
Le procès de l’ancien Premier ministre Najib Razak, qui s'ouvre mardi en Malaisie, va être l’occasion de mieux comprendre les dessous du scandale 1MDB, qualifié de "plus importante affaire de kleptocratie" de l’histoire judiciaire moderne.
C'est le procès de l'un des scandales financiers les plus retentissants du XXIe siècle, dont les ramifications vont d'Hollywood au sommet de l'État malaisien en passant par le géant de la finance Goldman Sachs. À partir de mardi 2 avril, Najib Razak, l'ex-Premier ministre de Malaisie, devra répondre de 42 chefs d'accusation dans le cadre de l'affaire 1MDB, du nom du fonds souverain malaisien soupçonné d'avoir servi de caisse noire pour financer le train de vie de l'ex-homme fort du pays et de toute une clique de financiers, de politiciens et autres personnages hauts en couleur à travers le monde.
Pour la Malaisie, ce procès représente l'aboutissement d'une saga politico-financière débutée en 2009 par la création d'1MDB, un fonds souverain censé fonctionner sur le même modèle que ceux de Norvège ou des pays du Golfe. Mais les révélations, à partir de 2015, du site malaisien Sarawak Report et des enquêtes menées par les autorités d'une dizaine de pays – dont les États-Unis, Singapour ou encore la Suisse – ont levé le voile sur les dessous d'un immense scandale qui a coûté plus de 4,5 milliards de dollars à la Malaisie.
Si tous les projecteurs médiatiques sont braqués sur Najib Razak, l'ex-Premier ministre malaisien est loin d'être le seul soupçonné d'avoir profité du pillage des fonds de 1MDB. Revue en détail des personnages-clés d'un scandale décrit par l'ancienne procureure générale des États-Unis, Loretta Lynch, comme "la plus importante affaire de kleptocratie de l'histoire" judiciaire moderne.
Najib Razak et la chute de l'homme fort de Malaisie
L'ex-Premier ministre est accusé d'avoir détourné au moins 681 millions de dollars de 1MDB. Lors de perquisitions policières, en mai 2018, aux différents domiciles de l'homme politique, les autorités ont découvert des biens de luxe d'une valeur d'environ 275 millions de dollars, comprenant 234 paires de lunettes de soleil de marque (Gucci, Versace ou Dior), 423 montres dont une Rolex d'une valeur de 760 000 euros ou encore 12 000 bijoux, dont 14 tiares.
Najib Razak a toujours clamé son innocence, arguant que l'argent provenait d'un prêt d'un prince saoudien. Il a aussi mis les accusations sur le compte d'une cabale politique pour le faire tomber. Mais le flot ininterrompu de révélations, y compris un rapport accablant du ministère américain de la Justice en juin 2017, a fragilisé sa ligne de défense.
L'émoi populaire suscité par ce scandale a précipité la chute de Najib Razak lors des élections de mai 2018. Les partis d'opposition, réunis au sein de la "coalition de l'espoir", ont remporté ce scrutin historique qui a mis fin au règne de l'Umno, le parti qui dirigeait le pays depuis l'indépendance de la Malaisie, en 1957.
Deux mois plus tard, la Commission anti-corruption a ordonné l'arrestation de l'ex-Premier ministre, puis en octobre celle de sa femme, Rosmah Mansor, accusée d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent.
L'extravagant Mr Jho Low
Tout le monde le cherche, mais personne ne sait où se cache le financier malaisien au cœur du scandale 1MDB. Jho Low est soupçonné par Interpol, le FBI ou encore la police malaisienne d'être l'architecte des montages qui ont permis de détourner les milliards de dollars du fonds souverain.
"Lorsque toute l'histoire commence, il avait à peine 20 ans, et n'avait encore quasiment jamais travaillé de sa vie", raconte Bradley Hope, le co-auteur de "L'Homme qui a dupé Wall Street, Hollywood et le monde", une biographie consacrée à Jho Low, dans un podcast de la Wharton School, l'école de commerce de l'Université de Pennsylvanie.
D'après cet ouvrage, c'est lui qui aurait convaincu Najib Razak de mettre en place le fonds souverain en 2009. Jho Low en sera aussi le grand argentier alors même qu'il n'apparaît nulle part dans l'organigramme.
Mais au lieu d'investir les fonds dans des projets économiquement viables, le jeune financier "a littéralement dépensé des millions aux tables de baccarat du monde entier et pour financer son goût du luxe et de la fête", souligne Bradley Hope.
Jho Low est soupçonné d'avoir fait transiter 2,7 milliards de dollars par une succession de sociétés écrans domiciliées dans différents paradis fiscaux, avant de les transférer sur ses comptes personnels. Il a ensuite utilisé cet argent pour acheter des biens immobiliers à Los Angeles et New York, un jet privé ou encore un yacht de plus de 90 mètres de long.
Il s'en est aussi servi pour se faire un nom parmi les célébrités hollywoodiennes. "Il n'a jamais fait mystère de son envie de connaître autant de stars que possible et il était prêt à payer pour y arriver", note Bradley Hope. Il a ainsi offert un tableau de Picasso à Leonardo di Caprio, organisé une soirée pour son anniversaire à laquelle il avait convié Chris Brown, Jamie Foxx, Pharrell Williams et durant laquelle Britney Spears est sortie du gâteau pour lui souhaiter bon anniversaire.
"Pour l'une de ses soirées les plus légendaires, il avait affrété un Boeing 747 qui a transporté des stars pour passer une semaine en Australie, où ils ont fêté ensemble le nouvel an, avant de repartir en avion afin d'atterrir à Las Vegas juste à temps pour célébrer une deuxième fois la nouvelle année", raconte Bradley Hope. C'est aussi lui qui a financé "Le Loup de Wall Street", le film de Martin Scorsese avec Leonardo di Caprio, qui dénonce… les excès de la finance.
Tim Leissner, le généreux banquier
En novembre 2018, Tim Leissner a propulsé Goldman Sachs aux premières loges du scandale 1MDB. Cette star déchue de la célèbre banque d'investissement a plaidé coupable aux États-Unis d'avoir violé les lois anticorruption et a accepté de payer une amende de 43 millions de dollars.
Tim Leissner est accusé d'avoir fourni à 1MDB les sommes, dont une grande partie a ensuite été détournée. C'est lui qui, au nom de Goldman Sachs, a négocié plusieurs prêts au fonds souverain malaisien d'un montant total de 6,5 milliards de dollars en échange d'une commission de 600 millions de dollars en 2012 et 2013. Des honoraires dix fois plus élevés que la pratique communément admise pour les commissions en cas de prêt d'argent, rappelle le Financial Times.
Une bizarrerie qui ne semble pas avoir alerté Goldman Sachs à l'époque. Tim Leissner était "quelqu'un qui rapportait beaucoup d'argent à la banque et, à ce titre, bénéficiait d'une grande latitude dans ses rapport avec les clients", a expliqué au Financial Times un autre banquier de Goldman Sachs sous couvert d'anonymat.
Mais lorsque le scandale a éclaté en 2015, le rôle de Goldman Sachs a rapidement été pointé du doigt par les autorités en Malaisie. L'institution financière a tenté de prendre ses distances avec Tim Leissner, arguant qu'il avait agi à l'insu de sa hiérarchie, mais l'argument ne semble pas avoir convaincu. Le gouvernement malaisien réclame plus de trois milliards de dollars à la banque, le ministère américain de la Justice a entamé une enquête pour déterminer le rôle de Goldman Sachs dans le scandale et Abou Dhabi, qui s'était porté garant pour deux prêts octroyé à 1MDB, a intenté une action en justice pour tromperie contre l'établissement.
Même les investisseurs semblent penser que Goldman Sachs ne sortira pas indemne de cette affaire. Depuis que Tim Leissner a plaidé coupable, l'action de la banque a perdu 15 % de sa valeur en Bourse à New York.