.

Mais pour lui, Washington fait une erreur de calcul. La Chine ne peut pas céder : “Les États-Unis constituent le premier débouché pour les produits chinois, mais ne représente, finalement, que 20 % des exportations, alors que se plier aux exigences américaines reviendrait à provoquer l’effondrement de l’économie chinoise”, résume ce spécialiste.

En effet, les revendications des États-Unis – en finir avec les transferts de technologie, et libéraliser le marché chinois pour faciliter l’accès des entreprises américaines – reviennent à demander à Pékin de remettre en cause tout son modèle de développement économique qui est, justement, basé sur le contrôle du marché par l’État. “Donald Trump a raison de penser que la seule manière de remédier au déséquilibre du commerce en faveur de la Chine est de remettre à plat son modèle économique, mais il a tort de croire qu’il peut l’imposer à la faveur d’une guerre commerciale”, estime Jean-François Dufour.

Le spectre d’une crise mondiale

Un changement brutal de modèle en Chine entraînerait, très probablement, des faillites en chaîne d’entreprises. Pour libéraliser le marché chinois, il faudrait, en effet, couper le cordon ombilical entre les entreprises et le pouvoir central et “personne ne sait combien d’entre elles sont maintenues artificiellement à flot par les banques sur ordre de Pékin”.

La meilleure stratégie pour la Chine est de multiplier les concessions “cosmétiques” – telles que les promesses d’importer toujours plus de produits américains – qui n’ont pas d’impact direct sur sa politique économique, dans l’espoir que Donald Trump finisse par y trouver son compte politique.

Car si le président américain tient à tout prix à obtenir des réformes de fond du modèle chinois, le conflit commercial risque de mal finir pour tout le monde. En effet, les deux superpuissances peuvent s’accrocher à leurs droits de douane au risque de fragiliser leur économie et le commerce mondial jusqu’à provoquer une nouvelle crise économique. Et dans l’hypothèse où Donald Trump réussit à faire plier Pékin, les conséquences de l’effondrement économique probable de la Chine ne seraient pas plus enviables pour le monde qui a pris l’habitude de vivre sous perfusion de la croissance chinoise.